JEANNE D'ARC MEDIUM

 

DEUXIEME PARTIE
LES MISSIONS DE JEANNE D'ARC.

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XIII. - JEANNE D'ARC ET L'IDEE DE PATRIE.

 

Gloire à notre France immortelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle,
Aux vaillants, aux martyrs, aux forts !

VICTOR HUGO.

 

Dans la première partie de cet ouvrage, nous avons rappelé les principaux faits de la vie de Jeanne d'Arc, et nous avons cherché à les expliquer à l'aide des données fournies par les sciences psychiques. Nous avons dit les triomphes, les souffrances de l'héroïne ; nous avons rappelé son martyre, qui est comme le couronnement de cette carrière sublime.

Il nous reste à rechercher et à mettre en lumière les conséquences de la mission de Jeanne d'Arc au quinzième siècle. A ce point de vue, nous poserons d'abord la question suivante : Qu'est-ce que la France doit à Jeanne ?

Avant tout, nous le savons, elle lui doit l'existence ; elle lui doit d'être une nation, une patrie. Jusque-là l'idée de patrie est une chose vague, confuse, presque inconnue. On se jalouse de ville à ville ; on se bat de province à province. Aucune union, aucun sentiment de solidarité ne relie les différentes parties du pays. Les grands fiefs se partagent la France, et chaque haut seigneur cherche à s'affranchir de toute autorité. Quand Jeanne paraît, les Etats de Bourgogne, la Picardie, la Flandre sont alliés aux Anglais ; la Bretagne, la Savoie restent neutres ; la Guyenne est aux mains de l'ennemi. C'est Jeanne, la première, qui évoque dans les âmes la sainte image de la patrie commune, de la patrie déchirée, mutilée, mourante.

On nous objectera que le mot de patrie était peu usité alors. Mais, à défaut du mot, Jeanne nous a donné la chose. Et c'est là ce qu'il faut retenir. La notion de patrie est née du coeur d'une femme, de son amour, de son sacrifice.

Au milieu de la tempête qui fondait sur elle, à travers le sombre nuage de deuil et de misère qui l'enveloppait, la France a vu passer cette figure radieuse, et elle en est restée comme éblouie. Elle n'a même pas compris, pas senti toute l'étendue du secours que le Ciel lui envoyait. Et cependant, malgré tout, le sacrifice de Jeanne a communiqué à la France des puissances jusque-là inconnues. La première, dans le monde, la France est devenue une nation. Et depuis lors, son unité nationale, scellée par le sang de l'héroïne, ni les vicissitudes, ni les orages sociaux, ni des désastres sans exemple, rien n'a pu la détruire !

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*        *

Nous n'ignorons pas qu'à notre époque, l'idée de patrie subit une sorte d'éclipse ou de décadence. Depuis quelques années, elle est violemment critiquée et même combattue dans notre pays. Toute une catégorie d'écrivains, de penseurs s'est appliquée à en faire ressortir les abus, les excès, à en ruiner le principe et le culte dans les âmes.

Avant tout, dans le débat engagé, il conviendrait de bien définir et de préciser l'idée de patrie. Elle se présente à la pensée sous deux aspects. Tantôt abstraite chez certains esprits, elle constitue alors une personne morale et représente l'acquisition des siècles, le génie d'un peuple sous toutes ses faces et dans toutes ses manifestations : littérature, art, traditions, la somme de ses efforts dans le temps et dans l'espace, ses gloires, ses revers, ses grands souvenirs. En un mot, ce sera toute l'oeuvre de patience, de souffrance et de beauté dont nous héritons en naissant, oeuvre en laquelle vibre et palpite encore l'âme des générations disparues.

Pour d'autres, la patrie sera une chose concrète. Ce sera l'expression géographique, le territoire, avec ses frontières déterminées.

Pour être vraiment belle et complète, l'idée de patrie devra embrasser ces deux formes et les unir dans une synthèse supérieure. Considérée sous un seul de ces aspects, elle ne serait qu'un geste de parade ou bien une abstraction idéale, vague, imprécise.

Ici encore, l'idée apparaît sous ses deux formes : l'esprit et la lettre. Suivant le point de vue adopté, les uns rechercheront la grandeur morale et intellectuelle de leur patrie ; les autres viseront surtout sa puissance matérielle, et le drapeau sera pour eux le symbole de cette puissance. Dans tous les cas, il faut bien le reconnaître, pour se survivre et faire rayonner à travers le monde l'éclat grandissant de son génie, une patrie doit sauvegarder son indépendance, sa liberté.

Dans l'oeuvre immense de développement et d'évolution des races humaines, chaque nation fournit sa note au concert général ; chaque peuple représente une des faces du génie universel. Ce génie, il est destiné à le manifester, à l'embellir par son labeur à travers les âges. Toutes les formes de l'oeuvre humaine, tous les éléments d'action sont nécessaires à l'évolution de la planète. L'idée de patrie, en les incarnant, en les concrétant, éveille entre ces éléments un principe d'émulation et de concurrence, qui les stimule, les féconde, les élève à leur suprême puissance. Le groupement de tous ces modes d'activité créera, dans l'avenir, la synthèse idéale qui constituera le génie planétaire, l'apogée des grandes races de la terre.

Mais, à l'heure actuelle, dans la phase d'évolution humaine que nous parcourons, les compétitions, les luttes que l'idée de patrie provoque entre les hommes ont encore leur raison d'être. Sans elles, le génie propre à chaque race tendrait à s'affadir, à s'amoindrir dans la libre possession et le bien-être d'une vie exempte de heurts et de dangers. A l'époque de Jeanne d'Arc, cette nécessité était plus impérieuse encore. Aujourd'hui, l'esprit humain, plus évolué, doit s'attacher à revêtir ces luttes, ces compétitions, de formes toujours plus belles et plus pures, à leur enlever tout caractère de sauvagerie, à en retirer tous les avantages qui contribueront à accroître l'héritage commun de l'humanité. Elles prendront l'aspect de tâches de plus en plus nobles et fécondes, par lesquelles s'édifiera l'avenir ; la pensée et la forme y trouveront leur expression toujours plus magnifique et plus sublime.

Ainsi se dégagera un jour, après une lente, confuse et douloureuse incubation, l'âme des grandes patries. De leur réunion naîtra une civilisation, dont celle des temps présents n'est que l'ébauche grossière.

Aux luttes sanglantes du passé, auront succédé alors les luttes plus hautes de l'intelligence, dans son application à la conquête des forces et à la réalisation du Beau dans l'art et la pensée, à la production d'oeuvres où la splendeur de l'expression s'alliera à la profondeur de l'idée. Et cela rendra plus intenses la culture des âmes, l'éveil du sentiment, plus rapide l'acheminement de tous vers les sommets où règne la Beauté éternelle et parfaite.

Alors la terre vibrera d'une même pensée et vivra d'une même vie. Déjà l'humanité se cherche elle-même, confusément. La pensée cherche la pensée dans la nuit, et par-dessus les voies de fer et les grandes nappes liquides, les peuples s'appellent et se tendent les bras. L'étreinte est proche : par les efforts réunis, commencera l'oeuvre géante qui aménagera la demeure humaine pour une vie plus ample, plus belle, plus heureuse !

Le nouveau spiritualisme contribuera efficacement au rapprochement des esprits, en mettant fin à l'antagonisme des religions, et en donnant pour base à la croyance, non plus l'enseignement et la révélation dogmatiques, mais bien la science expérimentale et la communion avec les disparus. Dès à présent, ses foyers s'allument sur tous les points du globe ; leur rayonnement s'étendra de proche en proche, jusqu'à ce que les hommes de toutes les races soient unis dans une même conception de leur destinée sur la terre et dans l'Au-delà.

Les délégués de vingt-quatre nations réunis en un Congrès en septembre 1925 à Paris ont fondé la fédération spirite internationale qui, dès maintenant, s'étend jusqu'aux confins du globe et constitue une force régénératrice dont l'influence se fait déjà sentir dans le monde de la pensée et de la science.

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Revenons à Jeanne d'Arc. Certains écrivains estiment que son intervention dans l'histoire a été plutôt fâcheuse pour la France, et que la réunion des deux pays sous la couronne d'Angleterre eût constitué une nation puissante, prépondérante en Europe, appelée aux plus grandes destinées.

Parler ainsi, c'est méconnaître le caractère et les aptitudes des deux peuples, absolument dissemblables et qu'aucun événement, aucune conquête n'aurait réussi à fusionner entièrement à cette époque. Le caractère anglais présente des qualités éminentes que nous nous sommes plu à reconnaître, mais il est empreint d'un égoïsme qui est allé parfois jusqu'à la férocité. L'Angleterre n'a reculé devant aucun moyen dans la réalisation de ses vues. Le Français, au contraire, à ses nombreux défauts, mêle un sentiment de générosité presque chevaleresque. Les aptitudes n'offrent pas moins de diversité. Le génie de l'Angleterre est essentiellement maritime, commercial, colonisateur. Celui de la France est plutôt orienté vers les vastes domaines de la pensée. Les destinées des deux nations sont différentes, et leur rôle, distinct dans l'harmonie de l'ensemble. Pour parcourir ses voies naturelles et garder la plénitude de son génie propre, chacune d'elles devait, avant tout, conserver sa liberté d'action, sauvegarder son indépendance. Réunis sous une domination commune, ces deux aspects du génie humain se seraient contrariés, entravés dans leur essor respectif. C'est pour cela, qu'au quinzième siècle, le génie de la France étant menacé, Jeanne d'Arc est devenue, sur l'échiquier de l'histoire, le champion de Dieu contre l'Angleterre.

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Jeanne d'Arc a joué un grand rôle militaire ; or, de nos jours, le militarisme tombe en discrédit. Sous le nom de pacifisme, des penseurs, animés pour la plupart des intentions les plus louables, mènent, dans notre pays, une vigoureuse campagne contre tout ce qui rappelle l'esprit belliqueux du passé et les luttes entre nations.

Certes, l'idée de patrie a produit d'incontestables abus. C'est la condition de toutes les choses humaines. Ce n'est pas moins un droit et un devoir pour tous les peuples, de se rappeler leurs gloires et de s'enorgueillir de leurs héros.

Le militarisme est un mal, dit-on, mais n'est-il pas un mal nécessaire ? La paix universelle est un beau rêve, et la solution par l'arbitrage de tous les différends internationaux, une chose éminemment désirable. Reste à savoir si la paix assurée, prolongée, n'amène pas des maux d'un autre ordre.

Pour voir clair en cette question, il faudrait s'élever un peu au-dessus des horizons de la vie présente, et embrasser la vaste perspective des temps assignés à l'évolution des âmes humaines. La vie actuelle, on le sait, n'est qu'un point dans l'immensité de nos destinées ; tout ce qui s'y rapporte ne saurait donc être compris ni jugé, si on fait abstraction de ce qui la précède et de ce qui la suit.

Quelles fins réelles poursuivons-nous dans nos vies multiples, à travers la succession de nos existences sur la terre et les autres mondes ? Le but de l'âme dans sa course, nous l'avons démontré, c'est la conquête de l'avenir, l'édification de sa destinée par l'effort persistant. Or, la paix indéfinie, sur des mondes inférieurs et au sein des sociétés encore peu évoluées comme les nôtres, favorise le développement de la mollesse et de la sensualité, qui sont les poisons de l'âme. La recherche exclusive du bien-être, la soif de richesse, de confort, qui caractérisent notre époque, sont des causes d'affaiblissement de la volonté et de la conscience. Elles détruisent en nous toute virilité et nous font perdre tout ressort, toute force de résistance aux heures adverses.

Au contraire, la lutte fait naître en nous des trésors d'énergie, qui s'accumulent dans les profondeurs de l'âme et finissent par faire corps avec la conscience. Après avoir été longtemps orientées vers le mal, dans nos stades évolutifs inférieurs, par suite de l'ascension et du progrès de l'être, ces forces se transforment peu à peu en énergies pour le bien. Car c'est le propre de l'évolution de transmuter les puissances mauvaises de l'âme en forces bienfaisantes. C'est là la divine et suprême alchimie.

Les menaces de l'étranger peuvent être aussi salutaires pour les peuples en voie d'évolution, que pour les individus. Elles font l'union au-dedans. Dans les luttes engagées, les revers eux-mêmes sont plus utiles que les triomphes ; le malheur rapproche les âmes et prépare leur fusionnement. Les revers sont des coups frappés sur une nation ; mais, comme le marteau du sculpteur, ces coups la rendent plus belle, car chacun d'eux a une répercussion au fond des coeurs, y éveille des émotions et en fait surgir des vertus cachées. C'est aussi dans la résistance à la fortune adverse que se trempent et grandissent les caractères.

Dans l'évolution grandiose de l'être, la qualité la plus essentielle, c'est le courage. Sans elle, comment pourrait-il surmonter les obstacles innombrables qui s'accumulent sur sa route ? C'est pourquoi, dans les mondes inférieurs, demeures et écoles des âmes nouvelles, la lutte est la loi générale de la nature et des sociétés ; car, dans la lutte, l'être acquiert les énergies premières, indispensables pour décrire plus tard son immense trajectoire à travers le temps et l'espace.

Ne le voyons-nous pas dès cette vie ? Celui qui, dans l'enfance, a reçu une éducation forte, qui a été trempé par de grands exemples ou par les épreuves, qui, jeune encore, a appris l'austérité et le sacrifice, n'est-il pas mieux préparé à un rôle important, à une action profonde ? Tandis que chez l'enfant trop choyé, habitué à l'abondance, à la satisfaction de ses fantaisies et de ses caprices, les qualités viriles s'éteignent et les ressorts de l'âme se détendent. Trop de bien-être amollit. Pour ne pas s'attarder dans la voie, il faut les nécessités qui aiguillonnent, les dangers qui suscitent l'effort.

Aussi, quoi qu'on fasse, on ne parviendra à assurer complètement la paix et l'harmonie parmi les hommes, que par un relèvement des caractères et des consciences. Notre bonheur, notre sécurité parfaite, ne l'oublions pas, sont en rapport direct avec notre capacité pour le bien. Nous ne pouvons être heureux que dans la mesure de nos mérites. La guerre, comme tous les fléaux qui frappent l'humanité, ne disparaîtra qu'avec la cause de nos erreurs et de nos vices.

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Depuis que j'ai écrit ces lignes dans ma première édition, le rouleau de la grande guerre est passé sur nous et a failli nous écraser. Quand on songe aux ravages que cette guerre a causés, aux millions de vies humaines sacrifiées, aux souffrances sans nombre qu'elle a entraînées et qu'elle causera longtemps encore, l'idéalisme des luttes armées, le prestige des vertus héroïques s'estompe et s'affaiblit. Un voile de tristesse et de deuil s'est étendu sur la France et Jeanne elle-même déplore les maux qu'il nous a fallu subir. Voici ce qu'elle nous dictait récemment à ce sujet :

« Il faut atténuer tout ce qui provoque le choc brutal entre les peuples. Que l'amour de Dieu, de la patrie et du prochain réunisse les êtres et que la spiritualité facilite leur union. La guerre est née des passions. Que les passions du mal disparaissent et que le culte de l'amour rapproche les coeurs. Je veux ma France bien aimée, ma douce France, respectée et honorée. La guerre brutale doit être remplacée par une oeuvre fraternelle de conciliation entre les différentes croyances humaines. Le rapprochement des peuples ne se fera pas sans heurts certes, car il faut briser les passions ; mais, en établissant la justice on préparera l'éclosion de l'amour supérieur. »

Par la formation, après la guerre, de la Société des Nations, les peuples ont affirmé leur volonté de s'entendre, de s'unir pour mettre fin aux conflits sanglants, aux luttes homicides, qui, de temps à autre, déchirent l'humanité. Déjà, cette institution a résolu bien des problèmes, réglé des différends graves et compliqués. Son autorité grandit peu à peu. Parviendra-t-elle à réaliser les vues de Jeanne en devenant l'arbitre de la pacification universelle ? L'avenir seul nous le dira. Quoi qu'il advienne, si la guerre offensive peut, désormais, être considérée comme un crime, la défense de la patrie, aux heures d'invasion, reste un devoir sacré !

XIV. - JEANNE D'ARC ET L'IDEE D'HUMANITE.

Je n'ai jamais tué personne.

JEHANNE.

Nous ne prétendrons pas que Jeanne d'Arc nous ait apporté, la première, la notion d'humanité. Bien avant elle, et dans tous les temps, la plainte de ceux qui souffrent a éveillé dans les âmes sensibles un sentiment de pitié, de compassion, de solidarité. Mais, au cours de la guerre de Cent ans, ces qualités étaient devenues bien rares, particulièrement dans l'entourage de Jeanne, parmi ces soudards brutaux, qui avaient fait de la guerre une oeuvre de rapine et de brigandage. Au milieu de cette époque de fer et de sang, la vierge lorraine nous fait entendre le langage de la pitié, de la bonté.

Sans doute, elle s'est armée pour le salut de la France ; mais, lorsque l'heure de la lutte est passée, elle redevient la femme au coeur tendre, l'ange de douceur et de charité. Partout, elle s'oppose aux massacres, elle offre toujours la paix avant d'attaquer. Trois fois devant Orléans, elle réitère ses offres en ce sens. Elle secourt les blessés et même les blessés anglais. Elle soulage les malheureux ; elle souffre de toutes les souffrances humaines.

Dans cette sombre nuit féodale, le quinzième siècle se montre plus sombre, plus sinistre encore que les autres siècles. C'est celui où l'on vit un roi d'Aragon tuer son fils, et un comte de Gueldre, son père. Un duc de Bretagne fait assassiner son frère, et une comtesse de Foix, sa soeur. A travers la nuée sanglante qui s'élève, Jeanne nous apparaît comme une vision d'en haut ; sa vue repose et console du spectacle des égorgements. N'a-t-elle pas prononcé ces douces paroles : « Jamais je n'ai vu sang de Français que les cheveux ne me levassent ! »

A la cour de Charles VII, on ne commettait pas seulement des rapines et des brigandages de toutes sortes, les meurtres aussi y étaient fréquents. Le premier chambellan, devenu plus tard le favori du roi, le sire de Giac, avait assassiné sa femme, Jeanne de Naillac, afin d'épouser la riche comtesse de Tonnerre, Catherine de l'Isle-Bouchard. Lui-même est noyé sur les instigations du connétable de Richemont, dont il gêne la politique, et de La Trémoille qui convoite sa femme, après avoir si fort maltraité la sienne qu'elle en était morte. Un autre favori de Charles VII, Le Camus de Beaulieu, est assassiné sous les yeux de ce prince. Le comte d'Armagnac arrache un testament en sa faveur au maréchal de Séverac, qu'il a séquestré, et le fait tuer ensuite.

C'est dans ce milieu monstrueux que la bonne Lorraine est appelée à intervenir. Sa tâche en sera d'autant plus pénible, et sa sensibilité multipliera pour elle les causes de souffrance. Certains écrivains ont voulu voir en Jeanne d'Arc une sorte de virago, de vierge guerrière exaltée par l'amour des combats. Rien n'est plus faux ; cette opinion est démentie par les paroles et les actes de l'héroïne. Certes, elle sait braver le péril et s'exposer aux coups de l'ennemi. Mais, même au milieu des camps ou dans le choc des batailles, elle ne s'est jamais départie de la douceur et de la modestie inhérentes à la femme. Elle était bonne et pacifique par nature. Jamais elle ne livre un combat aux Anglais, sans les inviter préalablement à s'éloigner. Quand ils se retirent sans lutte, comme le 8 mai, devant Orléans, ou bien quand ils cèdent sous l'effort des Français, elle commande de les épargner : « Laissez-les s'en aller, disait-elle, ne les tuez pas. Leur retraite me suffit. »

Au cours des interrogatoires de Rouen, on lui demande : « Qu'aimiez-vous mieux, de votre étendard ou de votre épée ? » Elle répond : « J'aimais beaucoup plus, voire quarante fois plus mon étendard que mon épée. Je n'ai jamais tué personne ! »

Pour se garder des entraînements de la lutte, elle tenait toujours sa bannière à la main, parce que, disait-elle encore : « Je ne veux pas me servir de mon épée. » Parfois, elle se jetait au plus fort des mêlées, au risque d'être tuée ou prise. A ces moments, disent ses compagnons d'armes, elle n'était plus elle-même. Aussitôt le péril passé, sa douceur, sa simplicité reprenaient le dessus. « Quand elle se sentit blessée, dit le texte, elle eut peur et pleura, puis, après quelque temps, elle dit : Je suis consolée. » Ses craintes, ses larmes la rendent encore plus touchante à nos yeux. Elles prêtent à son caractère ce charme, cette force mystérieuse qui sont un des plus puissants attraits de son sexe.

Jeanne, disions-nous, avait le coeur sensible. Les injures de ses ennemis l'atteignaient profondément : « Quand les Anglais l'appelaient ribaude, dit un témoin, elle fondait en larmes. » Puis, dans la prière qu'elle adressait à Dieu, elle purifiait son âme de tout ressentiment, et elle pardonnait.

Au siège d'Orléans, un des principaux chefs anglais, Glasdale, l'accablait d'invectives dès qu'il l'apercevait. Il se trouvait au fort des Tourelles le jour de l'attaque, et se mit à vociférer contre elle du haut du boulevard. Peu après, lorsque la bastille fut emportée d'assaut, ce capitaine tomba tout armé dans la Loire et fut noyé : « Jeanne, - ajoute le même témoin, - émue de pitié, se prit à pleurer fortement pour l'âme de Glasdale et des autres, noyés là en grand nombre. »

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Jeanne d'Arc n'est donc pas seulement la vierge des combats. Dès que la lutte a cessé, l'ange de miséricorde reparaît en elle. Enfant, nous l'avions vue secourir les pauvres et soigner les malades. Devenue chef d'armée, elle saura enflammer les courages à l'heure du danger ; mais, aussitôt que la bataille prend fin, elle s'attendrit sur l'infortune des vaincus et s'efforce d'adoucir pour eux les maux de la guerre. A l'encontre des moeurs du temps, dans la mesure où l'intérêt supérieur de la France le permet, et au risque de sa propre vie, elle défendra les prisonniers et les blessés qu'on veut égorger. Aux mourants même, elle s'efforcera de rendre la mort moins cruelle.

Au moyen âge, la coutume était de faire « main basse sur les vaincus. Gens de petit et moyen état, dit le colonel Biottot, étaient massacrés et, quelquefois, les grands eux-mêmes. Mais Jeanne s'interpose ; état n'est pas crime, ni pour les petits ni pour les grands ; elle les veut tous saufs, s'ils ont posé les armes. A Jargeau, c'est à grand-peine qu'elle arrache à la mort le comte de Suffolk, qui commandait la forteresse, après avoir commandé le siège d'Orléans. »

Les Anglais, lorsqu'ils la tenaient en leur pouvoir et faisaient instruire son procès, auraient dû faire entrer en ligne de compte ces actes généreux de la Pucelle ; cependant, pas une voix ne s'éleva devant ses juges de Rouen pour les rappeler. Ses ennemis ne songeaient qu'à assouvir leur basse rancune.

Pourtant, il faut le reconnaître, bien avant même que le mot ait été prononcé, Jeanne a appliqué le droit des gens. Elle devançait ainsi les novateurs, qui convieront le monde à la pratique de l'égalité et de la fraternité entre les individus et les nations, qui évoqueront, dans les temps futurs, les principes d'ordre, d'équité, d'harmonie sociale, appelés à régir une humanité vraiment civilisée. A ce point de vue encore, la bonne Lorraine prépare les bases d'un meilleur avenir et d'un monde nouveau.

On le voit, Jeanne sut établir une juste mesure en toutes choses. Dans cette âme si bien équilibrée, l'amour du pays passe avant tous les autres, mais ce sentiment n'est pas exclusif, et sa pitié, sa commisération s'éveillent au spectacle de toute douleur humaine.

On a beaucoup abusé du mot humanité à notre époque, et, par une vaine et puérile sensiblerie, nous avons vu plus d'une fois des penseurs, des écrivains, faire table rase des intérêts et des droits de la France, au profit de vagues personnalités ou de groupements hypothétiques. On ne nous fera jamais entendre que l'on puisse aimer des nègres, des jaunes ou des rouges, que l'on n'a jamais vus, plus que ses proches, plus que sa famille, plus que sa mère ou ses frères. Et la France est aussi notre mère. Oui, sans doute, il faut être bon et humain envers tous. Dans bien des cas cependant, il n'y a là qu'un sophisme dont on abuse. Si nous allions au fond des choses, nous nous apercevrions tout simplement que certains de ces grands humanitaires, en se forgeant par leurs théories des devoirs fictifs, qu'ils savent bien n'avoir jamais à remplir, cherchent à en éluder d'autres, impérieux et immédiats, envers ceux qui les entourent, envers la France, leur pays.

Beaucoup, par un excès contraire, détestent tout ce qui leur est étranger : ils nourrissent une rancune aveugle pour les peuples qui se sont tournés contre nous. Que les revers ne nous rendent pas injustes, et ne nous empêchent pas de reconnaître les qualités et la bravoure des autres nations ! A la question : « Dieu hait-il les Anglais ? » Jeanne répond : « De la haine de Dieu pour les Anglais, je ne sais rien, mais il veut qu'ils quittent la France et retournent chez eux. »

Comme Jeanne, soyons équitables et ne haïssons pas nos ennemis. Sachons honorer le mérite, même chez un adversaire. Défendons nos droits, notre patrimoine quand il le faut, mais ne provoquons personne.

A ce point de vue, la vierge lorraine nous donne plus qu'une leçon de patriotisme, elle nous donne une leçon vivante d'humanité. Quand elle s'arme, c'est bien moins au nom de la loi de lutte qu'au nom de la loi d'amour, bien moins pour attaquer que pour défendre et sauver. Même sous l'armure, les plus belles qualités de la femme se révèlent en elle : l'esprit de renoncement, le don spontané, absolu de soi, la compassion profonde pour tout ce qui souffre, l'attachement poussé jusqu'au sacrifice pour l'être aimé : époux, enfant, famille, patrie, l'ingéniosité de son sens pratique et de ses intuitions pour la défense de leurs intérêts, en un mot son dévouement jusqu'à la mort pour tout ce qui lui est cher. C'est en ce sens que Jeanne d'Arc synthétise et personnifie ce qu'il y a de plus noble, de plus délicat et de plus beau dans l'âme des femmes de France.

XV. - JEANNE D'ARC ET L'IDEE DE RELIGION.

J'aime Dieu de tout mon coeur.

JEHANNE.

Jeanne a les croyances de son époque : « Je suis bonne chrétienne et je mourrai bonne chrétienne, » répondait-elle à ses juges et examinateurs, aussi souvent que ceux-ci l'interrogeaient sur sa foi. Il ne pouvait en être autrement. C'est dans les convictions et les espérances des hommes de son temps, qu'elle devait puiser les ressources, les élans nécessaires au salut de la France. Le monde invisible l'assistait ; il se révélait à elle sous les formes et les apparences familières à la religion du moyen âge. D'ailleurs, qu'importent les formes ! Elles sont variables et changeantes suivant les siècles ; quant au fond même de l'idée religieuse, il est éternel, parce qu'il touche aux sources divines.

L'idée religieuse, sous ses aspects divers, pénètre profondément toute l'histoire, toute la vie intellectuelle et morale de l'humanité. Elle s'égare, elle se trompe souvent. Ses enseignements, ses manifestations sont contestables ; mais elle s'appuie sur des réalités invisibles d'ordre permanent, immuable. L'homme ne les entrevoit que par degrés successifs, au cours de sa lente et pénible évolution.

Les sociétés humaines ne peuvent se passer d'idéal religieux. Dès qu'elles cherchent à le refouler, à le détruire, aussitôt le désordre moral augmente et l'anarchie dresse sa tête menaçante. Ne le voit-on pas à notre époque ? Nos lois terrestres sont impuissantes à réfréner le mal. Pour comprimer les passions, il faut la force intérieure et le sentiment des responsabilités que procure la notion de l'Au-delà.

L'idée religieuse ne peut périr. Elle ne se voile un instant que pour reparaître sous d'autres formes, mieux appropriées aux besoins des temps et des milieux.

Jeanne, avons-nous dit, est animée des sentiments religieux les plus élevés. Sa foi en Dieu qui l'a envoyée est absolue ; sa confiance en ses guides invisibles est sans bornes ; elle observe fidèlement les rites et les pratiques religieuses de son temps ; mais, quand elle confesse sa foi, elle s'élève au-dessus de toutes les autorités établies en ce monde.

L'ardente croyance de l'héroïne s'inspire directement des choses d'en haut ; elle ne relève que de sa conscience. En effet, à qui obéit-elle par-dessus tout ? Ce n'est pas à l'Eglise ; c'est aux voix qu'elle entend. Il n'y a pas d'intermédiaire entre elle et le Ciel. Un souffle est passé sur son front, qui lui apporte l'inspiration puissante, et cette inspiration domine toute sa vie, règle tous ses actes.

Rappelons-nous la scène de Rouen, lorsque l'évêque de Beauvais, suivi de sept prêtres, pénètre dans son cachot pour l'interroger : « Jeanne, dit l'évêque, voulez-vous vous soumettre à l'Eglise ? »

Elle répond : « Je m'en réfère à Dieu pour toutes choses, à Dieu qui m'a toujours inspirée ! »

D. « Voilà une parole bien grave. Entre vous et Dieu, il y a l'Eglise. Voulez-vous, oui ou non, vous soumettre à l'Eglise ? »

R. « Je suis venue vers le roi, pour le salut de la France, de par Dieu et ses saints esprits. A cette Eglise-là, celle de là-haut, je me soumets en tout ce que j'ai fait et dit ! »

D. « Ainsi vous refusez de vous soumettre à l'Eglise ; vous refusez de renier vos visions diaboliques ? »

R. « Je m'en rapporte à Dieu seul. Pour ce qui est de mes visions, je n'accepte le jugement d'aucun homme ! »

Dans la droiture de sa raison, Jeanne comprend bien que cette Eglise n'est pas celle de Dieu. La puissance éternelle n'a aucune part dans les iniquités humaines. Cela, elle ne peut le démontrer à l'aide d'arguments subtils et savants ; elle l'exprime par des paroles brèves, nettes, brillantes comme l'éclair qui jaillit d'une lame d'acier. Elle obéira à l'Eglise, mais à la condition que ses exigences soient conformes aux volontés d'en haut : « Dieu le premier servi ! »

Ce qui prime tout dans les vues religieuses de Jeanne d'Arc, c'est la communion par la pensée et les actes avec le monde invisible, le monde divin. C'est par elle que se réalisent les grandes choses, c'est d'elle que viennent les profondes intuitions. Cette communion n'est possible que dans certaines conditions d'élévation morale, et ces conditions, Jeanne les réunissait au plus haut degré. Pour les obtenir chez ceux qui l'entouraient, elle faisait appel à leurs sentiments religieux, les obligeant à se confesser et à communier ; elle chassait du camp les filles de joie ; elle ne marchait à l'ennemi qu'au bruit des prières et au chant des cantiques. Tout cela peut surprendre à notre époque sceptique ; en réalité, c'étaient les seuls moyens par lesquels elle pouvait provoquer, dans ces temps de foi aveugle et chez ces hommes grossiers, l'exaltation nécessaire. Dès que cet entraînement moral cesse, que les intrigues des courtisans et des jaloux ont fait leur oeuvre, dès que les habitudes vicieuses et les mauvais sentiments reprennent le dessus, on voit revenir l'heure des échecs et des revers.

Peu importent aux puissances supérieures les formes du culte et l'appareil religieux ; ce qu'on demande aux hommes, c'est l'élévation du coeur et la pureté des sentiments. Cela, on peut l'obtenir dans toutes les religions, et même en dehors et au-dessus des religions. Nous le sentons bien, nous, spirites, qui, au milieu des railleries et des difficultés sans nombre, allons de par le monde, proclamant la vérité, sans autre appui que ce soutien des Entités invisibles qui ne nous a jamais fait défaut.

Par-dessus tout, ce qui caractérise Jeanne, c'est sa confiance, confiance au succès, confiance en ses voix, confiance en Dieu. Dans la lutte ardente, aux heures indécises du combat, elle fait partager ce sentiment à tous ceux qui l'entourent et combattent près d'elle. Sa foi dans la victoire est si grande, qu'elle devient un des éléments essentiels du triomphe définitif.

Et cette confiance, toute sa vie en est imprégnée. Dans les fers, devant ses juges, elle croit encore à la délivrance finale ; elle l'affirme sans cesse avec fermeté. Ses voix lui ont dit qu'elle serait délivrée « par grande victoire ». Mais ce n'était là qu'une figure ; en réalité, il s'agissait du martyre. Elle ne l'entendit pas tout d'abord dans ce sens. Elle compta longtemps sur le secours des hommes. Remarquons que cette erreur était nécessaire. La promesse de ses voix fut sa ressource suprême aux jours douloureux du procès. Elle puisait en elle sa ferme assurance devant le tribunal. Et même à l'heure du sacrifice, elle marchera à la mort avec confiance. Son dernier cri, s'élevant du sein des flammes qui la dévorent, sera encore une affirmation de sa croyance : « Non, mes voix ne m'ont pas trompée ! »

A peine quelques doutes effleureront-ils sa pensée à Melun, à Beaurevoir, à Saint-Ouen de Rouen. Pauvre jeune fille ! qui oserait lui en faire un reproche, à son âge et dans sa situation difficile ? Le dénouement lui resta caché jusqu'au bout. Comment aurait-elle pu avancer dans sa voie ardue, si elle avait su d'avance tout ce qui l'attendait ! C'est un bienfait d'en haut qu'un voile nous cache l'heure d'angoisse, la douloureuse épreuve qui couronnera la vie. Ne vaut-il pas mieux que nos illusions s'effeuillent lentement, et que l'espérance persiste au fond de nos coeurs ? Le déchirement en sera moins grand.

A mesure cependant que Jeanne se rapproche du terme de sa carrière, la terrible vérité se dessine plus nettement : « J'ai demandé à mes voix si je serais brûlée. Elles m'ont répondu : Attends-toi à Notre-Seigneur et il t'aidera. - Prends tout en gré ; ne te chaille (soucie) de ton martyre. Tu viendras enfin en Paradis. »

Aux heures sinistres, quand toute espérance s'écroule, l'idée de Dieu est le suprême refuge. Il est vrai qu'elle n'a jamais été absente de la pensée de Jeanne. Au contraire, elle a dominé toute son existence. Mais, aux heures d'agonie, elle la pénétrera d'une intensité plus vive, elle la préservera des faiblesses du désespoir. Des profondeurs infinies descendra le rayon consolateur, qui illuminera le sombre cachot où elle endure mille maux, mille injures depuis près de six mois, et un coin du ciel s'ouvrira à son clair regard de voyante. Les choses de la terre se voilent de tristesse. L'espoir de la délivrance s'affaiblit dans son coeur. L'ingratitude, la noire perfidie des hommes, la méchanceté féroce de ses juges se montrent à elle dans toute leur laide nudité. La réalité poignante apparaît. Mais les splendeurs d'un monde plus beau filtrent à travers les barreaux de sa prison. Par-delà le gouffre effrayant qu'il faudra franchir, plus loin que le supplice, plus loin que la mort, elle entrevoit l'aube des choses éternelles.

La souffrance est, nous le savons, le couronnement d'une vie bien remplie. Rien de complet, rien de grand sans elle. C'est l'affinage des âmes, l'auréole qui nimbe le front des saints et des purs. Il n'est pas d'autre issue vers les mondes supérieurs. Et c'est là ce qu'il faut entendre par le mot « paradis », le seul capable d'exprimer aux hommes de ce siècle, l'idée de cette vie spirituelle que baignent des rayons et des harmonies qui ne s'éteignent jamais.

Jeanne n'a personne sur la terre à qui confier sa peine. Mais Dieu n'abandonne pas ses missionnaires. Invisible et présent, il est l'ami toujours fidèle, le soutien puissant, le père tendre qui veille sur ses enfants malheureux. C'est pour l'avoir méconnu, c'est pour avoir dédaigné les forces, les secours d'en haut, que l'homme actuel ne trouve plus de soutien dans ses épreuves, de consolation dans sa douleur. Si la société contemporaine s'agite fiévreuse et roule dans l'incohérence des idées et des systèmes, si le mal grandit en elle, si nulle part elle ne trouve la stabilité et le contentement intérieur, c'est qu'elle s'est attachée aux choses apparentes et de surface et veut ignorer les vraies joies, les ressources profondes du monde invisible. Elle a cru trouver le bonheur dans le développement de ses richesses matérielles, et n'a fait qu'augmenter le vide et l'amertume des âmes. De toutes parts s'élèvent les cris de fureur, les âpres revendications. La notion du devoir s'affaiblit et les bases de l'ordre social sont ébranlées. L'homme ne sait plus aimer, parce qu'il ne sait plus croire. Il se tourne vers la science. Mais la science actuelle, comme écrasée sous le poids de ses découvertes, reste impuissante à lui procurer la confiance en l'avenir et la paix intérieure.

Le matin même du supplice, Jeanne dit à maître Pierre Morice : « Par la grâce de Dieu, ce soir, je serai en paradis. »

Elle s'est résignée au martyre, et l'affrontera le coeur haut, avec une âme digne. La mort, même la plus cruelle, n'est-elle pas préférable à ce qu'elle endure depuis six longs mois ? La pensée de la mort éveille dans tout être jeune une affreuse angoisse. Cette angoisse, Jeanne la subit depuis le jour où elle est entrée dans la cage de fer de Rouen. Ce qu'elle y a souffert n'est-il pas pire que la mort ? Les espérances, les rêves de gloire, les grands desseins, tout s'est évanoui comme une fumée. Qui pourra dire tout ce qui s'est passé en cette âme angélique, dans les longues veillées du cachot, à mesure que s'approchait l'heure fatale.

« Je serai en paradis ! » disait-elle. Il faut expliquer de même façon ces autres paroles qui reflètent la croyance du temps : « Je n'ai demandé à mes voix pour récompense finale que le salut de mon âme. » Sauver son âme, c'est l'axiome des convictions catholiques, le but ultime assigné par les idées religieuses du moyen âge. Cette idée trop étroite renferme pourtant un fond de vérité. En réalité, rien n'est sauvé, rien n'est perdu, et la justice divine réserve des modes de réparation pour toutes les fautes, de relèvement pour toutes les chutes. Ce précepte devrait être modifié en ce sens : L'âme doit sortir de la vie meilleure et plus grande qu'elle n'y est entrée. Bien des moyens sont bons pour cela : le travail, l'étude, l'épreuve, la souffrance. C'est là l'objectif que nous devons avoir sans cesse devant nos yeux. Pour Jeanne, ces paroles ont un sens plus particulier encore. Son souci constant est d'accomplir dignement la mission qui lui fut confiée, et d'obtenir, pour tous ses actes et tous ses dires, la sanction de Celui qui ne se trompe jamais.

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Chez Jeanne, le sentiment religieux ne dégénère pas en bigoterie ni en préjugés puérils. Elle n'importune pas Dieu par de vaines et interminables sollicitations. C'est ce qui ressort de ses paroles : « Je ne requiers point Notre-Seigneur sans nécessité. » Elle n'hésitera pas à combattre sous Paris le jour de la Nativité, malgré les reproches que certains lui firent à ce sujet.

Elle aime à prier à l'église, surtout aux heures où celle-ci est silencieuse et solitaire, et que, dans le recueillement et le calme de la pensée, l'âme s'élance plus sûrement vers Dieu. Mais, en réalité, quoi qu'en dise Anatole France, les prêtres eurent peu d'influence sur sa jeunesse. Comme elle l'affirme au cours des interrogatoires de Rouen, ce fut sa mère qui l'instruisit des choses de la religion : « Je n'ai appris ma créance d'autre que de ma mère. »

Elle ne dit rien de ses voix et de ses visions au curé de son village, et ne prit conseil que d'elle-même pour tout ce qui avait rapport à ses Esprits protecteurs : « De croire à mes révélations, disait-elle à Rouen, je n'en demande pas conseil à évêque, curé ou autre. »

Jeanne a en Dieu une foi profonde ; cette foi est le mobile de tous ses actes et lui permet d'affronter les plus dures épreuves. « J'ai bon maître, dit-elle, savoir Notre-Seigneur, à qui je m'attends de tout et non à un autre. »

Qu'importent les vicissitudes de ce monde, si notre pensée ne fait qu'un avec Dieu, c'est-à-dire avec la loi éternelle et divine ? Toutefois, Dieu n'est pas seulement un maître. C'est un père que nous devons aimer comme les enfants aiment celui qui leur a donné la vie. Trop peu d'hommes le sentent ou le comprennent ; c'est pourquoi ils renient Dieu dans l'adversité. Mais Jeanne l'affirme en ces termes touchants : « De tout, je m'attends à Dieu, mon Créateur. Je l'aime de tout mon coeur. »

En vain, les inquisiteurs, qui ne négligent aucun moyen de la tourmenter, cherchent à l'atteindre dans ses croyances et à la pousser au désespoir. Ils lui démontrent avec une perfide insistance l'abandon apparent où elle se trouve, ses espoirs déçus, les promesses du ciel irréalisées. Elle répond invariablement : « Que Dieu m'ait failli, je le nie ! » Quel exemple pour tous ceux que l'épreuve accable, qui accusent Dieu de leurs maux et souvent le blasphèment !

Pour elle, Dieu est aussi un juge : « Je m'attends à mon juge. C'est le Roi du ciel et de la terre. » Expression naïve pour désigner la puissance qui plane au-dessus de toutes les puissances de ce monde. Pendant toute sa vie, Jeanne a été victime de l'injustice des hommes. Elle a souffert de la jalousie des courtisans et des chefs de guerre, de la haine des seigneurs et des prêtres. Les juges de Rouen s'inspirèrent non de l'équité, mais de leurs préjugés et de leurs passions, pour la condamner. Aussi, elle se tourne vers le ciel et en appelle au Juge souverain, qui pèse dans sa balance éternelle les actions des hommes. « Je m'en attends à mon juge ! » C'est le refuge des spoliés, des déshérités, de tous ceux que la partialité a blessés au coeur. Et nul ne l'invoque en vain !

Rien n'est plus touchant que sa réponse à cette question : « Savez-vous être en la grâce de Dieu ? - Si je n'y suis, Dieu m'y mette ; si j'y suis, Dieu m'y garde. Je serais la plus dolente du monde, si je savais ne pas être en la grâce de Dieu ! »

La candeur de cette âme angélique a su déjouer la ruse de ses bourreaux. Leur question insidieuse pouvait la perdre. En répondant affirmativement, elle faisait preuve de présomption ; négativement, elle s'avouait coupable et justifiait toutes les suspicions. Mais son innocence déjoue leurs ruses astucieuses. Elle s'en remet au suprême Juge, qui, seul, sonde les coeurs et les consciences. Faut-il voir dans ces paroles la manifestation d'un sentiment de foi exquise, ou bien une de ces inspirations soudaines dont elle était gratifiée ? Quoi qu'il en soit, c'est là un des propos les plus admirables que nous devions à cette enfant de dix-neuf ans.

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En toutes circonstances, Jeanne se considère comme un instrument de la volonté divine, et ne fait rien sans consulter les puissances invisibles. Elle n'agit que sur l'ordre d'en haut : « C'est l'heure quand il plaît à Dieu. Il faut besogner quand Dieu veut. Travaillez, Dieu travaillera. »

On le voit : d'après elle, l'intervention divine ne se manifeste pas seulement dans sa propre vie, mais dans toute vie. Tous nos actes doivent concorder avec le plan divin. Avant d'agir, chacun de nous doit interroger sa conscience profonde, qui est la voix divine en nous. Elle nous dira dans quel sens nous devons diriger nos efforts. Dieu n'agit en nous et avec nous que par notre libre concours. Quand notre volonté et nos actes coïncident avec sa loi, notre oeuvre devient féconde pour le bien, et les effets en rejaillissent sur toute notre destinée.

Mais peu d'hommes écoutent la voix qui s'élève en eux aux heures solennelles. Emportés par leurs passions, leurs désirs, leurs espérances et leurs craintes, ils se jettent dans le tourbillon de la vie, pour conquérir ce qui leur est le plus préjudiciable ; ils s'étourdissent et s'enivrent de la possession des choses contraires à leurs vrais intérêts, et c'est seulement sur le tard de la vie que leurs illusions tombent, que leurs erreurs se dissipent, que le mirage des biens matériels s'évanouit. Alors apparaît le cortège des mornes déceptions ; nous constatons que notre agitation a été vaine, pour n'avoir pas su étudier et saisir les vues de Dieu sur nous et sur le monde. Heureux alors ceux à qui la perspective des existences à venir offre la possibilité de reprendre la tâche manquée, et de mieux employer les heures !

Celui qui n'a pas su voir la grande harmonie qui règne sur toutes choses, et le rayonnement de la pensée divine sur la nature et dans la conscience, celui-là est inhabile à mettre ses actes en concordance avec les lois supérieures. A son retour dans l'espace, lorsque le voile tombe, il aura l'amertume de constater que tout est à recommencer, avec un esprit nouveau et une conception plus juste, plus élevée, du devoir et de la destinée.

Pourtant, objectera-t-on, il n'est pas toujours facile de connaître l'heure de Dieu ; ses volontés sont obscures, parfois impénétrables. Oui, sans doute, Dieu se dérobe à nos regards et ses voies sont souvent incertaines pour nous. Mais Dieu ne se dissimule ainsi que par nécessité, et pour nous laisser une liberté plus entière. S'il était visible à tous les yeux, si ses volontés s'affirmaient avec puissance, il n'y aurait plus d'hésitation possible et, partant, plus de mérite. L'Intelligence qui dirige l'univers physique et moral se dérobe à nos regards. Les choses sont disposées de telle façon que nul ne soit obligé de croire en elle. Si l'ordre et l'harmonie du Cosmos ne suffisent pas à convaincre l'homme, il est libre. Rien ne contraint le sceptique d'aller à Dieu. Dieu se cache pour nous obliger à le rechercher, et parce que cette recherche est le plus noble exercice de nos facultés, le principe de leur plus haut développement. Mais, vienne une heure grave et décisive, si nous voulons bien y prendre garde, il y a toujours autour de nous ou en nous-mêmes un avertissement, un signe qui nous dicte le devoir. C'est notre inattention, notre indifférence aux choses d'en haut, à leur manifestation dans notre vie, qui cause notre irrésolution, notre incertitude. Pour l'âme avertie qui les appelle, les sollicite, les attend, elles ne restent pas muettes : par mille voix, elles parlent clairement à notre esprit, à notre coeur. Des faits se produiront, des incidents surgiront d'eux-mêmes, qui nous indiqueront les résolutions à prendre. C'est dans la trame même des événements que Dieu se révèle et nous instruit. A nous de savoir saisir et comprendre, au moment opportun, l'avis mystérieux et à demi voilé qu'il nous donne, mais n'impose pas.

Jeanne, dans son bon sens, à la fois candide et profond, sait bien définir cette action providentielle dans notre vie. Les juges de Rouen lui demandent : « Présentement, partiriez-vous si vous voyiez un point de sortie ? - Si je voyais la porte ouverte, je m'en irais, dit-elle, et ce me serait le congé de mon Seigneur. »

En tout temps, la volonté d'en haut a été la sienne. « Il faut que j'aille, dit-elle à Jean de Metz qui l'interroge à Vaucouleurs, il faut que j'aille et que je le fasse, parce que mon Seigneur le veut. - Et quel est votre Seigneur ? - C'est Dieu ! » répond-elle simplement. Ni périls ni dangers ne la retiendront. Commentez aussi ces paroles par lesquelles elle s'élève bien au-dessus du miroitement des gloires ou des tristesses humaines, jusqu'aux régions de la calme et pure sérénité : « Qu'importe, pourvu que Dieu soit content ! »

Et ceci encore qui touche au sublime. Prise à Compiègne et traînée de prison en prison jusqu'au cachot, jusqu'au bûcher de Rouen, elle bénit la main qui la frappe. A ses juges qui cherchent à exploiter sa douleur et à ébranler sa foi en la mission reçue du ciel, elle répond : « Du moment que cela a plu à Dieu, je crois que c'est pour le mieux que j'aie été prise. »

Ceci est plus grand et plus beau que tous ses succès et toutes ses victoires.

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En résumé, c'est en vain qu'on chercherait à torturer les textes et les faits pour démontrer que Jeanne d'Arc fut, en tout point, d'une orthodoxie parfaite. Son indépendance religieuse éclate à chaque instant dans ses paroles : « Je m'en rapporte à Dieu seul. »

Le langage de Jeanne, son intrépidité au milieu des souffrances et devant la mort ne rappellent-ils pas nos ancêtres gaulois ? Devant ce tribunal de Rouen, la vierge lorraine nous apparaît comme le génie de la Gaule, se redressant, superbe, devant le génie de Rome pour revendiquer les droits sacrés de la conscience. Elle n'admet pas d'arbitre entre elle et le ciel. Toute la dialectique qu'on lui oppose, toutes les subtilités de l'argumentation et les forces de l'éloquence, tout vient se briser contre cette volonté ferme, cette calme assurance, contre cette confiance inébranlable en Dieu et ses messagers. La parole de Jeanne a raison de tous les sophismes : à ses accents, ils s'effondrent en poussière. C'est une aurore qui luit sur ces ténèbres du moyen âge, les illuminant d'une douce clarté.

Remarquez que nous sommes au moment où vient de paraître l'Imitation de Jésus-Christ (1424), oeuvre attribuée à Gerson, mais dont le véritable auteur est resté inconnu. C'est un des premiers cris d'affranchissement de l'âme chrétienne, qui se libère du dogme et communie directement avec son Dieu, sans nul intermédiaire.

Toutefois, Jeanne ignore ce qui est du domaine des lettres. Point n'est besoin pour elle d'études préalables : elle a l'intuition de la vérité. Sa force est dans sa foi, dans sa piété profonde, piété indépendante, avons-nous dit, se dressant au-dessus des conceptions étroites, mesquines, de son époque et montant droit vers le ciel : tel fut son crime et la raison de son martyre.

Aussi n'est-ce pas un des spectacles les moins étranges de nos temps troublés, que de voir l'Eglise romaine sanctifier celle qu'autrefois elle considérait comme hérétique. La mémoire de Jeanne a toujours été funeste à l'Eglise. Déjà au quinzième siècle, le procès de réhabilitation lui avait porté un coup violent. Il entraîna la chute de l'inquisition en France, et ce fut là encore un des bienfaits de l'héroïne. Ce sinistre tribunal fut achevé par un procès contre les Vaudois, en 1461.

Ce n'est point par l'effet d'un simple hasard, que tous les regards se portent de nouveau vers cette idéale figure. Il y a là un pressentiment presque unanime, une aspiration inconsciente de l'humanité civilisée, et comme un signe de l'avenir. L'Eglise romaine, en mettant Jeanne d'Arc sur ses autels, a fait un geste gros de conséquences ; elle a signé spontanément sa propre condamnation.

Cette jeune femme du quinzième siècle, qui a conversé directement avec ses voix et lu si clairement dans le monde invisible, est l'image de l'humanité prochaine, qui conversera, elle aussi, directement avec le monde des Esprits, sans l'intermédiaire des sacerdoces officiels, sans le secours des rites, dont l'Eglise a perdu le sens et laissé s'oblitérer la vertu. L'heure est venue où, de nouveau, la grande âme de Jeanne plane sur le monde en communion avec l'invisible, et inaugure le règne des adorations en esprit et en vérité.

Et comme c'est la loi, que toutes les grandes et saintes choses doivent germer dans la souffrance et être sacrées par la douleur, il est juste que les temps nouveaux et l'ère de l'Esprit pur, s'inaugurent sous le patronage de celle qui fut la victime de la théologie et la martyre de la médiumnité.

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Chaque religion est un reflet de la pensée éternelle mêlé aux ombres et aux imperfections de la pensée humaine. Il est parfois difficile de dégager les vérités qu'elle contient, des erreurs accumulées par l'oeuvre des siècles. Cependant, ce qu'il y a de divin en elle projette une lumière qui éclaire toute âme sincère. Les religions sont plus ou moins vraies ; elles sont surtout les stations que l'esprit humain parcourt, pour s'élever vers des conceptions toujours plus larges, de l'avenir de l'être et de la nature de Dieu. Les formes, les manifestations religieuses sont discutables ; elles sont passagères et changeantes ; le sentiment profond qui les inspire, leur raison d'être ne l'est pas.

L'humanité, dans sa marche vers ses destinées, est appelée à se faire une religion toujours plus pure, dégagée des formes matérielles et des dogmes, sous lesquels la pensée divine est trop souvent ensevelie. C'est une idée fausse et dangereuse que de vouloir détruire les conceptions religieuses du passé, comme certains songent à le faire. La sagesse consiste à prendre en elles les éléments de vie qu'elles contiennent, pour construire l'édifice de la pensée future, dont le couronnement s'élèvera toujours plus haut vers le ciel.

Chaque religion apportera à la foi de l'avenir un rayon de la vérité : le druidisme, le bouddhisme lui donneront leur notion des vies successives ; la religion grecque, la divine pensée enfermée dans la nature ; le christianisme, la révélation plus haute de l'amour, l'exemple de Jésus vidant la coupe des douleurs et se sacrifiant pour le bien des hommes. Si les formes du catholicisme sont usées, la pensée du Christ est toujours vivante. Son enseignement, sa morale, son amour, sont encore la consolation des coeurs meurtris par les âpres luttes d'ici-bas. Sa parole peut être renouvelée ; les côtés voilés de sa doctrine, remis en lumière, réservent des trésors de beauté aux âmes avides de vie spirituelle.

Notre temps marquera une étape décisive de l'idée religieuse. Les religions, vieillies, affaissées sous le poids des siècles, ont besoin de s'infuser d'autres principes régénérateurs, d'élargir leurs conceptions du but de l'existence et des lois de la destinée.

L'humanité cherche sa voie vers de nouveaux foyers. Parfois, un cri d'angoisse, une plainte douloureuse, monte des profondeurs de l'âme vers le ciel. C'est un appel à plus de lumière. La pensée s'agite fiévreusement au milieu des incertitudes, des contradictions et des menaces de notre temps. Elle cherche un point d'appui, pour prendre son essor vers des régions plus belles et plus riches, que toutes celles qu'elle a parcourues jusqu'ici. Une sorte d'intuition sourde la pousse en avant, il y a au fond de l'être un besoin impérieux de savoir, de connaître, de pénétrer le mystère auguste de l'univers et le secret de son propre avenir.

Et voilà que, peu à peu la route s'éclaire. La grande loi se révèle, grâce aux enseignements de l'Au-delà. Par des moyens variés : typtologie, messages écrits, discours prononcés dans la transe, les Esprits-guides et inspirateurs nous fournissent, depuis un demi-siècle, les éléments d'une nouvelle synthèse religieuse. Du sein des espaces, un courant puissant de force morale et d'inspiration découle sur la terre.

Nous avons exposé ailleurs les principes essentiels de cet enseignement. Dans notre livre : Christianisme et Spiritisme, nous avons traité plus particulièrement de la question religieuse. Sur ce problème vital, qui soulève tant de contradictions passionnées, ce qu'il importe surtout de faire connaître au lecteur, c'est la pensée directe de nos guides invisibles, les vues des grands Esprits de l'espace, des Entités tutélaires qui planent au-dessus de nous, loin des compétitions humaines et qui, jugeant de plus haut, jugent mieux.

C'est pourquoi nous reproduisons ci-après quelques-uns des messages récents, obtenus par voie médianimique, parmi ceux ayant trait à la fois au problème religieux, pris dans son ensemble, et à la canonisation de Jeanne d'Arc.

MESSAGES

Juin 1909. Improvisation dans l'état de transe :

« L'Eglise s'en va. Elle a une énergie, une orientation factices. Cette énergie lui vient de la désorganisation des partis qui lui sont opposés. Elle est seule debout en face des écoles matérialistes. Elle seule représente l'âme en face du matérialisme et de la science. De l'heure où la science consacrera l'âme, l'Eglise s'écroulera. L'Eglise est un mieux relatif. Tous ceux qui sont épris de la vie de l'âme, se réfugient dans l'Eglise, parce qu'ils n'ont rien d'autre. Bien des âmes ne peuvent se faire une foi personnelle ; elles demandent à d'autres leur croyance et trouvent plus commode de s'adresser à l'Eglise. Mieux vaut croire au catholicisme que de ne croire à rien. Mais du jour où se constituera une philosophie scientifique, artistique et littéraire qui synthétisera l'idéal, l'Eglise actuelle disparaîtra. L'Eglise n'a reçu dans son sein que les arts et les lettres, mais non la science. Elle rejette une partie de la connaissance ; aussi devra-t-elle céder le pas à une philosophie qui embrassera tout le savoir humain. Nous disons : philosophie et non religion, parce que ce dernier mot a aujourd'hui le sens de secte. »

« La Réforme a séduit certaines âmes, parce qu'elle permettait d'unir la morale à la religion. Tout était permis alors par l'Eglise, pourvu que l'on sût se faire pardonner par de l'argent. La vente des indulgences était publique. Tout le monde voyait d'un côté la morale, de l'autre la religion. La question morale a ébranlé l'Eglise ; aujourd'hui, ce sera la science qui l'achèvera ; à l'heure où les hommes sauront, l'Eglise s'écroulera. »

« Nous ne pleurons pas sur sa disparition. L'Eglise n'est dans l'histoire, qu'une des formes de l'idée religieuse en marche. L'Eglise a fait du bien, et nous aimons mieux voir ce bien que le mal qu'elle a causé ; par-dessus tout, nous aimons à voir en elle la grande figure du Christ qui l'a fondée. Nous verrons toujours l'évangile dans la messe ; c'en est le véritable point central et non pas l'élévation, comme beaucoup le croient. Nous aimons cet évangile ; c'est lui qui nous attire encore aujourd'hui dans certaines cathédrales. Nous aimons l'Eglise, nous la vénérons comme tout ce qui a apporté quelque chose de grand à l'humanité. »

« Plus tard, nous vénérerons encore davantage celui qui apportera une nouvelle parole de

vie, cet Esprit de Vérité, annoncé depuis longtemps. Ce sera un homme de science, un savant, un philosophe et, surtout, un homme d'une sensibilité exquise. Les Mahométans l'attendent aussi. Toutes les religions l'ont promis. Il faut que toutes les âmes se sentent désorientées, que toutes sentent la nécessité de sa venue. La dissolution est plus profonde qu'à l'époque où le Christ est apparu, le désir de savoir aussi. Tous les peuples sont pressurés par les gouvernements. L'heure vient. »

« C'est sur les bases du christianisme que s'élèvera la religion nouvelle, comme le christianisme s'est élevé sur le judaïsme. L'ancienne Eglise, comme la loi de Moïse, sera rénovée, améliorée. »

JEROME DE PRAGUE.

Juillet 1909 ; par l'incorporation :

« Que sont ces dogmes et ces mystères ? Cherchons le sens des religions ! »

« La religion s'entoure d'un appareil sombre et redoutable. Tout, croit-elle, est su, connu, découvert. Erreur profonde ! »

« La vérité ne peut pas être séparée de Dieu. Elle ne peut pas être un symbole. C'est un rayon descendu de son front divin. Nous avons Dieu en nous, mais non pas par son corps de chair (l'hostie). »

« C'est par ses messagers que s'accomplit le sacrifice divin. Dieu est en nous par les radiations de sa vérité. Mais celle-ci n'est pas connue ; elle est espérée. Il faut savoir l'aimer pour qu'elle descende jusqu'à nous. »

« L'homme est perfectible à l'infini. C'est une faute grave de briser devant lui les perspectives de l'avenir. La miséricorde divine lui donne, avec l'espoir, la réparation toujours possible de ses fautes. »

« L'Eglise dit à l'homme : Laisse-nous te diriger. Elle oublie qu'elle devient ainsi responsable de la conduite des âmes devant Dieu. Et si l'Eglise est Dieu, Dieu serait responsable de la conduite des âmes ; c'est faux ! L'homme pourrait s'endormir ainsi dans la confiance qu'il est assez dirigé. »

« L'Eglise a souvent été une marâtre pour ceux qui vivaient dans son sein. Elle a brisé toutes les intelligences qui dépassaient un certain niveau. Ce qui l'a perdue, c'est l'amour de la matière, la puissance temporelle, le désir de la domination. L'enivrement du pouvoir l'a envahie. Elle a bu à la coupe de l'orgueil. Ce sera la cause de sa décadence, car la matière ne peut donner la vie. »

« La puissance temporelle s'est écroulée ; les autres suivront. Respectons l'Eglise comme on respecte les personnes âgées, qui ont fait de grandes choses dans leur jeunesse. Mais, aujourd'hui, les foules s'éloignent. Les nefs restent solitaires en dehors des grandes cérémonies. »

« L'Eglise n'aime plus assez ; c'est pour cela qu'elle meurt. Aimer davantage : c'est toute la pensée du Christ. Il a aimé les hommes plus que lui-même, comme Jeanne a aimé la France. C'est ce que l'Eglise ne sait plus faire. Il fallait gouverner les âmes par l'amour et non par la crainte. Jean a dit : « Aimez-vous, c'est toute la religion ! »

« Le Christ a aimé Thomas, qui doutait, jusqu'à se matérialiser et lui faire toucher ses plaies. Mais l'Eglise n'aime pas ceux qui doutent ; elle les repousse. Pour qu'une foi soit réelle, il faut l'amour qui la rend féconde. L'amour est le levier de l'humanité. C'est ce que l'Eglise a oublié, et c'est pourquoi elle est destinée à s'affaiblir de plus en plus. »

« Il faut la saluer, parce qu'elle a reçu autrefois la pensée du Christ. Maintenant, elle a donné tout ce qu'elle pouvait donner ; elle a fait son temps. Elle n'a pas compris ce siècle. Elle croit que tout dort dans le passé. Mais au lieu de remuer la cendre des vieux souvenirs, il faut songer aux devoirs envers les hommes du présent et préparer les temps futurs. »

« Pas de haine ! Il faut la plaindre et la laisser s'éteindre doucement. On ne crie pas contre ceux qui vont mourir. Que la paix soit sur elle ! Que l'on prie pour elle ! »

« Quant à son attitude envers Jeanne, elle s'explique ainsi : Elle a voulu se faire une sainte populaire et, par là, ressaisir un peu de l'influence perdue. Et comme le patriotisme s'affaiblit, elle cherche à reprendre cette idée à son profit. Elle ramasse l'épée de Jeanne et s'en fait une arme pour combattre ses ennemis. Mais ce ne sont pas ses anciennes victimes qui peuvent ou veulent la défendre à cette heure. »

« Manifestation plus matérielle que spirituelle ! Il fallait agir autrement et instruire un nouveau procès pour établir les responsabilités, accabler Cauchon et dégager Rome. Le procès de réhabilitation a été fait sur les textes. On n'a pas incriminé les juges ; on a reconnu, maintenu leur validité. Il ne suffit pas de tonner contre eux du haut de la chaire ; il fallait un acte plus solennel. L'Eglise n'a pas eu le courage de ses actes et de sa politique. »

JEROME DE PRAGUE.

Juillet 1909 ; par l'écriture médianimique :

« L'Eglise est souvent en contradiction avec ses enseignements. Elle demande à l'âme de se purifier, de s'améliorer, d'abandonner ses erreurs ; mais elle se déclare seule omnisciente et omnipotente. Elle n'admet pas que sa connaissance d'autrefois ne puisse plus suffire aujourd'hui ; elle croit que le monde s'est arrêté sous la nef des cathédrales gothiques. En réalité, On ne demande pas à l'homme instruit et sceptique de votre siècle ce qu'on pouvait exiger de ceux qu'épouvantaient les châtiments éternels. Les temps ont accompli leur oeuvre ; ils ont amoncelé les ruines. Les âmes se sont renouvelées et, seule, l'Eglise s'est acharnée à étayer son ancien édifice, à reconstruire continuellement la redoutable forteresse. Elle s'est ainsi peu à peu séparée du monde ; elle s'est complue dans la satisfaction de la puissance et de l'orgueil ; mais elle a oublié l'histoire des civilisations. »

« Les exigences de l'évolution que subissent les âmes sont si puissantes qu'elles rénovent la foi et la science. Les anciennes croyances s'oublient pour d'autres, et l'Eglise, à son tour, devrait monter vers la lumière. Elle devrait être la voie naturelle des âmes allant vers Dieu, et leur offrir toutes les ressources réclamées par des intelligences éprises de beauté, de grandeur, de vérité plus parfaite. »

« L'Eglise donne à l'homme adulte les mêmes devoirs qu'à l'enfant. Ses explications, ses commandements sont les mêmes pour tous. Elle porte partout le désir d'unité et la volonté de fixer les âmes dans la contemplation de ses dogmes. »

« Le souci continuel de sa vie et de son existence devrait faire comprendre à l'Eglise qu'il serait habile et fort d'abandonner, à l'heure voulue, les procédés qui avaient suffi à gouverner le monde autrefois. On n'attire pas l'homme par les mêmes paroles que l'enfant, et ce qui réussissait pour les peuples des siècles passés est insuffisant aujourd'hui. Des esprits habiles l'ont senti ; ils ont essayé de donner un sens mystique et spirituel à ses dogmes, de les montrer comme les symboles de quelque grande pensée. Mais l'Eglise, comme institution, n'est pas accessible à la sublime réflexion. Les médiocrités se sont emparées du pouvoir et l'on a vu ces essais inutiles rudement réprimés, car si cette réforme avait été accomplie pour la foi, elle aurait dû l'être aussi pour la conduite à tenir. Il fallait avoir le courage de tout symboliser, de montrer que l'Eglise avait conduit les peuples et les rois parce qu'ils n'étaient encore qu'en enfance ; il fallait réprouver les erreurs, châtier le passé et hautement renier tout ce qui n'était pas d'accord avec ces nouvelles vues. On eût été politique. L'Eglise, en effet, aujourd'hui n'est plus une religion au sens propre du mot : elle ne cherche pas à unir les âmes, mais à gouverner les corps par tous les moyens. Pour gouverner les corps, il faut se rendre maître des âmes, et il eût été adroit de les attirer par quelques gestes habiles, par la glorification de quelques âmes honorées de tous. »

« En ces temps troublés, où l'Eglise semble soutenir le suprême combat, elle se veut donner un puissant auxiliaire dans la personne de Jeanne. Il fallait nettement accuser d'imposture les juges, et montrer en eux les agents d'une autorité non reconnue. L'Eglise a si maladroitement rejeté de son sein tant de grands hommes, qu'elle aurait pu facilement faire quelques victimes de plus, et elle avait ainsi l'occasion tout indiquée de placer parmi ses saints quelques-unes de ses autres victimes, sur lesquelles s'étend la pitié des âmes croyantes elles-mêmes. Comme institution, elle pouvait le faire. Elle a longtemps défendu les juges de Jeanne, et maintenant elle cherche à justifier l'ancienne hérétique, mais bien des croyants se demandent où est le coupable dans cette triste tragédie de Rouen. »

« Aujourd'hui, sachant parfaitement qu'elle est une sainte, le peuple a placé Jeanne parmi les protectrices de la patrie, mais l'Eglise a voulu se glisser derrière son piédestal, se substituer à elle en la plaçant parmi ses élues. Personne ne peut le nier : Jeanne est plus aimée que l'Eglise, et celle qui la condamna ne réussira pas à la défigurer. Mais nous ne pouvons pas accepter cette béatification, qui est une manoeuvre de l'Eglise, car c'est encore une fois un de ces actes par lesquels l'Eglise s'est rendue trop célèbre : une demi-lâcheté, causée par un calcul où le désir de vérité est masqué par l'intérêt. »

JEROME DE PRAGUE.

Juillet 1909 ; par l'incorporation :

« Aimez Dieu par-dessus tout. Là est la force qui vous libérera de ce monde matériel et vous fera supporter les flammes de la douleur. »

« Cet amour m'a donné toute énergie, toute puissance. »

« Je suis dolente de voir que les Français se disputent mon âme. »

« Je pardonne tout à l'Eglise, excepté son enseignement. Je ne lui pardonne pas de répandre des erreurs et l'épouvante dans les âmes. »

« L'Eglise s'éteint. Bénissons-la pour le bien qu'elle a fait. Plaignons-la du mal qu'elle a accompli. »

« Je suis son guide et non son défenseur. »

« Que la France redevienne consciente de son rôle, qui est de répandre dans le monde des clartés toujours plus vives. »

« Les temps sont venus. L'Esprit de Vérité, annoncé par le Christ, est proche. Il naîtra parmi vous. Le christianisme n'a pas été compris. Il était venu pour tirer l'âme de la souffrance et de l'inconscience. Maintenant, d'autres vérités supérieures vont luire. »

JEHANNE.

XVI. - JEANNE D'ARC ET L'IDEAL CELTIQUE.

O terre de granit, recouverte de chênes !

BRIZEUX.

Un soir, l'Esprit de J. Michelet, précédant et annonçant celui de Jeanne d'Arc, nous tenait ce langage, au cours d'une de nos séances d'études : « Jeanne acquit dans ses existences antérieures le sentiment des grands devoirs qu'elle aurait à remplir. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois dans ces temps lointains. Ce lien, établi entre elle et nous, l'attire. De même qu'elle m'a inspiré, elle vous inspirera. Mon livre n'a été qu'un écho de sa passion pour la France et pour la vérité. Maintenant, elle va descendre vers vous, pour vous apporter une parcelle de la vérité divine. »

Nombreuses ont été les existences de Jeanne sur la terre, comme celles de toutes les âmes qui parcourent avec nous le cycle immense des évolutions. Il y en eut de brillantes, vécues sur les marches d'un trône ; il y en eut d'obscures, mais toutes ont été bienfaisantes pour autrui, fécondes pour son propre avancement.

Ses premières vies terrestres se succédèrent à l'époque celtique, au pays d'Armor. C'est là que sa personnalité s'imprégna de ce génie particulier, fait d'idéal, d'intrépidité et de poésie rêveuse, que l'on retrouve en elle au quinzième siècle.

Dès son enfance à Domremy, elle aimait à fréquenter les lieux où s'accomplirent les rites druidiques : les bosquets de chênes, témoins des anciens appels aux âmes, les fontaines sacrées, les monuments de pierre brute que l'on rencontrait çà et là aux environs de son village. Elle aimait à s'enfoncer dans la forêt profonde, à en écouter les harmonies, lorsqu'elle frémit et vibre comme une harpe gigantesque sous les souffles du vent. De son regard de voyante, elle distinguait sous ses voûtes les ombres mystérieuses de ceux qui présidaient aux évocations et aux sacrifices. Parmi ses guides invisibles, on pouvait rencontrer les Esprits protecteurs des Gaules, ceux-là mêmes qui, dans tous les siècles, assistent les fils d'Arthur et de Merlin, et donnent à ceux qui luttent pour une noble cause, la volonté et l'amour qui mènent à la victoire.

En vain le gui est mort sur les branches, en vain la flamme sacrée s'est éteinte dans les foyers, la foi aux vies immortelles et aux mondes supérieurs vivra toujours dans le coeur de Jeanne. Tous les historiens qui ont su analyser et comprendre son caractère, ont reconnu en elle ce double courant celtique et chrétien, dont tout à l'heure, elle nous indiquera elle-même l'origine. Henri Martin, notamment, l'avait constaté dans les pages de son Histoire. Il l'appelle d'abord en ces termes les souvenirs celtiques, encore vivants au temps de l'héroïne :

« Près de la maison de Jeanne d'Arc, un sentier montait, à travers des touffes de groseilliers, vers le sommet du coteau ; la crête boisée se nommait le Bois Chesnu. A mi-côte, jaillissait, sous un grand hêtre isolé, une fontaine, objet d'un culte traditionnel. Les malades tourmentés de la fièvre venaient, de temps immémorial, chercher leur guérison dans ces eaux pures... Des êtres mystérieux, antérieurs chez nous au christianisme, et que nos paysans n'ont jamais consenti à confondre avec les esprits infernaux de la légende chrétienne, les génies des eaux, des pierres et des bois, les dames faées hantaient le hêtre séculaire et la claire fontaine. Le hêtre s'appelait le Beau Mai. Au retour du printemps, sous l'arbre de mai, « beau comme les lis », les jeunes filles venaient danser et suspendre aux rameaux, en l'honneur des fées, des guirlandes qui disparaissaient, disait-on, pendant la nuit. »

Henri Martin décrit ensuite les impressions de la vierge lorraine :

« Les deux grands courants du sentiment celtique et du sentiment chrétien, qui s'étaient unis pour enfanter la poésie chevaleresque, se mêlent de nouveau pour former cette âme prédestinée. La jeune pastoure tantôt rêve au pied de « l'arbre de mai » ou sous les chênes... tantôt s'oublie au fond de la petite église, en extase devant les saintes images qui resplendissent sur les vitraux... Quant aux fées, elle ne les a jamais vues mener au clair de lune les cercles de leur danse autour du beau mai ; mais sa marraine les a rencontrées jadis, et Jeanne croit apercevoir parfois des formes incertaines dans les vapeurs du crépuscule : des voix gémissent le soir entre les rameaux des chênes ; les fées ne dansent plus ; elles pleurent ; c'est la plainte de la vieille Gaule qui expire ! »

Enfin, parlant du procès de Rouen, le même auteur dit encore :

« Jeanne sut opposer le libre génie gaulois à ce clergé romain qui veut prononcer en dernier ressort sur l'existence de la France. Par elle, le génie mystique revendique les droits de la personne humaine avec la même force que le génie philosophique ; la même âme, la grande âme de la Gaule, éclose dans le Sanctuaire du Chêne, éclate également dans le libre arbitre de Lérins et du Paraclet, dans la souveraine indépendance de l'inspiration de Jeanne et dans le Moi de Descartes. »

Jeanne elle-même, confirmant ces vues, s'exprimait ainsi, dans un message dicté à Paris, en 1898 :

« Remontons, pendant un instant, le cours des âges, afin de vous apprendre quel chemin j'ai parcouru pour me préparer à cette étape douloureuse que vous connaissez.

« Elles ont été multiples, les existences qui ont contribué à mon avancement spirituel. Elles se sont écoulées dans la vieille Armorique, sous le dôme des grands chênes séculaires, couverts du gui sacré. C'est là que, lentement, je me suis acheminée vers l'étude des lois de l'esprit et le culte de la patrie.

« O heures bénies entre toutes, où le barde, par ses chants d'allégresse, faisait retentir nos coeurs et ouvrait nos yeux à la lumière, en nous laissant entrevoir les merveilles de l'infini ! Il nous enseignait alors que le passage du trépas à la résurrection glorieuse de l'Esprit dans l'espace, n'était qu'une simple transformation, sombre ou lumineuse, selon que l'homme suivait la voie de la justice et de l'amour ici-bas, ou qu'il se laissait dominer par les forces passionnelles de la matière. Il nous faisait comprendre les lois de la solidarité et de l'abnégation ; il nous enseignait ce qu'était la prière et nous disait : « Prier, c'est triompher ; la prière, c'est le moteur dont se sert la pensée pour stimuler les facultés de l'Esprit, qui sont pour lui, dans l'espace, ses outils. La prière est l'aimant puissant duquel se dégage le fluide magnétique spirituel, qui, non seulement peut soulager et guérir, mais qui ouvre à l'esprit des horizons sans fin, et lui permet de satisfaire ce désir de connaître et de se rapprocher sans cesse de cette source divine, d'où toute chose découle. La prière est le fil conducteur qui met la créature en relation avec le Créateur et ses missionnaires célestes. »

« Un jour, pénétrée de ces vérités, je m'endormis et j'eus la vision suivante : J'assistai d'abord à bien des combats, hélas ! qu'il était impossible d'éviter en raison du libre arbitre de chacun, mais surtout à cause de l'amour de l'or et de la domination, ces deux fléaux de l'humanité. Puis je vis aussi clairement la grandeur future de la France et son rôle civilisateur dans l'avenir. Je résolus de m'y attacher tout spécialement.

« Aussitôt une foule sympathique m'entoure. La majeure partie pleurait et regrettait ma perte. Puis, le poison, le gibet, le bûcher, passent lentement devant moi. Je sentis les flammes consumer ma chair et je m'évanouis !... mais des voix amies me rappelèrent à la vie et me dirent : « Espère ! La phalange céleste qui a pour mission de veiller sur ce globe, t'a choisie pour la seconder dans son oeuvre, et pour ton avancement spirituel. Mortifie ta chair, afin que ses lois ne puissent entraver ton esprit. L'épreuve sera courte, mais rude. Prie, et la force te sera donnée ; tu recueilleras de ta mission les bénédictions de tous dans l'avenir. Tu assureras le triomphe de la foi raisonnée sur l'erreur et la superstition. Prépare-toi à faire en tout la volonté du Seigneur, afin que, l'heure venue, tu aies acquis assez de force morale pour résister aux hommes et obéir à Dieu ! En suivant ces conseils, les messagers célestes viendront vers toi, tu entendras leurs voix, ils te guideront et te conseilleront ; tu peux être sans crainte, ils ne t'abandonneront pas !

« Comment décrire l'élan suprême qui s'empara de moi ! Je sentis l'aiguillon de l'amour pénétrer tout mon être. Je n'eus plus qu'un but : travailler à l'affranchissement spirituel de cette contrée bénie, dans laquelle je venais de goûter au pain de vie et de boire à la coupe des forts. Cette vision fut pour mon âme un viatique céleste. »

*

*        *

Là-bas, aux confins du continent, comme une immense citadelle à laquelle la mer et la tempête livrent un éternel assaut, se dresse une terre étrange, austère, recueillie, propice à l'étude, aux méditations profondes.

Au centre, en un vaste plateau, s'étendent, à perte de vue, les landes parsemées de bruyères roses, de genêts d'or, d'ajoncs épineux. Puis, les champs de blé noir alternent avec les pommiers rabougris ; des bois de chênes, si épais qu'aucun rayon de lumière ne pénètre sous leurs ramures, bordent l'horizon.

C'est la Bretagne, le sanctuaire de la Gaule, le lieu sacré où dort l'âme celtique de son lourd sommeil de vingt siècles.

Que de fois j'ai parcouru, le bâton à la main, ses halliers, ses ravins sauvages, ses criques découpées par le flot ! que de fois j'ai interrogé l'Océan du haut de ses promontoires de granit ! Je connais les plis et les replis de ses côtes et de ses vallées. Je connais les solitudes de ses forêts ombreuses et murmurantes : Kénécan, Coatmeur et, par-dessus tout, Brocélyande, où dort Merlin, le barde gallois à la harpe d'or, l'enchanteur enchanté par Viviane, la belle fée, qui symbolise la nature, la matière, la chair. Mais Merlin se réveillera, car Radiance, son âme inspirée, son génie immortel, veille et, vienne l'heure, saura l'arracher, lui et ses fils, aux voiles du sensualisme, qui paralysent leur action et arrêtent l'essor de leur pensée.

La Bretagne ne ressemble à aucun autre pays. Sous les sombres rameaux de ses chênes, sur ses landes grises et mornes où bruit la triste mélopée du vent, sur ses côtes déchiquetées, où les lames écumantes livrent aux remparts de rochers un incessant combat, partout on sent planer une influence mystérieuse ; partout on sent passer comme le souffle de l'invisible. La terre, l'espace et les eaux, tout y est plein de voix, qui murmurent à l'âme du rêveur mille secrets oubliés. La poésie de la terre bretonne a quelque chose d'austère qui vous enveloppe et vous émeut. Elle est virile et pénétrante. Ses enseignements, lorsqu'ils sont compris et appliqués, font les grandes âmes, les caractères héroïques, les fiers et profonds penseurs.

Là subsistent les derniers rejetons de la race ; là aussi se perpétuent les accents de cette langue sonore, dont les phrases retentissent comme des cliquetis d'épée et des chocs de boucliers.

C'est la terre d'Armor ! Ar-mor-ic, pays de la mer, où s'est cachée, derrière la triple muraille des forêts, des montagnes et des récifs, l'âme profonde, le génie mélancolique et rêveur de la Gaule. Là seulement, vous retrouverez dans toute sa pureté la race vaillante, tenace et forte, qui a rempli le monde du bruit de ses exploits ; vous la retrouverez sous ses deux aspects : celui que César a décrit dans ses Commentaires, l'aspect gaélique, à l'esprit vif, léger et changeant, et l'aspect kymrique, la branche la plus moderne de la race celtique, grave, parfois triste, fidèle à ses attachements, passionnée pour ce qui est grand, gardant jalousement, dans les replis cachés de son âme, l'arche sainte des souvenirs.

Cette race, rien n'a pu la lasser ; elle a résisté deux cents ans par les armes, comme l'a dit Michelet, et mille ans par l'espérance ; vaincue, elle étonne encore ses vainqueurs. Pourtant elle a su se donner, et c'est par un mariage que la France se l'est assimilée.

L'âme celtique a son sanctuaire en Bretagne, mais les vibrations de sa pensée et de sa vie s'étendent au loin sur toute la région qui fut la Gaule, de l'Escaut aux Pyrénées, de l'Océan aux pays des Helvètes. Elle s'est créé sur tous les points du sol national des retraites cachées, où vit, latente, la pensée des âges. C'est le plateau central, l'Ar-vernie, la « haute demeure », le Morvan, les âpres Cévennes, les forêts lorraines où Jeanne entendait ses « voix ».

Qu'est-ce donc que l'âme celtique ? C'est la conscience profonde de la Gaule. Refoulée par le génie latin, opprimée par la brutalité franque, méconnue, oubliée par ses propres enfants, l'âme celtique subsiste à travers les siècles.

C'est elle qui reparaît aux heures solennelles de l'histoire, aux époques de désastre et d'écroulement, pour sauver la patrie en péril. C'est la vieille mère qui tressaille chaque fois que le pied de l'ennemi souille sa couche, et se lève de son sommeil pour faire appel à ses fils et chasser l'étranger.

D'elle encore viennent les souffles puissants, les impulsions irrésistibles, les inspirations grandioses, qui ont fait de la France le champion de l'idée et l'inspiratrice de l'humanité.

Aussi la France ne peut-elle périr, malgré ses fautes, ses faiblesses, ses décadences et ses chutes. Chaque fois que l'abîme s'est ouvert sous ses pas, du sein des espaces une main s'est tendue vers elle pour la guider. Pendant la guerre de Cent ans, comme au temps de la Révolution, l'âme celtique reparaît, pour entraîner, pour enflammer les héros. C'est elle qui inspire les envoyés providentiels et change la face des choses.

Parfois elle se recueille, l'âme celtique ; elle sommeille, elle dort. Et alors, quand sa voix se tait, son peuple s'affaisse ; il perd sa virilité, sa grandeur ; il se laisse glisser peu à peu sur la pente du doute, du sensualisme, de l'indifférence ; il ne sait plus rien des vertus, des puissances cachées en lui. Mais les réveils sont éclatants. Et, tôt ou tard, l'âme celtique reparaît, jeune, ardente, impétueuse, pour indiquer à ses fils le chemin des grandes cimes et la source des hautes inspirations.

Nous en étions là en 1914. Depuis un siècle l'âme celtique se taisait ; le génie national perdait de son éclat. La France se matérialisait et dégénérait, mais la tourmente est venue. Aux heures de péril on a vu l'âme de la Gaule se dresser dans ses longs voiles et rappeler à ses fils le but sublime, la tâche sacrée. Et après tant de deuils et d'épreuves, voici que son doigt, levé vers le ciel, nous montre l'aube, le renouveau de l'idée, le triomphe définitif et prochain de la pensée celtique, dégagée des ombres qu'ont accumulées sur elle vingt siècles d'oppressions et d'erreurs étrangères.

Pourtant certaines manifestations de la pensée celtique se produisaient çà et là. Déjà avant la guerre, le contre-amiral Réveillère écrivait au Conseil municipal de Paris à propos de menhir brisé de Locmariaker qu'on voulait ériger au Champ de Mars :

« Il faut que le panceltisme redevienne une foi, une religion. L'oeuvre de notre époque est double. C'est d'abord le renouvellement de la foi chrétienne, entée sur la doctrine celtique de la transmigration des âmes, comme la croix s'est entée sur le menhir, doctrine seule capable de satisfaire l'intelligence, par la croyance en la perfectibilité indéfinie de l'âme humaine, dans une suite d'existences successives. La seconde est la restauration de la patrie celtique et la réunion, en un seul corps, de ses membres aujourd'hui séparés. Nous ne sommes pas des Latins, nous sommes des Celtes ! »

Depuis lors, ce mouvement d'idées a pris une grande extension. Tous les ans, une assemblée ou eisteddfod réunit, sur quelque point de la terre celtique, les représentants les plus illustres de la race. Chaque région y envoie ses délégués : Ecossais, Irlandais, Gallois, Bretons de France, Cornouaillais, insulaires de Man, celtisants venus d'Amérique et même d'Australie, car « dans n'importe quelle partie du monde, les Celtes sont frères ». Tous s'assemblent, unis dans un même symbole, pour célébrer les grands ancêtres et se livrer aux joutes de la pensée.

Bien plus nombreux encore sont ceux qui, à l'heure présente, poursuivent la lutte en faveur du Celtisme renaissant sous la forme du spiritualisme moderne.

Aussi croyons-nous utile de redire ici, en termes succincts, ce qu'étaient les croyances de nos pères.

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*        *

Les travaux d'éminents historiens, de penseurs érudits, en dissipant les préjugés semés dans nos esprits par les auteurs latins et les écrivains catholiques, ont jeté une vive lumière sur les institutions et les croyances des Gaulois.

La philosophie des druides, reconstituée dans son imposante grandeur, s'est trouvée conforme aux aspirations des nouvelles écoles spiritualistes.

Comme nous, les druides affirmaient l'infinité de la vie, les existences progressives de l'âme, la pluralité des mondes habités.

C'est dans ces doctrines viriles, dans le sentiment de l'immortalité qui en découle, que nos pères puisaient leur esprit de liberté, d'égalité sociale, leur héroïsme en face de la mort.

Une sorte de vertige s'empare de notre pensée, lorsque, nous reportant à vingt siècles en arrière, nous considérons que les principes de la nouvelle philosophie étaient répandus dans toute la société gauloise, qu'ils en inspiraient les institutions et en fécondaient le génie.

Cette grande lumière, qui éclaira la terre des Gaules, s'éteignit tout à coup. La main brutale de Rome, en chassant les druides, fit place aux prêtres chrétiens. Puis vinrent les Barbares ; alors la nuit s'étendit sur la pensée, cette nuit du moyen âge, longue de dix siècles, si épaisse que les rayons de la vérité ne semblaient jamais devoir la dissiper.

Enfin, après une gestation lente et douloureuse, la foi de nos ancêtres, rajeunie, complétée par les travaux scientifiques, par les conquêtes intellectuelles des derniers siècles, adoucie sous l'influence du christianisme, renaît sous une forme nouvelle. Fils des Gaulois, nous reprenons l'oeuvre de nos pères. Armés de la tradition philosophique qui fit leur grandeur, éclairés comme eux sur les mystères de la vie et de la mort, nous offrons à la société actuelle, envahie par les instincts matériels, un enseignement qui lui apporte, avec le relèvement moral, les moyens d'assurer ici-bas le règne de la justice, de la vraie fraternité. Il importe donc de rappeler ce que fut, au point de vue des croyances et des aspirations, ce passé de notre race. Il importe de rattacher le mouvement philosophique moderne à ces conceptions de nos pères, à ces doctrines des druides, si rationnelles, basées sur l'étude de la nature et l'observation des forces psychiques, de montrer dans la rénovation spiritualiste une véritable résurrection du génie de la Gaule, une reconstitution des traditions nationales, que tant de siècles d'oppression et d'erreur ont pu voiler, mais non détruire.

La base essentielle du druidisme était la croyance aux vies progressives de l'âme, à son ascension sur l'échelle des mondes. C'est sur cette notion fondamentale de la destinée, que je crois devoir insister ici.

Je voudrais avoir les ressources de l'éloquence et la persuasion du génie, pour exposer cette grande loi des Triades et dire comment, des profondeurs du passé, du sein des abîmes de vie, sourdent sans cesse, se déroulent et montent les longues théories des âmes. Le principe spirituel qui nous anime doit descendre dans la matière pour s'individualiser, et constituer, puis développer, par son lent travail séculaire, ses facultés latentes et son moi conscient. De degré en degré, il se façonne des formes, des organismes appropriés aux besoins de son évolution, formes périssables, qu'il abandonne à la fin de chaque existence comme un vêtement usé, pour en rechercher d'autres plus belles, mieux adaptées aux nécessités de ses tâches grandissantes.

Dans toute la durée de son ascension, il reste solidaire du milieu qu'il occupe, lié à ses semblables par des affinités mystérieuses, concourant à leur progrès, comme eux travaillent au sien. Il redescend de vie en vie, dans le creuset toujours plus vaste, toujours changeant de l'humanité, pour conquérir des vertus, des connaissances, des qualités nouvelles. Puis, quand il a acquis sur un monde tout ce que celui-ci pouvait lui donner de science et de sagesse, il s'élève vers des sociétés meilleures, vers des sphères mieux partagées, entraînant tous ceux qu'il aime avec lui.

Vers quel but monte-t-il ? Quel sera le terme ultime de ses efforts ? Ce but paraît si lointain ! N'est-ce pas folie que de prétendre l'atteindre ? Le navigateur qui vogue à travers les vastes solitudes de l'Océan, a choisi comme objectif de sa course, l'étoile dont la lumière tremble là-bas à l'horizon. Comment pourrait-il y parvenir ? Des distances infranchissables les séparent ! Et cependant cette étoile, perdue au fond des cieux, il pourra la connaître un jour, dans un autre temps et sous une autre forme. De même, l'homme terrestre que nous sommes, connaîtra un jour les mondes de la vie heureuse et parfaite. La perfection dans la plénitude de l'être, voilà le but. Toujours apprendre, approfondir les divins mystères. L'infini nous attire. Nous passons l'éternité à parcourir l'immensité, à en goûter les splendeurs, les beautés enivrantes. Devenir toujours meilleure, toujours plus grande par l'intelligence et par le coeur, s'élever dans une harmonie toujours plus pénétrante, dans une lumière toujours plus vive, entraîner avec soi tout ce qui souffre, tout ce qui ignore : voilà le but assigné à toute âme par la loi divine.

N'y a-t-il pas une haute idée de la vie dans cette conception des Triades ! L'homme, artisan de ses destinées, par ses actes prépare lui-même et construit son avenir. Le but réel de l'existence, c'est l'élévation par l'effort, par l'accomplissement du devoir, par la souffrance même. Plus cette vie est semée d'amertume, plus elle est féconde pour celui qui la supporte avec vaillance. Elle est comme un champ clos, où le brave montre son courage, conquiert un grade plus élevé ; c'est un creuset où le malheur, où les épreuves font pour la vertu ce que le feu produit sur les métaux qu'il affine et purifie. A travers des vies multiples et des conditions diverses, l'homme précipite sa course terrestre, passant de l'une à l'autre, après un temps de repos et de recueillement dans l'espace ; sans cesse, il avance sur cette voie d'ascension qui n'a pas de terme. Douloureuses et pénibles sont presque toutes ces existences ici-bas, mais fécondes aussi, car c'est par elles que grandissent nos âmes, que s'accroissent force et sagesse.

Une telle doctrine peut fournir aux sociétés humaines un incomparable stimulant pour le bien. Elle ennoblit les sentiments, épure les moeurs ; elle éloigne également des puérilités du mysticisme et des sécheresses du positivisme.

Cette doctrine est la nôtre. Les croyances de nos pères reparaissent élargies, appuyées sur tout un ensemble de faits, de révélations, de phénomènes constatés par la science moderne. Elles s'imposent à l'attention de tous les penseurs.

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Les existences antérieures de Jeanne se sont effacées de sa mémoire à chaque renaissance. C'est la loi commune. La chair est un éteignoir qui étouffe les souvenirs ; le cerveau humain, sauf des cas d'exception, ne peut reproduire que les sensations enregistrées par lui. Mais toute notre histoire reste gravée dans notre conscience profonde. Dès que l'esprit se détache de sa dépouille mortelle, l'enchaînement des souvenirs se reconstitue, avec d'autant plus d'intensité que l'âme est plus évoluée, plus éclairée, plus parfaite. Malgré l'oubli temporaire, le passé est toujours vivant en nous ; il se retrouve dans chacune de nos vies terrestres, sous la forme des aptitudes, des facultés, des goûts acquis, dans les traits de notre caractère et de notre mentalité. Il suffirait de nous étudier nous-mêmes avec attention, pour reconstruire les grandes lignes de notre passé. Il en était de même pour Jeanne d'Arc, en qui on pouvait retrouver les traces de ses vies celtiques et celles, moins anciennes, de ses existences de patricienne, de grande dame, éprise de costumes éclatants et de belles armures. Ce qui persiste en elle, surtout, de ses premières vies, c'est cette forme particulière et bien accusée du mysticisme des druides et des bardes, c'est-à-dire l'intuition directe des choses de l'âme qui réclame une révélation personnelle, et n'accepte pas la foi imposée. Ce sont ses facultés de voyante, propres à la race celtique, si répandues aux origines de notre histoire, et que l'on retrouve encore aujourd'hui dans certains milieux ethniques, particulièrement en Ecosse, en Irlande et dans la Bretagne armoricaine. C'est par l'usage méthodique de ces facultés, qu'on peut expliquer la connaissance approfondie qu'avaient les druides du monde invisible et de ses lois. La fête du 2 novembre, la commémoration des morts, est de fondation gauloise. On pratiquait l'évocation des défunts dans les enceintes de pierres. Les druidesses et les bardes rendaient des oracles.

L'histoire en fournit des exemples. Elle rapporte que Vercingétorix s'entretenait, sous la sombre ramure des bois, avec les âmes des héros morts pour la patrie. Comme Jeanne, cette autre personnification de la Gaule, le jeune chef entendait des voix mystérieuses.

Un autre épisode de la vie de Vercingétorix prouve que les Gaulois évoquaient les Esprits dans les circonstances graves.

A l'extrémité du vieux continent, au point où finit l'âpre plateau de la Cornouaille bretonne, de hautes falaises se dressent sous un ciel chargé de nuées. Les vagues courroucées y livrent aux rocs gigantesques une bataille éternelle. Rapides, écumantes, semblables à des murailles liquides, elles accourent du large et se ruent sur les remparts de granit. Ceux-ci, rongés par l'action des eaux, sèment la plage de leurs débris. Au sein des nuits d'hiver, le roulement des blocs entrechoqués, la clameur immense de l'Océan se font entendre à plusieurs lieues à l'intérieur des terres. Ils éveillent dans les coeurs une crainte superstitieuse. A peu de distance de cette côte sinistre, au milieu des écueils blancs d'écume, s'étend une île, jadis parsemée de bosquets de chênes, sous lesquels s'élevaient des autels de pierre brute. C'est Sein, antique demeure des druidesses, Sein, sanctuaire du mystère, que le pied de l'homme ne souillait jamais. Pourtant, avant de soulever la Gaule contre César et, dans un suprême effort, tenter de délivrer la patrie du joug étranger, Vercingétorix s'y rendit, muni d'un sauf-conduit du chef des druides. Là, au milieu des éclats de la foudre, dit la légende, le génie de la Gaule lui apparut, et lui prédit sa défaite et son martyre.

Certains faits de la vie du grand chef gaulois ne s'expliquent que par des inspirations occultes. Par exemple, sa reddition à César, devant Alésia. Tout autre Celte se serait donné la mort, plutôt que de se livrer au vainqueur et de servir de trophée à son triomphe. Vercingétorix accepte l'humiliation comme une réparation de fautes graves, commises dans ses vies antérieures et qui lui avaient été révélées.

Tels furent les principes essentiels de la philosophie druidique : en première ligne, l'unité de Dieu. Le Dieu des Celtes a pour temple l'infini des espaces ou les retraites mystérieuses des grands bois. Il est, par-dessus tout, force, vie, amour. Ces espaces sont parsemés de mondes, étapes des âmes dans leur ascension vers le bien, à travers des vies toujours renaissantes, vies de plus en plus belles et heureuses, suivant les mérites acquis. Une communion intime relie les vivants de la terre aux défunts, invisibles mais présents.

Cet enseignement développait dans les esprits de hautes notions de progrès et de liberté. C'est grâce à lui que le Celte a introduit dans le monde ce goût de l'idéal, que le Romain, plus attaché aux réalités positives, ne connut jamais. Le Celte est porté vers les grandes et généreuses actions. De la guerre, il aime la gloire et non le profit. Son âme est magnanime. Il sait pratiquer le renoncement, mépriser la peur, défier la mort. De là, son attitude au sein des combats.

Etudiez bien Jeanne d'Arc et vous retrouverez en elle tous ces sentiments, tous ces goûts. Jeanne d'Arc est comme une synthèse de l'âme celtique et de l'âme française, dans ce qu'elles ont de plus pur et de plus élevé. C'est pourquoi son souvenir rayonnera toujours comme une étoile au firmament assombri de la patrie. A toutes les heures de détresse nationale, la France se tournera instinctivement vers elle, comme vers son palladium vivant et protecteur.

Nouvelle Velléda, dernière fleur éclose parmi les touffes du gui sacré, Jeanne personnifie le génie de la Gaule et l'âme de la France.

Toutes les formes, tous les signes caractéristiques des facultés dont les voyants et les druidesses étaient doués, se retrouvent en elle ; elle est le médium par excellence, et les Esprits protecteurs de la Gaule, devenue la France, se sont servis d'elle pour la sauver. Or, pour sauver un peuple, il faut être du plus pur de sa substance, se rattacher aux racines vivaces de ses origines et de toute son histoire. Jeanne fut cela au degré le plus éminent ; c'est pourquoi elle incarne en elle le double génie de la Gaule celtique et de la France chrétienne.

Une partie de notre race a perdu sa nationalité distincte, pourtant l'âme celtique survit dans la nation française. Elle en est, disions-nous, la conscience profonde, et, de même que les puissances accumulées en nous au cours des âges et endormies sous la chair, ont des réveils éclatants, de même l'âme celtique reparaîtra en une résurrection splendide, pour sauver, non plus, comme autrefois, la vie matérielle de son peuple, mais sa vie morale compromise. Elle viendra réveiller, dans les âmes lassées, l'amour de la connaissance et la volonté du sacrifice. Elle nous redira les paroles consacrées, les appels émouvants, qui faisaient retentir les grèves sonores et les échos des forêts. Elle rendra aux esprits hésitants, ballottés sur l'océan de l'incertitude, la vision des horizons où tout est calme et splendeur.

Ce qui manquait à la France actuelle, c'était la science supérieure des destinées, la divine espérance, la confiance sereine en l'avenir infini. Ses éducateurs n'ont pas su lui donner ces choses essentielles, sans lesquelles il n'est pas de véritable grandeur, pas de nobles élans de l'âme. De là vient la stérilité relative de notre époque, l'absence d'idéal et de génie. Mais voici le remède.

En même temps que les courants de la démocratie nous ramènent aux traditions politiques de la Gaule, le spiritualisme expérimental nous ramène à ses traditions philosophiques. Allan Kardec, inspiré par les grands Esprits, a restauré sur un plan élargi les croyances de nos ancêtres. C'est véritablement l'esprit religieux de la Gaule qui se réveille en ce chef d'école. Tout en lui, son nom d'emprunt, absolument celtique, le monument qui, par sa volonté, recouvre sa dépouille mortelle, sa vie austère, son caractère grave, méditatif, son oeuvre entière, rappelle le druide. Allan Kardec, préparé par ses existences passées à la grande mission qu'il vient d'accomplir, n'est que la réincarnation d'un Celte éminent. Lui-même l'affirme par le message suivant, obtenu en 1909 :

« J'ai été prêtre, directeur des prêtresses de l'île de Sein, et j'ai vécu sur les bords de la mer furieuse, à l'extrême pointe de ce que vous appelez la Bretagne. »

« N'oubliez pas le grand Esprit de vie, celui qui fait croître le gui sur les chênes, et que consacrent les antiques pierres de vos aïeux. Je suis heureux de vous assurer que toujours vos pères ont eu la foi ; gardez-la comme eux, car l'esprit celtique n'est pas éteint en France, il a survécu et rendra aux fils la volonté de croire et de se rapprocher de Dieu. »

« N'oubliez pas vos aimés qui sont autour de vous, comme les étoiles du ciel que vous ne voyez pas en plein jour, quoiqu'elles soient toujours là. »

« La puissance divine est infinie ; elle rayonne jusqu'à vous à travers les brumes de la terre, et vous en recevez les rayons épandus et affaiblis. »

« Ecoutez la voix de votre coeur, quand, devant l'océan où les vagues furieuses se poursuivent, vous vous sentez étreints de frayeur et d'espoir. Elle parle haut à ceux qui veulent l'entendre. Vous devez la comprendre, car pour cela vous avez eu tous les enseignements de la terre réunis. »

« Aimez-nous, nous les anciens hommes de la terre, nous avons besoin de votre souvenir, mes bien-aimés. Que vos âmes viennent nous visiter pendant le sommeil que Dieu vous donne ! »

« Vous voulez savoir qui je suis : je vous dirai mon nom, mais qu'importent les noms ! Nous avons laissé sur la terre, avec notre corps, le souvenir des noms et des choses, pour ne plus nous rappeler que les volontés de Dieu et les sentiments qui nous portent vers Lui, pour ne plus connaître là-haut que son amour et sa gloire, car, dans l'infinie lumière, toute flamme semble s'éteindre : le soleil de Dieu la rend moins visible et la fond dans un éternel rayonnement. »

« La terre n'est qu'un lieu de passage, une forêt profonde et obscure, où ne résonnent plus qu'assourdis les échos de la vie des mondes. »

« Nous serons toujours là, les grands guides qui conduisent l'humanité souffrante vers le but inconnu des hommes, mais que Dieu a fixé ; il brille pour nous dans la nuit des temps comme une torche lumineuse. »

« Nous attendons le moment où, enfin libérés, vous pourrez revenir à nous, pour chanter l'hymne éternel qui glorifie Dieu. »

« Ames de France, vous êtes filles des Gaules. Souvenez-vous des croyances de vos ancêtres qui furent aussi les vôtres. Remontez quelquefois par la pensée vers les sources salubres de nos origines, vers les traditions fortes et les hauteurs de notre histoire, pour y retrouver l'énergie et la foi, pour raviver votre esprit et réchauffer votre coeur, dans l'air pur et la beauté des cimes et dans la lumière infinie. »

ALLAN KARDEC.

XVII. - JEANNE D'ARC ET LE SPIRITUALISME MODERNE. LES MISSIONS DE JEANNE.

Quand tout semble obscurci, la foi, les moeurs, les lois,
De Jeanne, à l'horizon, monte la blanche étoile :
Sachons lever vers elle et nos yeux et nos voix.

PAUL ALLARD.

La Gaule ne fut pas le seul théâtre des manifestations de l'Au-delà. Toute l'antiquité a connu les phénomènes occultes. Ils formaient un des principaux éléments des mystères grecs. Les premiers temps du christianisme sont remplis de visions, d'apparitions, de voix, de songes prémonitoires. Les initiés et les croyants puisaient en eux une force morale, qui communiquait à leur vie une impulsion incomparable, et leur permettait d'affronter sans défaillance les épreuves et les supplices. Depuis les temps les plus reculés, l'humanité invisible a toujours communiqué avec la nôtre. Sans cesse un courant de vie spirituelle s'est répandu sur l'humanité terrestre, par l'intermédiaire des prophètes et des médiums. C'est cet influx vital, venu des sources éternelles, qui a donné naissance aux grandes religions. Toutes, à leur origine, trempent dans ces eaux profondes et régénératrices. Aussi longtemps qu'elles s'y abreuvent, elles gardent leur jeunesse, leur prestige, leur vitalité. Elles s'affaiblissent et meurent, dès qu'elles s'en éloignent et en dédaignent les forces cachées.

C'est ce qui arrive au catholicisme. Il a méconnu, oublié ce grand courant de puissance spirituelle, qui fécondait l'idée chrétienne à son berceau. Il a brûlé par milliers les agents du monde invisible, rejeté ses enseignements, étouffé ses voix. Les procès de sorcellerie, les bûchers de l'Inquisition ont dressé une barrière entre les deux mondes et suspendu, pendant des siècles, cette communion spirituelle, qui, loin d'être un accident, est au contraire une loi fondamentale de la nature.

Les effets désastreux s'en font sentir autour de nous. Les religions ne sont plus que des branches desséchées sur un tronc privé de sève, parce que ses racines ne plongent plus aux sources vives. Elles nous parlent encore de la survivance de l'être et de la vie future, mais elles sont impuissantes à en fournir la moindre preuve sensible. Il en est de même des systèmes philosophiques. Si la foi est devenue chancelante, si le matérialisme et l'athéisme ont fait des pas de géant, si le doute, les passions ardentes, si le suicide exercent tant de ravages, c'est que les ondes de la vie supérieure ne rafraîchissent plus la pensée humaine, c'est que l'idée de l'immortalité manque de démonstration expérimentale. Le développement des études scientifiques et de l'esprit critique ont rendu l'homme de plus en plus exigeant. Les affirmations ne lui suffisent plus aujourd'hui. Ce qu'il réclame, ce sont des preuves et des faits.

On sent de plus en plus l'importance d'une science, d'une révélation, basée sur un ensemble de phénomènes et d'expériences, qui nous apportent la démonstration positive de la survivance et, en même temps, la preuve que la loi de justice n'est pas un vain mot, chacun de nous retrouvant dans l'Au-delà une situation proportionnelle à ses mérites.

Or, c'est là précisément ce que le spiritualisme moderne vient nous offrir. Il contient les germes d'une véritable révolution : révolution dans les idées, les croyances, les opinions et les moeurs. De là, la nécessité d'étudier ces faits, de les classer, de les analyser avec méthode, eux et l'enseignement qui en découle.

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La situation morale des sociétés est devenue grave et inquiétante. Malgré l'instruction répandue, la criminalité monte ; vols, meurtres, suicides se multiplient. Les moeurs se corrompent. La haine, le désenchantement pénètrent toujours plus avant au coeur de l'homme. L'horizon est sombre et, dans le lointain, on entend des grondements sourds qui semblent précéder la tempête. Dans presque toutes les classes, le sensualisme a envahi les caractères et les consciences. On a éteint tout idéal dans l'âme du peuple ; on lui a dit : mange, bois, enrichis-toi, tout le reste est chimère. Il n'y a pas d'autre dieu que l'argent, pas d'autre but à la vie que les jouissances ! - Et les passions, les appétits, les convoitises se sont déchaînés. Le flot populaire monte comme une vague immense et menace de tout submerger.

Pourtant, beaucoup de bons esprits réfléchissent et s'attristent. Ils sentent bien que la matière n'est pas tout. Il y a des heures où l'humanité pleure l'idéal perdu, où elle sent le vide, l'instabilité des choses terrestres. Elle pressent que l'enseignement donné n'a pas tout dit, que la vie est plus ample, le monde plus vaste, l'univers plus merveilleux qu'on ne l'a supposé. L'homme cherche, tâtonne, interroge. Il cherche non seulement un idéal, mais plutôt une certitude qui le soutienne, le console au milieu de ses épreuves, de ses luttes, de ses souffrances. Il se demande ce qui va succéder à cette époque de transition qui voit la mort d'un monde de croyances, de systèmes, de traditions, dont la poussière s'éparpille autour de nous.

Par son obstination à s'enfermer dans le cercle étroit de ses dogmes, par son refus d'élargir sa conception de la destinée humaine et de l'univers, la religion a éloigné d'elle l'élite des penseurs et des savants, presque tous ceux dont l'opinion fait autorité dans le monde. Et la foule les a suivis. Le regard de l'humanité s'est tourné vers la science. Depuis longtemps elle lui demande la solution du problème de l'existence. Mais la science, celle d'hier, malgré ses magnifiques conquêtes, était encore trop imbue des théories positivistes, pour fournir à l'homme une notion de l'être et de ses destinées qui exalte ses forces, réchauffe son coeur, lui inspire des chants de foi et d'amour pour bercer ses petits enfants.

Or, voici que ce monde invisible, dont Jeanne fut un des interprètes, ce monde que l'Eglise avait combattu, refoulé dans l'ombre pendant des siècles, entre de nouveau en action ; il se manifeste sur tous les points du globe à la fois, sous des formes sans nombre, et par les moyens les plus variés. Il vient montrer aux hommes la voie sûre, la voie droite qui doit les conduire vers les hauts sommets.

En tous milieux, des médiums se révèlent, des phénomènes troublants se produisent, des sociétés d'étude et des revues se fondent, constituant autant de foyers, d'où irradie, de proche en proche, l'idée nouvelle. Elles sont déjà assez nombreuses, ces sociétés, pour former un réseau qui enveloppe toute la planète. Et par elles, depuis soixante ans, on a pu voir germer d'abord, se préparer, s'accentuer, grandir ensuite, le travail sourd, obscur, de la floraison du siècle où nous vivons. C'est là ce que nous appelons le nouveau spiritualisme, le spiritualisme moderne, non pas une religion dans le sens étroit du mot, mais plutôt une science, une synthèse, un couronnement de tous les travaux, de toutes les conquêtes de la pensée, une révélation qui entraîne l'humanité hors des sentiers et des voies, qu'elle a parcourus jusqu'ici, agrandit ses horizons et la fait participer à la vie des larges espaces, à la vie universelle, infinie.

Le spiritualisme moderne, c'est l'étude de l'homme, non pas dans sa forme corporelle et fugitive, mais dans son esprit, dans sa réalité impérissable, et son évolution à travers les âges et les mondes. C'est l'étude des phénomènes de la pensée transcendantale et de la conscience profonde, la solution des questions de responsabilité, de liberté, de justice, de devoir, de tous les problèmes de la vie et de la mort, de l'en deçà et de l'Au-delà. C'est l'application de ces problèmes au progrès moral, au bien de tous, à l'harmonie sociale.

La vie matérielle n'est qu'un passage, notre existence présente, un instant dans la durée, notre demeure, un point dans l'immensité. L'homme est un atome pensant et conscient sur le globe qui l'emporte, et ce globe n'est lui-même qu'un atome, roulant dans l'univers sans bornes. Mais notre avenir est infini comme l'univers, et les mondes qui brillent la nuit sur nos têtes sont notre héritage.

Le spiritualisme moderne nous apprend à sortir du cercle restreint de nos occupations quotidiennes, et à embrasser le vaste champ de travail, d'activité, d'élévation qui nous est ouvert. La grande énigme se dissipe, le plan divin se révèle. La nature prend un sens ; elle devient à nos yeux l'échelle grandiose de l'évolution, le théâtre des efforts de l'âme pour se dégager de la matière, de la vie inférieure, et monter vers la lumière.

Une communion d'harmonie relie les êtres à tous les degrés de l'immense échelle d'ascension, et sur tous les plans de la vie. L'homme n'est jamais seul, quand il lutte et souffre pour le bien et la vérité. Une foule invisible l'assiste et l'inspire, comme elle assistait Jeanne et les vaillants qui combattaient sous ses ordres.

Cette solidarité se fait sentir puissamment au temps présent. Aux heures de crise, quand les âmes s'abandonnent, quand l'humanité hésite sur la route ardue, le monde invisible intervient. Les Esprits célestes, les messagers de l'espace, se mettent à l'oeuvre ; ils stimulent la marche des événements et celle des idées. Présentement, ils travaillent à rétablir le lien brisé qui unissait deux humanités. Eux-mêmes nous le disent en ces termes :

« Ecoutez nos voix, vous qui cherchez et pleurez ! Vous n'êtes pas abandonnés ! Nous avons souffert pour établir une communication entre votre monde oublieux et notre monde de souvenir. Nous avons établi un lien d'abord fragile, mais qui deviendra puissant : la médiumnité. Désormais, elle ne sera plus méprisée, honnie, persécutée, et les hommes ne pourront plus la méconnaître. Elle est le seul intermédiaire possible entre les vivants et les morts, et ceux-ci ne laisseront pas refermer l'issue qu'ils avaient ouverte, afin que l'homme inquiet puisse apprendre à lutter, à la lueur des célestes clartés. »

JEAN, disciple de Paul.

Elle vient à son heure, la nouvelle révélation, et elle revêt le caractère qu'exige l'esprit du temps : le caractère scientifique et philosophique. Elle ne vient pas détruire, mais édifier. L'enseignement du monde invisible va illuminer à la fois les profondeurs du passé et celles de l'avenir ; il fera surgir de la poussière des siècles les croyances endormies, il les fera revivre en les complétant, en les fécondant. Aux sombres paroles de l'Eglise romaine, paroles de crainte et de condamnation, disant : « Il faut mourir ! » il vient substituer ces paroles de vie : « Il faut renaître ! » Au lieu des terreurs inspirées par l'idée du néant ou l'épouvante de l'enfer, il nous donne la joie de l'âme, épanouie dans la vie immense, radieuse, solidaire, infinie. A tous les désespérés de la terre, aux faibles, aux désenchantés, il vient offrir la coupe des forts, le vin généreux de l'espérance et de l'immortalité.

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Revenons à Jeanne d'Arc. Il semble, à première vue, que les développements auxquels nous venons de nous livrer, nous aient éloignés de notre sujet. Il n'en est rien. Ces considérations feront mieux comprendre le rôle et les missions de Jeanne. Nous disons missions, car son oeuvre actuelle, quoique moins apparente, a autant d'importance que celle du quinzième siècle. Parlons d'abord de celle-ci :

Qu'était Jeanne, en réalité, lorsqu'elle apparut sur la grande scène de l'histoire ? Jeanne était un messager céleste et, suivant l'expression d'Henri Martin, un « messie ». Comment définirons-nous ces termes ? Laissons ce soin aux Esprits eux-mêmes. Voici ce que nous disait, par l'incorporation, un de nos guides :

« Lorsque les hommes sont oublieux du devoir, Dieu leur envoie un messager, un aide, pour l'accomplissement plus facile, mais aussi plus actif de leur tâche. Ce sont ceux-là que vous pouvez appeler les messies. Ils ont, à l'heure grave où les âmes s'oublient dans la lâcheté, montré, de leur voix inspirée, la vérité appelant les hommes. Remarquez, en effet, qu'ils apparaissent toujours aux heures de crises, lorsque tout semble s'écrouler sous la lutte ardente des intérêts et des passions. Ils font un peu comme le vent du soir, qui vient pacifier les vagues houleuses et révoltées, pendant la tourmente de la journée. Paix à vous qui cherchez votre voie, vous qui n'avez plus assez de force pour aller à votre Seigneur. Demandez et il vous sera accordé l'aide divine, ainsi que notre Maître vous l'a promis. Mais ne repoussez pas le messager : sachez le comprendre ; respectez sa pensée et son âme : il est l'envoyé de Dieu, son être est revêtu de la lumière de sa vérité, aussi vous lui devez votre reconnaissance. »

« Les peuples ne savent pas toujours découvrir au front de ces êtres supérieurs l'éclat surhumain et charitable, dont rayonne leur âme. Ils se rendent compte que les messies sont autres que les hommes de la chair, mais ils ne comprennent pas, et c'est pourquoi, toujours, vous verrez l'envoyé du Seigneur clôturer son enseignement suprême, en signant son oeuvre de la suprême douleur. Cherchez et vous verrez que tous ceux que l'humanité a enfin honorés, sont morts oubliés, ou plutôt trahis et sacrifiés. C'est que leur enseignement devait montrer aussi la grandeur de la douleur, et leur dernier mot, que vous retrouvez sur les lèvres du Maître et de tous les grands suppliciés, a été : « Pardonnez à ceux qui ignorent ! » La souffrance est encore un acte d'amour. »

JEAN, disciple de Paul.

Jeanne est un de ces messies envoyés pour sauver un peuple qui agonise et que, pourtant, de grandes destinées attendent. La France était appelée à jouer un rôle considérable dans le monde. Son histoire l'a prouvé. Elle avait pour cela les qualités nécessaires. Certes, on peut dire que, parmi les autres nations, il en est de plus sérieuses, de plus réfléchies, de plus pratiques, aucune cependant ne possède ces élans du coeur, cette générosité un peu aventureuse qui a fait de la France l'apôtre, le soldat de la justice et de la liberté dans le monde. Toutefois, ce rôle auquel elle était prédestinée, la France ne pouvait l'accomplir qu'à la condition de rester libre, et cependant, ses fautes l'avaient conduite à deux doigts de sa perte. On croyait, lorsque Jeanne apparut, on disait déjà dans toute l'Europe, que la mission de la France, de ce grand peuple qui s'était illustré par tant de hauts faits, était finie. C'était elle surtout qui avait enfanté la chevalerie, suscité les croisades, fondé les arts du moyen âge. Elle avait été l'initiatrice du progrès en Occident. Et voilà que toutes les ressources humaines étaient devenues impuissantes à sauver notre pays. Mais, ce que les hommes ne peuvent plus faire, un esprit supérieur va l'accomplir, avec le secours du monde invisible.

Ici, une question se pose. Pourquoi Dieu a-t-il choisi la main d'une femme pour arracher la France au tombeau ? Est-ce, comme l'a pensé Michelet, parce que la France est femme, femme par le coeur ? Serait-ce, comme l'ont dit d'autres écrivains, parce que la femme est supérieure à l'homme par les sentiments, la pitié, la tendresse, l'enthousiasme ? Oui, sans doute, et c'est là le secret du dévouement de la femme, de son esprit de sacrifice.

Au quinzième siècle, dit Henri Martin, toutes les énergies du sexe fort, du sexe fait pour la vie extérieure, pour l'action, sont épuisées. La dernière réserve de la France est dans la femme, soutenue par la puissance divine. C'est pourquoi le ciel nous délègue celle que ses voix nomment « la fille de Dieu ».

Mais, à ce choix, il y a une raison plus haute. Si Dieu, se jouant par là de la faiblesse des forts et de la prudence des sages, a voulu sauver la France par la main d'une femme, d'une jeune fille, presque une enfant, c'est surtout afin que, comparant la débilité de l'instrument à la grandeur du résultat, l'homme ne doute plus ; c'est afin qu'il voie clairement, dans cette oeuvre de salut, l'action d'une volonté supérieure, l'intervention de la puissance éternelle.

On nous demandera sans doute : Si Jeanne est une envoyée du ciel, si sa mission est providentielle, pourquoi tant de vicissitudes, de difficultés dans l'oeuvre de délivrance ? Pourquoi ces hésitations, ces intrigues sourdes, ces défaillances, ces trahisons autour d'elle ? Quand le ciel intervient, quand Dieu envoie ses messies sur la terre, peut-il y avoir des résistances, des obstacles à leur action ?

Nous touchons ici au grand problème. Avant tout, il faut se pénétrer d'une chose : c'est que l'homme est libre, l'humanité est libre et responsable. Pas de responsabilité sans la liberté. L'humanité, libre, subit les conséquences de ses actes à travers les temps. Nous l'avons vu : ce sont les mêmes êtres qui reviennent de siècle en siècle, dans l'histoire, recueillir dans une vie nouvelle, les fruits doux ou amers, fruits de joie ou de douleur, qu'ils ont semés dans leurs vies précédentes. L'oubli de leur passé n'est que temporaire et ne prouve rien contre la loi. L'humanité est libre, mais la liberté sans la sagesse, sans la raison, sans la lumière, la liberté peut la conduire aux abîmes. L'aveugle est libre, lui aussi, et cependant, sans guide, à quoi lui sert sa liberté ? C'est pourquoi l'humanité a besoin d'être soutenue, guidée, protégée, inspirée dans une certaine mesure par la Providence. Mais il faut que cet appui ne soit pas trop ostensible, car, si la puissance supérieure s'impose ouvertement, elle se change en contrainte ; elle amoindrit, annihile la liberté humaine ; l'homme perd le mérite de son initiative ; il ne s'élève plus par ses propres efforts ; le but divin est manqué, l'oeuvre de progrès est compromise. De là, les difficultés de l'intervention aux heures troublées. Que fera donc l'envoyé d'en haut, le ministre des volontés éternelles ? Il ne s'imposera pas, il s'offrira ; il ne commandera pas, il inspirera ; et l'individu, la collectivité, l'humanité entière resteront libres de leurs déterminations.

Ainsi s'expliquent la mission de Jeanne, ses triomphes et ses revers, sa gloire et son martyre. Et de même, s'explique la loi des influences spirituelles dans l'humanité. La puissance que Dieu envoie n'agit dans le monde, que dans la mesure où elle est acceptée par le monde. Si elle est accueillie, obéie, soutenue, elle devient active, fécondante, réformatrice. Si elle est repoussée, elle reste impuissante. L'envoyé, le messie, s'éloigne de la terre.

L'humanité est en marche à travers les siècles, pour conquérir elle-même les biens suprêmes : la vérité, la justice, l'amour. Ces biens, elle doit les atteindre par ses libres efforts. C'est la loi de sa destinée, la raison même de son existence. Mais, aux heures de trouble, de péril, de recul, à l'humanité qui s'égare, s'oublie, se perd, le ciel envoie ses missionnaires.

Jeanne est de ceux-ci. Comme presque tous les messagers divins, elle est descendue parmi les plus pauvres et les plus obscurs. Son enfance a cela de commun avec l'enfance du Christ. C'est une loi de l'histoire et une leçon de Dieu : ce qu'il y a de plus grand vient de plus bas. Le Christ fut l'enfant d'un humble charpentier ; Jeanne d'Arc une fille des campagnes, issue du pauvre peuple de France. Ces deux messies n'ont choisi ici-bas ni la science, ni la richesse. Qu'en auraient-ils fait ? Les fils de la terre ont besoin de la puissance matérielle ou scientifique, pour accomplir de grandes choses. Ces messies n'en avaient que faire. Ils possédaient la force par excellence. Nés et restés humbles, ils n'en étaient pas moins supérieurs aux plus nobles, aux plus savants.

Jeanne avait à remplir une double mission, qu'elle poursuit encore aujourd'hui sur le plan spirituel. A la France, elle apportait le salut ; à la terre entière, elle apporte la révélation du monde invisible et des forces qu'il contient ; elle apporte l'enseignement, les paroles de vie qui doivent retentir à travers les siècles.

Cet enseignement, au moyen âge, l'humanité n'était ni apte à le comprendre, ni capable de l'appliquer. Il a fallu, pour rendre cette révélation possible et profitable, plus de quatre siècles de travail et de progrès. C'est pourquoi la Volonté suprême a permis que l'ombre enveloppât pendant quatre cents ans la mémoire de Jeanne, et qu'un réveil éclatant se fît. Aujourd'hui, cette grande figure se dégage, resplendissante, de l'obscurité des temps. La pensée humaine va pénétrer ce problème, et plonger dans ce monde des Esprits, dont la vie et la mission de Jeanne, dont sa communion constante avec l'Au-delà sont une des affirmations, un des témoignages les plus éloquents de l'histoire.

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Jeanne avait ses protecteurs, ses guides invisibles ; or, il est bon de le faire remarquer : dans un ordre moins élevé, il en est de même de chacun de nous. Tout être humain a, près de lui, un ami invisible qui le soutient, le conseille, le dirige dans le bon chemin, s'il consent à suivre son inspiration. Le plus souvent, ce sont ceux que nous avons aimés sur la terre : un père, une mère disparus, une épouse, décédée prématurément. Plusieurs êtres veillent sur nous et s'efforcent de réagir contre les instincts, les passions, les influences qui nous poussent au mal. Et que ce soient là nos génies familiers, comme les appelaient les Grecs, ou bien les anges gardiens du catholicisme, peu importe le nom qu'on leur attribue. En réalité, tous, nous avons nos guides, nos inspirateurs occultes ; tous, nous avons nos voix.

Mais, tandis que, pour Jeanne, ces voix étaient extérieures, objectives, perçues par les sens, chez la plupart d'entre nous, elles sont intérieures, intuitives et ne retentissent que dans le domaine de la conscience.

N'en est-il pas parmi vous, lecteurs, qui les aient entendues, ces voix ? Elles parlent dans le silence et le recueillement ; elles disent les luttes à poursuivre, les efforts à faire pour nous élever en élevant les autres. Bien certainement, tous, vous l'avez entendue, la voix qui, dans le sanctuaire de l'âme, nous exhorte au devoir et au sacrifice. Et quand vous voudrez l'entendre de nouveau, recueillez-vous, élevez vos pensées. Demandez et vous recevrez. Faites appel aux forces divines. Cherchez, étudiez, méditez, afin d'être initiés aux grands mystères, et, peu à peu, vous sentirez s'éveiller en vous des puissances nouvelles ; une lumière inconnue descendra à flots dans votre être ; en vous s'épanouira la fleur délicieuse de l'espérance, et vous serez pénétrés de cette énergie que donnent la certitude de l'Au-delà, la confiance en la justice éternelle. Alors, tout vous deviendra plus facile. Votre pensée, au lieu de se traîner péniblement dans le dédale obscur des doutes et des contradictions terrestres, prendra son essor ; elle sera vivifiée, illuminée par les inspirations d'en haut.

Il faut se rappeler qu'en chacun de nous dorment inutiles, improductives, des richesses infinies. De là, notre indigence apparente, notre tristesse et, parfois même, le dégoût de la vie. Mais, ouvrez votre coeur, laissez-y descendre le rayon, le souffle régénérateur, et alors une vie plus intense et plus belle s'éveillera en vous. Vous prendrez goût à mille choses qui vous étaient indifférentes, et qui feront le charme de vos jours. Vous vous sentirez grandir ; vous marcherez dans l'existence d'un pas plus ferme, plus sûr, et votre âme deviendra comme un temple rempli de lumière, de splendeur et d'harmonie.

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Jeanne d'Arc, avons-nous dit, était la messagère du monde des Esprits, un des médiums de Dieu. Les facultés qu'elle possédait ne se retrouvent que de loin en loin, à un degré aussi éminent, et l'on peut dire qu'elle a réalisé dans notre histoire l'idéal de la médiumnité. Pourtant, ce qu'elle possédait à titre exceptionnel, peut devenir le partage d'un grand nombre.

Nous avons déjà cité ailleurs ces prophétiques paroles : « Quand les temps seront venus, je répandrai mon esprit sur toute chair : vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards auront des songes. »

Tout semble indiquer que ces temps sont proches. Cette parole se vérifie peu à peu autour de nous. Ce qui a été, dans le passé, le privilège de quelques-uns, tend à devenir le bien de tous. Déjà, partout, au sein du peuple, il y a des missionnaires ignorés ; partout il y a des signes, des indications qui annoncent des temps nouveaux. Avant peu, tout ce qui fait la grandeur et la beauté du génie humain, toutes les gloires de la civilisation, tout sera renouvelé, fécondé par cette source immense d'inspirations, qui viendra ouvrir à l'esprit de l'homme un domaine, un champ sans bornes, où s'élèveront des oeuvres qui éclipseront toutes les merveilles du passé. Tous les arts, les philosophies, lettres, sciences, musique, poésie, tout s'abreuvera à ces sources intarissables, tout se transformera sous le souffle puissant de l'infini.

La mission du nouveau spiritualisme, comme celle de Jeanne, est une mission de lutte, traversée par de dures épreuves. Elle est marquée par des indices, des présages, et porte l'empreinte du sceau divin. Son rôle est de combattre, de chasser l'ennemi, et l'ennemi, aujourd'hui, c'est le néantisme, le pessimisme, c'est cette philosophie froide et sombre, qui ne sait faire que des jouisseurs ou des désespérés.

Tout d'abord, il lui faudra parcourir la voie douloureuse. C'est le sort réservé à toute idée nouvelle. En ce moment, l'heure de son procès a sonné. Comme Jeanne devant ses examinateurs de Poitiers, la nouvelle révélation se tient debout devant les croyances et les systèmes du passé, devant les théologiens, les représentants de la science étroite et de la lettre. En face d'elle se dressent toutes les autorités, les mandataires de l'idée vieillie ou incomplète, de l'idée devenue insuffisante et qui doit céder le pas au verbe nouveau, réclamant sa place dans le monde, au grand soleil de la vie.

A l'heure présente, ce procès solennel se déroule à la face de l'humanité, spectatrice intéressée et dont l'avenir même est en question. Quel sera le résultat, le jugement ? Aucun doute n'est possible. Entre l'idée jeune et féconde, pleine de vie, qui monte et s'avance, et la vieillesse, décrépite, affaiblie, qui descend et s'affaisse, comment hésiter ? L'humanité a besoin de vivre, de prospérer, de grandir, et ce n'est pas dans les ruines, qu'elle trouvera un asile pour sa raison et son coeur.

Le nouveau spiritualisme est debout devant le tribunal de l'opinion. Il s'adresse aux Eglises et aux puissances terrestres, et leur dit : « Vous possédez tous les moyens d'action que procure une autorité séculaire, et vous ne pouvez rien contre le matérialisme et le pessimisme, contre le crime et l'immoralité, qui s'étendent comme une plaie immense. Vous êtes impuissantes à sauver l'humanité en péril. Ne restez donc pas insensibles aux appels de l'esprit nouveau, car il vous apporte, avec la vérité et la vie, les ressources nécessaires pour relever, régénérer la société. Faites appel à ce qu'il y a de grand et de beau dans l'âme de l'homme, et, avec moi, dites-lui :

« Prends ton essor, élève-toi, âme humaine ! Avance dans le sentiment de la force qui te soutient ; avance avec confiance vers ton magnifique avenir. Les puissances infinies t'assistent ; la nature s'associe à ton oeuvre ; les astres, dans leur course, éclairent ta marche !

« Va, âme humaine, forte du secours qui t'appuie ! Va, comme la Jeanne des batailles, à travers le monde de la matière et les luttes des passions ; à ta voix, les sociétés se transformeront, les formes vieillies disparaîtront, pour faire place à des formes nouvelles, à des organisations plus jeunes, plus riches de lumière et de vie. »

Quant à Jeanne, nous l'avons vu, son influence, son action ont persisté dans le monde après son départ. C'est par elle, d'abord, que la France a été délivrée des Anglais, non pas en une seule campagne, non pas par une poussée semblable à celle des vagues de l'Océan, balayant le sable des grèves, comme cela aurait eu lieu si les hommes avaient eu autant de confiance et de foi qu'elle-même, mais à travers des vicissitudes nombreuses, des alternatives de succès et de revers. L'âme de Jeanne, si pleine d'amour et de volonté pour le bien, de dévouement pour son pays, ne pouvait s'immobiliser dans la béatitude céleste. C'est pourquoi elle revient vers nous avec une autre mission, pour accomplir dans un domaine plus vaste, sur le plan spirituel et moral, ce qu'elle a fait pour la France au point de vue matériel. Elle soutient, elle inspire les serviteurs, les porte-paroles de la foi nouvelle, tous ceux qui ont au coeur une confiance inébranlable en l'avenir.

Sachez-le : une révolution plus grande que toutes celles qui se sont accomplies dans le monde est commencée, révolution pacifique et régénératrice ; elle arrachera les sociétés humaines aux routines et aux ornières, et élèvera le regard de l'homme vers les destinées splendides qui l'attendent.

Les grandes âmes qui ont vécu ici-bas reparaissent ; leurs voix retentissent ; elles exhortent l'homme à se hâter dans sa marche. Et l'âme de Jeanne est une des plus puissantes, dans la foule de celles qui agissent sur le monde, qui travaillent à préparer une ère nouvelle pour l'humanité. C'est pour cela que la vérité s'est faite à cette heure précise, sur le caractère de Jeanne et sur sa mission. Et par elle, par son appui, avec l'aide des grands Esprits qui ont aimé, servi la France et l'humanité, les espérances de ceux qui veulent le bien et cherchent la justice s'accompliront.

La légion radieuse de ces Esprits, dont les noms marquent, comme des foyers de lumière, les étapes de l'histoire, les grands initiés du passé, les prophètes de tous les peuples, les messagers de vérité, tous ceux qui ont fait l'humanité avec des siècles de travail, de méditation, de sacrifice : tous sont à l'oeuvre. Et au-dessus d'eux, Jeanne elle-même, Jeanne nous conviant au labeur, à l'effort. Tous nous crient :

« Debout ! non plus pour le choc des épées, mais pour les luttes fécondes de la pensée. Debout ! pour la lutte contre une invasion plus redoutable que celle de l'étranger, la lutte contre le matérialisme, le sensualisme et toutes leurs conséquences : l'abus des jouissances, la ruine de tout idéal ; contre tout ce qui, lentement, nous déprime, nous énerve, nous affaiblit, nous prépare à l'abaissement, à la chute. Debout ! travaillez et luttez pour le salut intellectuel et le relèvement de notre race et de l'humanité ! »

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La grande âme, dont ce livre évoque le souvenir poignant et glorieux, plane au-dessus de nous. En bien des circonstances, elle a pu se faire entendre et dire ce qu'elle pensait du mouvement d'idées qui se porte vers elle, de tant d'appréciations diverses et contradictoires sur son rôle, et sur la nature des forces qui la soutenaient. Cédant à notre prière, elle a consenti à résumer toute sa pensée dans un message, que nous nous faisons un devoir de reproduire avec une fidélité scrupuleuse, comme la plus belle conclusion que nous puissions donner à ce chapitre.

Ce message porte en lui-même toutes les garanties d'authenticité désirables. L'Esprit qui l'a dicté, a choisi pour interprète un médium ayant vécu au quinzième siècle, et conservant, dans son « subconscient », des souvenirs, des réminiscences de cette époque. C'est ce qui lui a permis de donner à son langage, dans une certaine mesure, les formes du temps.

MESSAGE DE JEANNE, 15 juillet 1909.

« Doulce m'est la communion avec ceux qui, comme moi, aiment notre Seigneur et Père et point ne m'est dolente la vision du passé, car elle me rapproche de vous, et la souvenance de mes communications avec les morts et les saints, me fait la soeur et l'amie de tous ceux à qui Dieu dévolut la faveur de connaître le secret de la vie et de la mort. »

« Je rendrai grâces à Dieu de me permettre de vous donner ma créance et ma foi, et de pouvoir encore dire à ceulx qui savent un peu, que les vies que le Seigneur nous donne doivent être utilisées saintement, pour être en sa grâce. Pour nous, toute vie doit être doulce qui nous permet de faire la tasche assignée par le tout puissant Juge et Père, et nous devons bénir ce que nous recevons de sa main. »

« Il a choisi toujours les faibles pour réaliser ses voies, car il sait donner la force à l'agneau, ainsi qu'il l'a promis, mais il ne doit pas aller avec les loups, et l'âme éprise de foi doit se garer des embûches, et souffrir avec patience toutes épreuves et châtiments qu'il plaît au Seigneur de donner. »

« Il nous apporte sa vérité sous les formes les plus changeantes, mais tous ne pénètrent point sa volonté. Soumise à ses lois et cherchant à les respecter, j'ai cru plutôt que je n'ai compris. Je savais que de si doulx conseils ne pouvaient être l'oeuvre de l'ennemi, et le réconfort qu'ils m'ont toujours donné, a été pour moi un soutien et la plus doulce des satisfactions. Jamais ne sus quelle était la volonté lointaine du Seigneur. Il me cacha par ses envoyés la fin douloureuse que je fis, ayant pitié de ma faiblesse et de ma peur de la souffrance ; mais, quand l'heure vint, j'eus, par eux, toute force et tout courage. »

« Il m'est plus doulx et précieux de revenir aux heures où j'entendis premièrement mes voix. Je ne peux dire que je craignis. Je fus grandement étonnée et même un peu surprise, de me voir l'objet de la myséricorde divine. Je sentis subitement, sans que les paroles encore me fussent advenues, qu'ils étaient les serviteurs de Dieu, et je sentis grande doulceur en mon coeur qui s'apaisa enfin, lorsque la voix du saint résonna à mon oreille. Vous dire ce qui était alors en moi, point n'est possible, car je ne saurais vous dire ma joie paisible et si grande, mais j'éprouvai si grande paix, qu'à leur départ je me sentis l'orpheline de Dieu et du ciel. Je comprenais un peu que leur volonté devait être la mienne, mais si je souhaitais grandement leur visite, je m'étonnai de leurs ordres et craignais un peu de voir leur désir s'accomplir. Il me semblait une belle oeuvre, certes, de devenir la sauvegarde de notre France, mais une fille ne va point parmi les hommes d'armes. Enfin, dans leur habituelle et doulce compagnie, je vins à avoir plus de confiance en moi-même, et l'amour que toujours j'avais porté à Dieu me dicta ma conduite, car il n'est point séant de se rebeller contre la volonté d'un père. »

« Cela fut pénible et aussi pour moi une joie d'obéir, et je fis premièrement enfin la volonté de Dieu. De cette obéissance, je suis heureuse, et en cela aussi je trouve une raison de faire ce que Dieu veult, de pardonner à ceux qui furent l'instrument de ma mort, car je crois qu'ils n'avaient point de haine pour mon âme en lui donnant sa liberté, mais surtout pour l'oeuvre que j'accomplis. »

« Cette tasche avait été bénie de Dieu, aussi étaient-ils grandement coupables ; mais, comme eux, je n'ai nulle haine pour leurs âmes. Je suis ennemie de tout ce que Dieu réprouve, de la faute et de la méchanceté. C'est leur oeuvre qui est hors la grâce ; ils y retourneront toujours, mais le souvenir de leur passé, point ne s'effacera en eux. Je pleure sur la haine qu'ils ont laissée parmi leurs frères, sur la mauvaise graine qu'ils ont semée parmi l'Eglise, et qui apporta, à cette mère que tant j'ai chérie, plus de recherche de la foi que d'amour du pardon. Il m'est doulx pourtant de les voir s'amender et déclarer un peu leur erreur ; mais ce ne fut nullement comme j'aurais souhaité, et mon affection pour l'Eglise se détachera de plus en plus de cette ancienne rectrice des âmes, pour ne plus se donner qu'à notre doulx et gracieux Seigneur. »

JEHANNE.

XVIII. - PORTRAIT ET CARACTERE
DE JEANNE D'ARC.

Vive labeur !

JEHANNE.

Il n'est pas de sujet qui ait excité au même point que la personne de Jeanne, l'émulation de nos poètes, de nos artistes, de nos orateurs. La poésie, la musique et l'éloquence rivalisent d'éclat et s'exaltent en la chantant. La peinture et la statuaire font appel à l'inspiration et s'efforcent, sans y réussir, de fixer son image. De toutes parts, le marbre et le bronze cherchent à reproduire ses traits, et, bientôt, sa statue s'élèvera dans toutes les villes de notre France. Mais hélas, dans la multitude de ces reproductions fantaisistes, que d'oeuvres médiocres ou franchement mauvaises !

En réalité, nous ne possédons aucun portrait authentique de Jeanne. Parmi les oeuvres modernes, la physionomie qui paraît la plus ressemblante, est celle que lui a prêtée le sculpteur Barrias, dans le monument de Bon-Secours, à Rouen. C'est du moins ce qu'affirment les voyants à qui elle est apparue. Les grands artistes ont parfois des intuitions sûres ; ils perçoivent des lueurs de la vérité et, à ce point de vue, eux aussi sont médiums.

Jeanne s'est rendue visible à plusieurs reprises, en des circonstances qui ne permettent pas de douter du phénomène. Il est vrai que, dans cet ordre de manifestations, les erreurs et les supercheries abondent. On pourrait citer de nombreux cas imaginaires ou frauduleux, où on la fait intervenir indûment. Il n'est pas de personnalité psychique dont on ait plus abusé. Dans les exhibitions de tel simulateur célèbre, il y avait aussi une Jeanne d'Arc. Elle avait l'accent anglais, celui de l'opérateur, et se livrait à des démonstrations excentriques. En réalité, ses manifestations sont rares. Nous en connaissons pourtant de bien authentiques. Nous les avons signalées. Ajoutons que, dans certains phénomènes d'incorporation, elle se révèle avec une puissance, une grandeur impressionnantes. Je la vois encore envahir brusquement le corps de son médium favori, au milieu d'une discussion politique, se dresser d'un mouvement plein de majesté, avec un geste d'autorité et un éclair dans le regard, pour protester contre les théories des sans-patrie et des sans-Dieu. Elle n'est pas moins véhémente dans les discussions religieuses. A certain ecclésiastique, assistant par exception à nos séances, elle disait : « Ne parlez jamais de peines éternelles ! Vous faites de Dieu un bourreau. Dieu est amour ; il ne peut infliger des souffrances sans utilité, sans profit. En parlant ainsi, vous éloignez l'homme de Dieu ! »

Quand elle intervient, la voix du médium est généralement d'une suave douceur ; elle a des inflexions mélodieuses qui pénètrent, émeuvent les plus insensibles. La manifestation est si impressionnante, qu'on éprouve comme un désir de s'agenouiller. Au moment de paraître dans les séances, Jeanne est annoncée par une harmonie qui n'a rien de terrestre, et que, seuls, les médiums perçoivent. Une grande lumière se fait et, pour eux, elle devient visible. Il y a, sur son front et dans ses paroles, comme un reflet divin, et des battements d'ailes dans l'air qui l'entoure. Nul ne peut résister à son influence. C'est bien réellement la « fille de Dieu ». Elle n'est pas la seule. Il existe bien haut, au-dessus de nous, une région supérieure et pure, où s'épanouit toute une création angélique que les hommes ignorent. De là viennent les messies, les agents divins à qui incombent les missions douloureuses. Ils s'incarnent sur les mondes de la matière et se mêlent souvent à nous, pour donner aux fils de la terre l'exemple de l'amour et du sacrifice. On peut les rencontrer dans les rangs des humbles et des plus obscurs ; mais ils sont toujours reconnaissables à leurs nobles sentiments, à leurs hautes vertus.

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*        *

De Jeanne, avons-nous dit, il ne reste aucune image contemporaine. On a cependant retrouvé, dans les fouilles effectuées à Orléans pour le percement de la rue Jeanne-d'Arc, la statuette ancienne d'une femme casquée, dont le fin profil se rapproche sensiblement des traits de la statue de Barrias.

D'autre part, les documents historiques contenant des descriptions de la Pucelle, sont peu nombreux et peu précis. Il faut citer tout d'abord une lettre des comtes Guy et André de Laval à leur mère, écrite le 8 juin 1429. Ils l'ont vue à Selles en Berry : « armée tout en blanc, sauf la tête, une petite hache à la main, sur un grand coursier noir ». Et, ajoutent-ils avec enthousiasme, « ce semble chose toute divine, de son fait, de la voir et de l'ouïr ».

Un chroniqueur, picard d'origine, parle de Jeanne en ces termes, d'après les témoignages de plusieurs personnes qui l'avaient vue, cheminant entre Reims et Soissons :

« Et chevauchait devant le roi, toute armée de plein harnais, à étendard déployé. Et quand elle était désarmée, si avait-elle état et habit de chevalier, souliers lacés hors le pied, pourpoint et chausses ajustées, et un chaperon sur la tête, et portait très nobles habits de drap d'or et de soie bien fourrés. »

D'après la déposition du chevalier Jean d'Aulon, « elle était belle et bien faite », « robuste et infatigable », selon les dires du président Simon Charles, « ayant à la fois l'air riant et l'oeil facile aux larmes », d'après la relation du conseiller-chambellan Perceval de Boulainvillers. « Elle a bonne prestance sous les armes et la poitrine belle », dit son compagnon le duc d'Alençon.

Les débats du procès nous apprennent que ses cheveux, teintés en blond par tant de peintres et déroulés sur ses épaules, « étaient noirs, taillés courts en écuelle, de façon à former sur la tête une sorte de calotte, semblable à un tissu de soie sombre ».

Le colonel Biottot, résumant les relations de divers chroniqueurs, s'exprime ainsi, au sujet du costume et du maintien de la Pucelle :

« Le visage de l'héroïne, dans ses traits réguliers, était empreint de douceur et de modestie. Le corps se développait en lignes pleines et harmonieuses. Dès les premiers jours, les gestes aisés de l'enfant, sa grâce souple en toutes circonstances et particulièrement sous le costume de guerre, en selle, la lance ou la bannière en main, étonnent et charment les yeux. Enfin, sur l'ensemble, le candide éclat de sa virginité et la flamme de son inspiration répandaient « une vertu secrète qui écartait les désirs charnels », commandant aux plus grossiers le respect et les égards. »

D'après toutes les descriptions, il y avait comme un suave reflet sur ce visage qu'illuminait une pensée intérieure. L'âme, dans une certaine mesure, façonne elle-même les traits de son enveloppe. Par là, nous pouvons nous faire une idée de la beauté de cet être exceptionnel, du foyer caché en lui, foyer qui éclaire son visage et rayonne sur ses actes.

Il émanait d'elle une sérénité, une radiation qui s'étendaient sur tous ceux qui l'approchaient, et apaisaient les plus farouches. Dans le tumulte des batailles et des camps, elle garde ce calme imposant qui est le privilège des âmes supérieures. A Compiègne, au plus fort du combat, lorsque les Bourguignons lui coupent la retraite, sur le point d'être prise, elle est plongée comme dans un rêve et dit aux Français qui l'entourent et s'affolent : « Ne songez qu'à férir ! »

A travers les documents les plus variés, Jeanne nous apparaît comme une fleur des campagnes de France, svelte et robuste, fraîche et parfumée. Aussi est-ce une chose lamentable, de voir de quelle façon la plupart de nos peintres et statuaires l'ont affublée, sans nul souci de la vérité et de l'histoire. Certain critique parle ainsi, non sans raison, de la statue de Frémiet, érigée place des Pyramides, au coeur de Paris :

« Il fit un garçonnet, ennuyé, mécontent, avec de longs cheveux ainsi qu'une crinière, un bras de bois, tenant une longue bannière, une couronne en l'air ! »

Quoi d'étonnant ? fait-il remarquer : Frémiet est un animalier, aussi sa Jeanne est-elle « un être hybride, de petite taille, sur un cheval énorme ». Cette statue est une parodie, une honte pour les Français, surtout à l'endroit où elle se trouve, exposée aux yeux de tous les étrangers.

Celle de Roulleau, à Chinon, est pire encore, lourde, massive, aussi matérielle que possible.

D'autres artistes ont mieux réussi, sans montrer plus de scrupules au point de vue du respect de l'histoire. Charpentier nous la représente en prière. La physionomie est gracieuse et touchante. Mais pourquoi ce livre tombé à ses pieds, alors qu'elle ne savait pas lire, et à une époque où l'imprimerie n'était pas inventée ?

Les peintres ne sont pas plus soucieux de la vérité historique : M. Jean-Paul Laurens a signé le triptyque qui orne une des salles du nouvel hôtel de ville de Tours, et reproduit trois scènes de la vie de l'héroïne. Le dernier panneau nous montre, sous la nuit, la place où eut lieu le supplice. Elle est vide maintenant, et, du bûcher qui achève de s'éteindre, un peu de fumée monte vers le ciel. Le dernier des juges se retire. M. J.-P. Laurens n'a pas lu. Il ignore que les Anglais, aussitôt que Jeanne fut morte, firent éteindre le feu, de telle façon que son pauvre corps carbonisé resta exposé, pendant huit jours, à la vue du peuple, et que tous purent s'assurer qu'elle n'était plus de ce monde. Au bout d'une semaine, on ralluma le bûcher jusqu'à destruction complète, et on fit jeter à la Seine les cendres de la victime.

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L'étude de certaines âmes attire l'attention du penseur. Celle de Jeanne d'Arc est captivante entre toutes. Ce qui surprend le plus en elle, ce n'est pas son oeuvre d'héroïsme, pourtant unique dans l'histoire, c'est ce caractère admirable, où s'unissent et se fondent les qualités en apparence les plus contradictoires : la force et la douceur, l'énergie et la tendresse, la prévoyance, la sagacité, l'esprit vif, ingénieux, pénétrant, qui sait en peu de mots, nets et précis, trancher les questions les plus difficiles, les situations les plus ambiguës.

Aussi, sa vie offrira des exemples de toutes sortes. Patriote et française, en toutes circonstances elle nous apprendra le dévouement poussé jusqu'au sacrifice. Profondément religieuse, idéaliste et chrétienne, dans un temps où le christianisme est la seule force morale d'une société encore barbare, elle montrera les qualités élevées, les hautes vertus du croyant exempt de fanatisme et de bigoterie. Dans la vie intime, familiale, elle se révèle douée des vertus modestes qui sont la richesse des humbles : l'obéissance, la simplicité, l'amour du travail. En un mot, toute son existence est un enseignement pour celui qui sait voir et comprendre. Mais ce qui la caractérise par-dessus tout, c'est la bonté, la bonté sans laquelle il n'est pas de véritable beauté morale.

Cette alliance harmonieuse, cet équilibre parfait de dons qui, de prime abord, semblent devoir s'exclure, font de Jeanne d'Arc une énigme que nous avons pourtant la prétention de résoudre.

C'est un témoignage que lui rendent tous ceux de ses contemporains qui l'ont approchée ; à une ferme volonté que rien, dans l'action guerrière ou au milieu des épreuves, ne fera fléchir, elle joignait une grande douceur. Les bourgeois d'Orléans s'accordaient à dire, dans leurs dépositions : « C'était grande consolation d'avoir commerce avec elle. » Nous avons retrouvé ces mêmes traits de caractère chez l'Esprit qui s'est souvent manifesté sous son nom, dans notre cercle d'études. En lui aussi les vertus, les sentiments les plus variés se fondent en une parfaite harmonie.

Pour bien juger cette grande figure, il convient de la dégager des querelles de partis, et de la contempler dans la pure lumière de sa vie et de ses pensées. Un rayon de l'Au-delà nimbe son beau front grave. Elle inspire une émotion mêlée de respect. Malgré le scepticisme de nos temps, on ne peut se défendre du sentiment qu'il existe, au-dessus des conditions habituelles de la vie humaine, des êtres de choix, qui sont l'honneur de notre race et l'éternelle splendeur de l'histoire.

Comme toutes les grandes âmes, elle croyait en elle-même, à sa haute mission, et elle savait communiquer sa foi aux autres par toutes les radiations de son être.

Toujours mesurée et sage, elle sait allier l'humilité de la fille des champs à la fierté d'une reine, une pureté absolue à une audace extrême. Vêtue en homme, elle vit dans les camps, tel un ange sur qui repose le regard de Dieu, et nul ne songe à en prendre scandale. La gloire qui l'environne lui paraît si naturelle qu'elle ne saurait en tirer vanité. N'est-elle pas venue pour accomplir de grandes choses, et l'honneur ne doit-il pas suivre la peine ? De là, l'aisance dont elle fait preuve au milieu des seigneurs et des nobles dames. Devant Dieu seul, elle courbe le front ; elle aime à se faire petite avec les petits qui lui offrent leurs hommages : à l'église, c'est parmi les enfants qu'elle élève de préférence son âme vers le ciel.

Jeanne n'est pas moins admirable dans ses propos que dans ses actes. Au milieu des discussions les plus confuses, elle apporte toujours le mot juste, l'argument précis. Sous une certaine naïveté gauloise, perce en elle un sens profond des êtres et des choses, et, aux heures décisives, elle trouve les accents qui raniment l'ardeur dans les âmes, les sentiments puissants et généreux dans les coeurs.

Comment croire qu'une enfant de dix-huit ans ait pu trouver d'elle-même des paroles comme celles que nous avons citées ? Comment douter qu'elle fût inspirée par des génies invisibles, comme le furent, avant et après elle, tant d'autres agents de l'Au-delà ?

Les paroles sublimes, nous l'avons vu, fourmillent dans cette courte existence, et nous ne manquerons pas d'en reproduire quelques-unes encore. Ces lèvres de dix-huit ans ont proféré des jugements qui méritent de figurer à côté des plus beaux préceptes de l'antiquité.

« Elle était moult sage et peu parlant, » disait la Chronique, mais, quand elle parlait, sa voix avait des vibrations qui pénétraient au plus intime de l'auditeur, sensibilisaient en lui des fibres qu'il ne se connaissait pas, et qu'aucune puissance n'avait pu émouvoir jusque-là. C'était là le secret de son ascendant sur tant d'âmes rudes, mais bonnes, au fond.

Et ces paroles ne profitèrent pas seulement à ceux qui les entendirent. Recueillies par l'histoire, elles iront, à travers les siècles, consoler les âmes et réchauffer les coeurs.

En toutes circonstances, elle a l'expression qui convient, et les images dont elle se sert sont riches de relief et de couleur. Il en est de même aujourd'hui, dans les messages qu'elle dicte à quelques rares médiums, et que nous avons reproduits en partie. Ce sont là, pour nous, autant de preuves, autant de révélations de son identité.

Rappelons quelques-unes de ses paroles, à la fois ingénues et profondes. On ne saurait trop les redire, ni trop les proposer comme préceptes et leçons à tant de gens qui, tout en honorant Jeanne, s'efforcent peu de lui ressembler sous le rapport du caractère et des vertus. Nous avons tous un intérêt personnel à étudier cette vie, à nous hausser à la hauteur des enseignements qu'elle contient, par les exemples qu'elle offre de vie intime et de vie sociale, de beauté morale et de grandeur dans la simplicité.

« A partir du moment où je sus que je devais venir en France, je me donnai peu aux jeux et aux promenades. »

L'insouciance et la légèreté sont habituelles à l'enfance, et elles persistent chez un grand nombre jusqu'à un âge déjà avancé. Jeanne, au contraire, a le souci de l'avenir, la préoccupation constante de la grande mission qui lui incombe, le souci des charges qui vont peser sur elle. Elle a été touchée par l'aile des créatures angéliques, et sa vie a reçu une impulsion qui ne cessera qu'à la mort. Elle a perçu l'appel mystérieux d'en haut, et ses entretiens avec l'invisible ont déjà donné, à son attitude et à ses pensées, cette gravité qui se mêlera toujours en sa personne, à la grâce et à la douceur.

A l'interrogatoire de Poitiers, Guillaume Aimery lui dit : « Jeanne, vous demandez des gens d'armes, et vous dites que c'est le plaisir de Dieu que les Anglais s'en aillent. Si cela est, pas n'est besoin de gens d'armes, car Dieu seul y suffit. - En nom Dieu ! répond-elle, les gens d'armes batailleront et Dieu leur donnera la victoire. »

Ces paroles renferment un grand enseignement. L'homme est libre. La loi suprême exige qu'il édifie lui-même sa destinée à travers les temps, au moyen de ses existences innombrables. Sans cela, quels seraient ses mérites, ses titres au bonheur, à la puissance, à la félicité ? De tels avantages, s'il pouvait les acquérir sans effort, auraient peu de prix à ses yeux. Il n'en comprendrait pas même la valeur. Car l'homme n'apprécie les choses qu'en raison de la peine qu'elles lui ont coûté. Mais lorsque les obstacles deviennent insurmontables, si sa pensée s'unit à la volonté divine, les forces, les secours d'en haut descendent vers lui, et il triomphe des plus grandes difficultés. C'est le principe de l'intervention divine dans l'histoire. La communion féconde du ciel et de la terre aplanit nos voies et fournit à nos âmes, aux heures désespérées, la possibilité du salut.

Chose étrange ! la plupart des hommes ignorent ou dédaignent ce qui leur est le plus nécessaire. Sans ces secours d'en haut, et en dehors de la solidarité étroite qui relie la faiblesse humaine aux puissances du ciel, comment pourrions-nous poursuivre, par nos propres ressources, cette immense ascension qui nous élève du fond des abîmes de vie jusqu'à Dieu ? La seule perspective de la route immense à parcourir, suffirait à nous décourager, à nous accabler. L'éloignement du but, la nécessité de l'effort persistant, paralyseraient notre activité. C'est pourquoi, sur les premiers degrés de la prodigieuse échelle, aux premières étapes le but lointain nous reste caché, et nos perspectives de vie sont restreintes. Mais sur la voie âpre, aux passages périlleux, des mains invisibles se tendent vers nous, pour nous soutenir. Nous sommes libres de les repousser. Si, au contraire, nous nous prêtons à l'aide qui nous est offerte, les entreprises les plus ardues peuvent se réaliser. L'oeuvre de beauté et de grandeur qu'élaborent nos vies, ne saurait s'accomplir sans l'action combinée de l'homme et de ses frères invisibles. C'est ce que Jeanne affirme encore en ces autres paroles : « Sans la grâce de Dieu, je ne saurais rien faire. »

Elle accueillait toujours avec bonté les curieux qui venaient la voir, surtout les femmes. Elle leur parlait si doucement et si gracieusement, dit la Chronique, qu'elle les faisait pleurer.

Toutefois, simple et sans prétention, elle eût préférer éviter les « adorations » de la foule ; elle en sentait le péril et disait : « En vérité, je ne saurais me garder de telles choses, si Dieu ne m'en gardait. » « On me baisait les mains le moins que je pouvais », affirme-t-elle au cours de son procès. Et quand, en la cité de Bourges, des femmes du peuple lui apportaient de menus objets pour qu'elle les touchât, Jeanne, en riant, disait : « Touchez-les vous-mêmes. Ils seront tout aussi bons par votre toucher que par le mien. »

Fait particulièrement pénible : dans sa courte carrière politique, ce furent ceux qui lui devaient soutien, reconnaissance, amour, qui la firent le plus souffrir.

Son caractère n'en fut pas aigri. Elle n'en concevait aucune humeur. Quand elle avait à subir quelque amère déception, elle montrait une constance inébranlable et avait recours à la prière : « Quand je suis contrariée en quelque manière, disait-elle, je me retire à l'écart et je prie Dieu, me plaignant à lui de ce que ceux à qui je parle ne me croient pas facilement. Ma prière à Dieu achevée, j'entends une voix qui me dit : Fille Dé (de Dieu), va, va, je serai ton aide, va ! »

On l'accusa d'avoir voulu se suicider, au château de Beaurevoir. C'était un mensonge. Il est vrai que, captive de Jean de Luxembourg, elle tenta de s'évader, estimant que tel est le droit de tout prisonnier. Bien loin de vouloir se détruire, comme on essaya de l'insinuer au procès, elle avait, dit-elle, « l'espérance de sauver son corps et d'aller secourir tant de bonnes gens qui étaient en péril ». Il s'agissait des assiégés de Compiègne, dont le sort lui tenait tant au coeur. Elle réfléchit, mûrit longuement son projet et ne sauta pas follement dans le vide, ainsi qu'on le croit en général. Un cordage qu'elle assujettit à la fenêtre de son cachot lui permit de se laisser glisser vers le bas de la tour ; mais, trop court ou rompu sous l'effort, il ne put l'empêcher de tomber rudement sur le roc. A demi morte, elle fut relevée et réintégrée dans sa prison.

C'est surtout à Rouen, devant ses juges fourbes et astucieux, qu'éclatent ses répliques fines et primesautières, ses ripostes brèves, incisives, enflammées. Guido Goerres le constate en des termes qu'il est bon de citer :

« A chaque question, Jeanne avait le plus rude des combats à soutenir. Toutefois, la simple jeune fille, qui n'avait appris de ses parents que le Pater, l'Ave et le Credo, fixait sur ses ennemis un regard ferme et tranquille ; et plus d'une fois, elle leur fit baisser les yeux et les remplit de confusion, en déchirant tout à coup la trame de leur perfidie, et en leur apparaissant dans tout l'éclat de son innocence. Si, naguère, les plus braves chevaliers avaient admiré son courage héroïque au milieu des batailles, elle en montrait un bien plus grand encore, maintenant que, chargée de fers et en face d'une mort horrible, elle attestait à ses ennemis eux-mêmes la vérité de sa mission divine et prophétisait à ce tribunal, prêt à la condamner au nom du roi d'Angleterre, la chute complète de la puissance anglaise en France et le triomphe de la cause nationale. »

« Savez-vous, lui demande-t-on, si les saintes Catherine et Marguerite haïssent les Anglais ? - Elles aiment ce que Dieu aime et haïssent ce que Dieu hait. » Et le juge reste interdit. Un autre interroge : « Saint Michel était-il nu ? - Pensez-vous que Dieu n'ait pas de quoi le vêtir ? - Avait-il des cheveux ? - Pourquoi lui auraient-ils été coupés ? »

Elle déjoue d'un mot les pièges qu'on lui tend. On lui demande si elle est en état de grâce : « Si je n'y suis, Dieu m'y mette ; si j'y suis, Dieu m'y garde. »

Rappelons encore la digne et fière réponse qu'elle fit, quand on lui reprocha d'avoir, au sacre de Reims, déployé son étendard : « Il avait été à la peine ; c'était bien raison qu'il fût à l'honneur. »

Un des inquisiteurs semble la narguer au sujet de sa captivité et du supplice qui l'attend. Elle lui répond sans hésiter : « Ceux qui voudront m'enlever de ce monde pourront bien s'en aller avant moi. »

L'évêque de Beauvais, inquiet, tourmenté par sa conscience, lui demande : « Vos voix vous parlent-elles jamais de vos juges ? - J'ai souvent, par mes voix, nouvelles de vous, monseigneur de Beauvais. - Que vous disent-elles de moi ? - Je vous le dirai à vous, à part. » Et, par ces simples mots, voilà un prélat rappelé au sentiment de sa dignité, par celle dont il a résolu la perte.

*

*        *

Comment expliquerons-nous, chez Jeanne d'Arc, les contrastes qui prêtent à cette grande figure un si puissant éclat : la pureté d'une vierge et l'intrépidité d'un capitaine ; le recueillement du temple et de la prière et le joyeux entrain des camps ; la simplicité d'une paysanne et les goûts délicats d'une grande dame ; la grâce, la bonté, jointes à l'audace, à la force, au génie ? Que penser de cette complexité de traits, qui font de notre héroïne une physionomie sans précédent dans l'histoire ?

Nous l'expliquerons de trois façons : tout d'abord par sa nature et son origine. Son âme, nous l'avons dit, venait de haut. Ce qui le démontre, c'est que, dépourvue de toute culture terrestre, son intelligence s'élevait jusqu'aux conceptions les plus sublimes. Ensuite, par les inspirations de ses guides. En troisième lieu, par les richesses accumulées en elle, au cours de ses vies antérieures, vies qu'elle-même a révélées.

Jeanne était une missionnaire, une envoyée, un médium de Dieu. Et comme chez tous les envoyés du ciel pour le salut des nations, on rencontre en elle trois grandes choses : l'inspiration, l'action, enfin la passion, la souffrance qui est le couronnement, l'apothéose de toute noble existence.

Domremy, Orléans, Rouen furent les trois scènes choisies pour l'éclosion, le développement et la consommation de cette destinée merveilleuse.

Cette vie offre des analogies frappantes avec celle du Christ. Comme lui, Jeanne est née parmi les humbles de la terre. L'adolescent de Nazareth répliquait aux docteurs de la loi dans le sanhédrin ; de même, elle confondra ceux de Poitiers en répondant à leurs questions insidieuses. Quand elle chasse les ribaudes du camp, nous reconnaissons le geste de Jésus expulsant les marchands du temple. La passion de Rouen n'est-elle pas le pendant de celle du Golgotha, et la mort de Jeanne d'Arc ne peut-elle être comparée à la fin tragique du fils de Marie ? Comme lui, elle est reniée et vendue. Le prix de la victime sonnera dans la main de Jean de Luxembourg comme dans celle de Judas. A l'exemple de Pierre dans le prétoire, le roi Charles et ses conseillers détourneront la tête et ne sembleront plus la connaître, lorsqu'on leur apprendra que Jeanne est aux mains des Anglais et menacée d'une mort affreuse. Il n'est pas jusqu'à la scène de Saint-Ouen, qui ne présente des analogies avec celle du jardin des Oliviers.

Nous avons longuement parlé des missions de Jeanne d'Arc. Qu'on ne se méprenne pas sur le sens de ce mot. Nous croyons opportun de dire ici, qu'en réalité chaque âme a la sienne en ce monde. La plupart ont en partage des missions humbles, obscures, effacées ; d'autres ont des tâches plus hautes, appropriées à leurs aptitudes, aux qualités acquises dans leur évolution à travers les siècles. Aux nobles âmes seules sont réservées les grandes missions, couronnées par le martyre.

Chaque existence terrestre, nous le savons, est la résultante d'un immense passé de travail et d'épreuves. Cette loi d'ascension à travers le temps et l'espace, que nous avons déjà exposée, Jeanne n'avait nul besoin de la connaître au quinzième siècle, pour accomplir son oeuvre ; car elle n'entrait pas dans les vues de son époque. La conception de la destinée était fort restreinte ; les vastes perspectives de l'évolution auraient troublé, sans profit, la pensée d'hommes trop arriérés encore, pour connaître et comprendre les magnifiques desseins de Dieu sur eux. Et cependant, en cet esprit supérieur de Jeanne, qui subit comme tous, pendant l'incarnation terrestre, la loi de l'oubli, un passé grandiose se révèle encore ; vertus, facultés, intuition : tout démontre que cette âme a parcouru un vaste cycle, et qu'elle est mûre pour les missions providentielles. On peut même, nous l'avons vu, reconnaître plus particulièrement en elle un esprit celtique, tout imprégné des qualités de cette race enthousiaste et généreuse, passionnée pour la justice, toujours prête à se dévouer pour les nobles causes. Familiarisée, dès l'aube de l'histoire, avec les grands problèmes, cette race a toujours possédé de nombreux médiums. Jeanne nous apparaît, au milieu du sombre moyen âge, comme une renaissance de quelque voyante antique, à la fois guerrière et prophétesse.

Mais ce qui domine en elle, dans tous les temps et les milieux où elle a vécu, c'est l'esprit de sacrifice, c'est la bonté, le pardon, la charité. Dans toutes les tâches qui lui ont été dévolues, elle s'est montrée ce qu'Henri Martin a su définir d'un mot : « la fille au grand coeur ». Ces tâches n'ont pas pris fin à ses yeux. Elle se considère toujours comme obligée envers ceux que Dieu a placés sous sa protection. Son amour pour la France est aussi ardent aujourd'hui qu'au quinzième siècle, et ceux qui, à cette époque, étaient l'objet de sa sollicitude, sont encore ses protégés à l'heure présente. Parmi ceux qui ont participé à sa vie héroïque, soit en bien, soit en mal, plusieurs revivent actuellement sur la terre, en des conditions bien diverses. Charles VII, réincarné en un bourgeois obscur accablé d'infirmités, a reçu souvent la visite de la « fille de Dieu ». Initié aux doctrines spiritualistes, il a pu communiquer avec elle, recevoir ses conseils, ses encouragements. Elle ne lui a jamais fait entendre qu'une parole de reproche : « C'est à vous, lui dit-elle un jour, que j'ai eu le plus de peine à pardonner. » Par des moyens et à l'aide d'influences qu'il serait superflu d'indiquer ici, elle avait su rassembler sur un même point, il y a un certain nombre d'années, ceux qui furent ses ennemis, voire ses bourreaux, et par son ascendant, elle cherchait à les entraîner vers la lumière, à en faire des défenseurs, des propagateurs de la foi nouvelle. C'était alors un émouvant spectacle pour celui qui, connaissant ces personnalités d'un autre âge, pouvait comprendre sa façon sublime de se venger, en s'efforçant de faire d'elles des agents de rénovation.

Pourquoi la vérité m'oblige-t-elle à dire que les résultats furent médiocres ? Tous, sans doute, l'écoutaient avec une déférence admirative, sentant bien qu'il y avait en elle un esprit de haute valeur. Mais le poids des soucis mondains, des intérêts égoïstes, des préoccupations d'amour-propre, retombait aussitôt lourdement sur ces âmes. Le souffle d'en haut, qui, un instant, les avait fait tressaillir, s'éteignit. Jeanne ne se révéla qu'à un petit nombre. Les autres ne surent pas la deviner. Bien peu purent la comprendre. Son langage était trop grand ; les cimes où elle voulait les attirer, trop hautes. Ces stigmatisés de l'histoire, qui s'ignorent eux-mêmes, n'étaient pas mûrs pour un tel rôle. Toutefois, ce qu'elle n'a pas réussi à faire au cours de cette existence, elle l'obtiendra dans celles à venir, car rien ne saurait lasser sa patience ni sa bonté. Et les âmes se retrouvent toujours sur les chemins de la destinée.

XIX. - GENIE MILITAIRE DE JEANNE D'ARC.

Le principal mérite de la victoire revint à la Pucelle.

Colonel E. COLLET.

Les contempteurs de Jeanne d'Arc : Anatole France, Thalamas, H. Bérenger, Jules Soury, etc., s'accordent à nier ses talents militaires. A. France, surtout, ne néglige aucune occasion de rapetisser son rôle, de restreindre sa participation à l'oeuvre de délivrance. Il fait peu de cas des dépositions de ses compagnons d'armes au procès de réhabilitation, sous prétexte qu'ils sont mêlés à ceux d'une « honnête veuve ». Il raille les historiens qui ont vu en elle « la patronne des officiers et des sous-officiers, le modèle inimitable des élèves de Saint-Cyr, la garde nationale inspirée, la canonnière patriote ». Et plus loin, il dit :

« Elle n'avait qu'une tactique, c'était d'empêcher les hommes de blasphémer et de mener avec eux des ribaudes...

« Mener des gens d'armes à confesse, c'était tout son art militaire. »

A notre tour, quel cas devons-nous faire de ces jugements ? Dans quelle mesure des professeurs, des romanciers, des journalistes, qui n'ont peut-être jamais porté une arme, sont-ils compétents pour apprécier les opérations militaires de la Pucelle ?

Dans son ouvrage intitulé : Jeanne d'Arc, l'histoire et la légende, M. Thalamas nous conseille, avec raison, de nous en tenir aux témoignages directs et de négliger les autres. Cet avis nous paraît surtout applicable à la question qui nous occupe. Les témoignages concernant les aptitudes militaires de Jeanne sont formels. Ils émanent de gens qui l'ont vue de près, ont partagé ses dangers et combattu à ses côtés. Le duc d'Alençon s'exprime ainsi :

« Dans le fait de la guerre, elle était fort experte, tant pour porter la lance que pour réunir une armée ou ordonner un combat et disposer l'artillerie. Tous s'émerveillaient de voir que, dans les choses militaires, elle agit avec autant de sagesse et de prévoyance que si elle eût été un capitaine ayant guerroyé vingt ou trente ans. C'était surtout dans le maniement de l'artillerie qu'elle s'entendait bien. »

Un autre capitaine, Thibauld d'Armagnac, sire de Termes, dit de son côté :

« Dans tous ces assauts (au siège d'Orléans), elle fut si valeureuse et se comporta de telle sorte qu'il ne serait pas possible à homme quelconque d'avoir meilleure attitude dans le fait de la guerre. Tous les capitaines s'émerveillaient de sa vaillance et de son activité, et des peines et labeurs qu'elle supportait... Dans le fait de la guerre, pour conduire et disposer les troupes, pour ordonner la bataille et animer les soldats, elle se comportait comme si elle eût été le plus habile capitaine du monde, de tout temps formé à la guerre. »

*

*        *

Parmi les écrivains contemporains qui se sont occupés de Jeanne d'Arc, les plus aptes à apprécier son rôle militaire sont évidemment ceux qui ont exercé la profession des armes, commandé des troupes, dirigé des opérations de guerre. Or, tous sont unanimes à reconnaître les talents de Jeanne dans l'art de combattre, son goût pour la tactique, son habileté à utiliser l'artillerie.

La campagne de la Loire reste, pour eux, un modèle du genre. Le général russe Dragomirow la résume ainsi :

« Le 10 juin seulement, on lui permit de marcher avec l'armée du duc d'Alençon, pour dégager les points que les Anglais continuaient d'occuper sur la Loire. Le 14 juin, elle prit d'assaut Jargeau ; le 15, le pont de Meung ; le 17, elle occupa Beaugency ; le 18, elle défit Talbot et Falstolf, dans une rencontre en rase campagne. Résultat pour les cinq jours : deux assauts et une bataille ; voilà qui n'eût point déparé la gloire de Napoléon lui-même, et voilà ce que Jeanne savait faire quand on ne l'entravait pas ! »

Ce qu'il faut remarquer dans cette action foudroyante, c'est l'ardeur mêlée de prudence qui l'inspire et la dirige. Ces mouvements rapides ont pour but d'atteindre et de frapper l'ennemi au plus fort de sa puissance, sans lui laisser le temps de se reconnaître, suivant la méthode des grands capitaines modernes.

Ce fut encore le sens stratégique de Jeanne, qui dicta la marche sur Reims et poussa ensuite le roi sur Paris. La grande ville eût été prise, sans l'inqualifiable abandon du siège ordonné par Charles VII.

Ajoutez son courage héroïque et son constant sacrifice d'elle-même. Elle ne connaissait ni la peur ni la fatigue, dormant tout armée et se contentant d'une frugale nourriture. Elle avait surtout un don merveilleux pour entraîner les troupes. A Troyes, selon le témoignage de Dunois, elle déployait plus d'énergie et d'adresse pour organiser un assaut contre les remparts de la ville, que n'auraient pu le faire les meilleurs chefs d'armée de l'Europe entière. Le maréchal de Gaucourt, vétéran de la guerre de Cent ans, s'accorde avec Dunois sur la conduite admirable de Jeanne en cette circonstance, où il se trouvait mêlé en personne.

Le souci de l'héroïne pour la discipline était constant, et sa sollicitude pour le soldat dénote une connaissance approfondie de la vie militaire. Aux Tourelles, quoique blessée, elle prescrit que les troupes se restaurent avant de retourner à l'assaut. A propos de son antipathie pour les pillards et les ribaudes, de son désir que les soldats s'abstinssent de débauche, de sacrilège et de brigandage, il est facile à Anatole France de railler sa pruderie de « béguine » ; avouons pourtant que c'était là le seul moyen de rétablir l'ordre et la discipline, conditions essentielles du succès.

« Elle se préoccupait, dit Andrew Lang, aussi bien des âmes que des corps de ses hommes, ce qui semble aujourd'hui enfantin et absurde à l'esprit scientifique de l'école de M. France ; mais il faut se rappeler qu'elle était une femme de son temps et que sa méthode était celle de Cromwell, celle des plus grands conducteurs d'hommes de toute l'histoire de jadis. »

Son entente, sa prévoyance, son discernement des choses de la politique n'étaient pas moins remarquables. M. A. France semble parfois la considérer comme une sorte d'idiote. Qu'il veuille bien se rappeler son accueil au connétable de Richemont, maladroitement repoussé par le roi, et dont les huit cents lances contribuèrent largement à la victoire de Patay ; puis, les stratagèmes qu'elle employait pour tromper les ennemis au sujet de ses messages, dans les cas où ceux-ci pouvaient tomber entre leurs mains. N'oublions pas non plus avec quelle subtilité elle sut deviner, longtemps avant les politiciens les plus sagaces, la fausseté des négociations entamées par le duc de Bourgogne, après le sacre de Charles VII. Elle disait alors : « On ne trouvera point de paix des Bourguignons, si ce n'est par la pointe de la lance. »

Joseph Fabre fait ressortir en traits vigoureux ce don de pénétration qu'elle possédait :

« Forçant le succès à force d'y croire, avec quel fier instinct elle brise les toiles d'araignée de la diplomatie pour se jeter dans l'action à outrance ! C'est un oiseau de haut vol qui déconcerte victorieusement les politiques à ras de terre, lâches fauteurs de la paix à tout prix. »

Consultons maintenant les écrivains militaires qui nous paraissent avoir étudié, avec le plus de sagacité et de conscience, le rôle de l'héroïne. Le général Canonge s'exprime ainsi :

« Jeanne imprime aux opérations, autour d'Orléans, une activité jusqu'alors inconnue et, au bout de neuf jours, le siège, qui durait depuis six mois, se termine à notre avantage.

« Conduite offensivement, la campagne de la Loire réussit avec une rapidité imprévue ; la journée de Patay y met fin le 18. Vainement on a essayé de nier contre toute vérité la part que prit Jeanne à cette victoire décisive : elle avait fait le nécessaire pour que le contact des Anglais ne fût pas perdu, elle annonça la lutte et, tout en donnant la formule de la poursuite, la victoire.

« Au cours de la chevauchée vers Reims, du 29 juin au 16 juillet, devant Troyes, la force morale de Jeanne intervient efficacement au moment même où l'entourage royal ne songe à rien moins qu'à faire rétrograder l'armée sur la Loire. On le sait, la liberté d'action piteusement accordée à la Pucelle fut suivie à bref délai de la chute de Troyes.

« A partir du sacre, Jeanne est négligée. Il est cependant prouvé qu'elle s'opposa à la marche ondoyante sur Paris et que, bien inspirée à tous égards, elle préconisa la marche directe.

« Quant à l'échec devant Paris, il ne saurait lui être imputé. Si le faible Charles VII l'eût écoutée au lieu de la réduire à l'impuissance, l'insuccès du 8 septembre aurait été promptement réparé.

« Sur la haute Loire, pendant les sièges de Saint-Pierre-le-Moutier et de la Charité, Jeanne, placée en sous-ordre, n'agit que par son merveilleux exemple, comme un capitaine.

« Enfin, dans sa dernière campagne si brutalement terminée, Jeanne joua le rôle d'un chef de partisans.

« Au moment où elle fut faite prisonnière, elle était à peine âgée de dix-huit ans et cinq mois ; son rôle militaire n'avait donc duré que treize mois.

« Il était inutile de s'attarder à démontrer que la libération complète de la France ne coïncidera point avec la disparition de la Pucelle. Cependant, il est indéniable que, grâce à Jeanne, l'indolent monarque avait recouvré la majeure partie du pays compris entre Orléans et la Meuse, que la confiance était revenue, enfin que la libération définitive résulta de l'élan patriotique prodigieux communiqué par elle.

« Le rôle militaire de Jeanne d'Arc peut être envisagé de deux façons :

« Le « soldat » se distingua par des qualités dont la réunion est rare.

« Chez tout observateur loyal, non disposé à nier même l'évidence, le « chef de guerre » provoque un véritable étonnement.

« C'est ensuite un ensemble de qualités qui se retrouvent chez les quelques victorieux dont l'histoire a enregistré les noms. Chez Jeanne, en effet, la conception et l'exécution marchent de pair. Sa conception aboutit à une offensive audacieuse, opiniâtre, de la nature de celle qui, admise depuis Napoléon, fixe sur place l'ennemi, ne lui laisse pas le temps de se reconnaître et réussit à le briser matériellement et moralement.

« L'exécution est fougueuse mais tempérée au besoin par la prudence.

« Il suffira d'énumérer les autres qualités qui lui permirent de violenter la victoire : science du temps, prévoyance, bon sens peu commun, foi imperturbable dans le succès, exemple entraînant, réconfortant, grande puissance de travail, esprit de suite secondé par une volonté inébranlable, connaissance du coeur humain, d'où une influence morale que quelques grands capitaines seuls possédèrent, avec le temps, au même degré.

« Le caractère de la guerre au quinzième siècle ne fournit pas à Jeanne l'occasion de faire oeuvre de stratégiste. Par exemple, il est certain que tous ses contemporains ont reconnu en elle une tacticienne remarquable et redoutée.

« L'origine, l'ignorance et l'inexpérience des choses de la guerre, le sexe et la jeunesse de Jeanne ont dérouté bien des esprits.

« S'il ne saurait être question ni de comparer notre héroïne avec tel ou tel grand capitaine, ni même de lui assigner un rang dans la glorieuse phalange des hommes de guerre, il est juste, pour une excellente raison, de l'y placer : les talents qu'elle déploya sont ceux qui, de tout temps, ont procuré la victoire.

« Abordons maintenant la recherche du pourquoi de l'initiation subite de Jeanne aux secrets les plus délicats de l'art de la guerre.

« A vrai dire, cette recherche serait inutile s'il était vrai, comme on l'a avancé bien légèrement, que l'art militaire n'existait pas au quinzième siècle, qu'il suffisait alors de monter à cheval, enfin que, en ce qui concerne Jeanne, son art militaire se réduisait à mener les gens d'armes à confesse. Ici, parlons net.

« La première négation provient, à n'en pas douter, d'une ignorance complète de la question. La seconde est stupéfiante : Dunois et quelques autres capitaines joignaient, en effet, à l'expérience et au savoir une science équestre plus que suffisante pour vaincre ; or, le succès leur fit défaut jusqu'à l'arrivée de Jeanne. Quant à la dernière allégation, - d'ailleurs en complet désaccord avec les faits, - elle est tout au moins singulière.

« Arrivons donc aux objections formulées par des historiens sérieux et dignes de tous égards, parce qu'ils ont cherché la solution avec une incontestable loyauté. Toutefois, cet examen sera rapide.

« Nier l'incompréhensible dans le rôle militaire de la Pucelle est faire bon marché des difficultés du problème.

« Le « bon sens », cette qualité maîtresse que l'on a invoquée, était impuissant à donner, du jour au lendemain, les connaissances techniques nécessaires pour conduire des opérations.

« La foi ardente qui régnait au quinzième siècle put-elle fournir à Jeanne un levier suffisant ? Le doute est permis.

« On a aussi invoqué l'obéissance ; or, elle n'est réellement venue qu'après la délivrance d'Orléans.

« Dire que Jeanne réalisa l'unité d'action qui, jusqu'à elle, manqua, c'est reconnaître un fait ; ce n'est pas le rendre compréhensible.

« Dunois est un témoin avec lequel il fallait compter. Cependant il se montra bien petit garçon vis-à-vis de la Pucelle, le 7 mai 1429, lors de l'attaque de la bastille des Tourelles. On sait avec quelle fougue elle attaqua. Le procédé fut le même à Jargeau, à Patay et devant Troyes et Saint-Pierre-le-Moutier.

« Enfin, on s'est cru en droit d'attribuer « uniquement au sentiment de révolte patriotique » les succès de Jeanne. Certes, le patriotisme peut, soit collectivement, soit individuellement, enfanter des miracles : mais il est impuissant à transformer en chef d'armée, du jour au lendemain, une jeune fille ignorante et âgée de moins de dix-huit ans. Jeanne constitue un phénomène véritable, unique dans son genre ; à ce titre, elle occupe une place exceptionnelle en France et dans l'histoire de tous les peuples. Le rapprochement suivant est digne de réflexion. En 1429, le patriotisme, dont Jeanne hâta le développement, commençait seulement à naître. Pourquoi en 1870-1871, alors qu'il était plus éclairé, plus ardent et plus répandu, a-t-il été manifestement impuissant à sauver la France qui se trouvait réduite aux abois ?

« En somme, il semble qu'aucune des raisons humaines produites ne fournit la clef de victoires remportées en employant, consciemment ou non, les principes appliqués, sur des théâtres d'opérations plus ou moins vastes, par de grands capitaines.

« Soldat, je me déclare incapable de résoudre, humainement parlant, le problème militaire de Jeanne d'Arc. »

Et le général Canonge adopte, en terminant, la solution que Jeanne elle-même a fournie, en signalant comme origine de ses actes principaux « le secours de Dieu ».

A ces considérations d'un écrivain dont l'autorité en pareilles matières ne saurait être contestée, nous joindrons les citations suivantes, empruntées à l'oeuvre de M. le Colonel E. Collet, vice-président de la Société des Etudes psychiques de Nancy, et répondent de point en point aux critiques d'Anatole France et de M. Thalamas sur la levée du siège d'Orléans, dont il faudrait, selon eux, attribuer le mérite bien plus aux assiégés qu'à Jeanne elle-même.

L'auteur énumère les événements du siège, puis ajoute :

« Il est donc bien établi que la Pucelle, dès le premier jour, montrait un sens militaire infiniment supérieur à celui des meilleurs capitaines de l'armée, en disciplinant les troupes et en voulant marcher immédiatement sur le point où les Anglais avaient leurs principales forces. Les capitaines d'un esprit élevé ou droit, comme le Bâtard d'Orléans, Florent d'Illiers, La Hire, etc., et les hommes d'armes qui n'étaient ni orgueilleux ni jaloux, ne tardèrent pas à le reconnaître.

« La milice communale la reconnut, sur-le-champ, pour son véritable chef et fut persuadée qu'elle serait invincible sous ses ordres. - C'est un fait de psychologie militaire qui s'explique facilement dans ce cas, mais dont la cause est plus mystérieuse dans beaucoup d'autres cas dont l'histoire fait mention. Par quel instinct de juste discernement la foule ignorante des soldats a-t-elle souvent reconnu, sans aucun signe apparent, celui qui était réellement capable de la guider et de lui procurer le succès ? - Elle contribua, en effet, plus que les troupes soldées, à la prise des Tourelles, et montra toute la valeur et la force dont sont capables ceux qui se battent pour la défense de leurs foyers et de leur liberté ; c'est ce qui donna à la Pucelle la première idée d'une armée nationale permanente, instituée, plus tard, par le roi Charles VII, devenu plus sage et plus patriote.

« Nous avons déjà parlé des raisons intuitives qui la déterminèrent à continuer l'attaque des ouvrages de la rive gauche, malgré la décision contraire des capitaines paraissant basée sur la prudence ; l'événement prouva que ces raisons d'ordre psychologique étaient bonnes. Lorsque, blessée pendant l'action, elle surmonta sa souffrance, encouragée par ses voix, et accourut auprès du Bâtard d'Orléans pour l'empêcher d'ordonner la retraite et pour diriger, ensuite, elle-même, l'assaut décisif, elle obéit encore à la même intuition de psychologie militaire et au principe le plus rationnel d'une bonne offensive de tactique, celui de la persévérance.

« On peut donc affirmer, avec toute certitude, que le principal mérite de la victoire revint à la Pucelle, bien secondée par les vaillants capitaines et hommes d'armes qui la suivirent sur la rive gauche, et puissamment aidée par les Orléanais, agissant avec autant d'habileté que de vigueur dans l'attaque des Tourelles par le pont de la Loire : sans elle, l'attaque n'aurait pas eu lieu ou aurait échoué.

« Il faut rappeler que dès le 3 mai, Jeanne avait annoncé que le siège serait levé dans cinq jours. (Déposition de frère Jean Pasquerel et aveu de Jean de Wavrin du Forestel, chroniqueur du parti anglais.)

« M. Anatole France se méfie du témoignage du frère Pasquerel, bien qu'il soit corroboré par un autre témoignage. Les prédictions de la Pucelle lui semblent suspectes et, pour justifier son scepticisme, il cite celle-ci :

« Avant que le jour de la Saint-Jean-Baptiste arrive (an 29), il ne doit pas y avoir un Anglais, si fort et si vaillant soit-il, qui se laisse voir par la France, soit en campagne, soit en bataille. » Source citée : Greffier de la Chambre des Comptes de Brabant dans Procès, t. IV, p. 426 (Vie de Jeanne d'Arc, t. I, p. 402).

« Or nous avons cherché cette prétendue prédiction dans le document cité (Procès, t. IV, p. 426), et nous ne l'y avons pas trouvée. On y voit, au contraire, que la prédiction de Jeanne au sujet de la délivrance d'Orléans, de sa blessure et du sacre de Reims s'est parfaitement réalisée. Et les fourberies de ce genre abondent dans le livre de M. France : on ne peut pas saboter plus indignement l'histoire. »

Ajoutons encore le tableau suivant, plein d'entrain et de couleur, que M. le colonel Collet trace du rôle de la Pucelle au siège de Troyes :

« La Pucelle, à cheval, un bâton à la main, accourut aussitôt dans les campements pour faire préparer, en toute hâte, les engins et les matériaux nécessaires à l'attaque de vive force de la place. Elle eut bientôt communiqué son ardeur aux troupes, et chacun s'empressa à la besogne qui lui incombait : chevaliers, écuyers, archers, gens de toutes conditions mirent une activité prodigieuse à disposer, sur des points bien choisis, les quelques canons et bombardes que l'armée possédait, à transporter des fascines, madriers, planches, portes, volets, etc., et à construire des couverts et des approches, en vue d'un assaut imminent et terrible.

« Jeanne encourageait les travailleurs, stimulait leur zèle, veillait à tout et faisait, dit Dunois dans sa déposition, si merveilleuse diligence, que deux ou trois capitaines consommés n'auraient pu faire davantage.

« Et cela se passait au milieu de la nuit, qui donnait un aspect fantastique à ces préparatifs extraordinaires : mouvements d'hommes, de chevaux et de charrois, à la lueur fumeuse des torches, dans un vacarme assourdissant de cris, d'appels, de hennissements, de coups de hache et de marteau, de craquements et d'écroulements, de grincements d'essieux, de cahotements, etc.

« Le spectacle n'était point banal, sans doute, pour les hommes d'armes de la garnison, veillant derrière les créneaux, et les bourgeois de la ville, montés au plus haut des maisons et des monuments publics, et nous pouvons facilement nous imaginer leur étonnement et leur épouvante. Quel changement s'était donc opéré dans le camp français plutôt découragé ? Que voulaient dire cette étrange agitation, cet effrayant tumulte ? Mystère ne présageant rien de bon : une formidable catastrophe planait sur la ville, c'était certain !

« Les bruits les plus sinistres circulaient parmi les gens du peuple terrifiés ; on se pressait dans les églises ; on se lamentait ; on clamait qu'il fallait se soumettre au roi et à la Pucelle, ainsi que le conseillait frère Richard dans ses prédications. L'évêque et les notables bourgeois étaient dans une cruelle perplexité : ils s'étaient engagés à résister jusqu'à la mort ; mais ils commençaient à entrevoir les avantages de la soumission. Quant aux seigneurs et aux hommes d'armes de la garnison, ils étaient peu rassurés sur l'issue de la lutte, si la terrible Pucelle les assaillait.

« Cependant, l'effroyable tumulte cessa peu à peu dans le camp français ; les torches s'éteignirent les unes après les autres, et la nuit sembla plus noire. Les assiégés angoissés ne voyaient plus que des masses sombres et confuses, qui semblaient grossir et se mouvoir sur quelques points rapprochés des fossés ; ils n'entendaient plus qu'une vague rumeur de voix étouffées, d'armes entre-choquées, de pas mal assurés, de branchages froissés, etc., sinistre grondement, précurseur de la tempête.

« Mais à l'aube, tout se dessina plus nettement aux yeux troublés des Troyens ; le fantastique disparut peu à peu pour faire place à la réalité non moins menaçante, à savoir : le dispositif complet d'un assaut qui ne pouvait être que furieux, obstiné, implacable !

« L'armée française, munie de son matériel d'approche et d'attaque, était disposée en ordre parfait sur les points les plus favorables, car la Pucelle, comme de coutume, avait mis le temps à profit pour reconnaître la place ; les trois ou quatre pièces d'artillerie, bien placées et bien abritées, s'apprêtaient à ouvrir le feu et à suppléer au nombre par la rapidité et la justesse du tir ; les groupes de porteurs de fascines et d'échelles, les archers et arbalétriers, embusqués derrière les abris, les colonnes d'assaut et les réserves, silencieuses et recueillies, attendaient le signal, et la Pucelle, debout au bord du fossé, son étendard à la main, donnait un coup d'oeil satisfait à cet ensemble imposant, avant de faire avancer les « trompilles » pour sonner l'attaque : c'était d'un effet saisissant. »

Notre histoire est riche en grands capitaines : gentilshommes ou fils du peuple, tous preux à la vaillante épée. Jeanne d'Arc, on le voit, les égale et, en certains points, les surpasse. Elle a toutes leurs qualités militaires, et elle a plus encore : l'habileté dans la préparation, et l'audace, la fougue irrésistible dans l'exécution. Elle sait d'instinct que le soldat français excelle dans l'offensive, que la furia est un des privilèges de notre race. Aussi cinq jours lui suffisent pour débloquer Orléans, huit jours pour dégager la vallée de la Loire, quinze pour conquérir la Champagne : en tout, deux mois à peine pour relever la France abattue. C'est en vain qu'on chercherait un fait semblable dans l'histoire. Les guerriers les plus illustres peuvent s'incliner devant cette jeune fille de dix-huit ans, dont le front s'éclaire du prestige de telles victoires !

On ne rencontre pas un seul moment de défaillance physique ou morale dans cette carrière étonnante, mais partout et toujours l'endurance, l'intrépidité dans le combat, l'insouciance du danger et de la mort, la grandeur d'âme dans la souffrance. Sans cesse, l'amour du pays vibre et palpite en Jeanne, et aux heures désespérées, il éclate en paroles brèves, enflammées, qui emportent tout.

Bref, sans l'intervention de causes occultes, on ne saurait certes pas expliquer chez cette enfant la réunion d'aptitudes guerrières et de connaissances techniques, que, seules, peuvent procurer l'expérience et une longue pratique du métier des armes.

La France a possédé des milliers de vaillants soldats et d'habiles généraux ; elle n'a eu qu'une Jeanne d'Arc !

*

*        *

Retournée à la vie de l'espace, Jeanne n'a pas pour cela oublié la France. Aux heures difficiles, cette grande âme plane au-dessus de nous pour inspirer à tous la résolution dans l'épreuve, le courage dans l'adversité.

Ainsi que nous l'avons exposé dans un autre livre son rôle dans la dernière guerre a été considérable, soit dans les « conseils » d'Esprits où l'on délibérait sur les mesures à prendre, sur les mouvements à provoquer que l'on suggérait ensuite aux généraux ; soit dans la lutte ardente lorsqu'elle soutient, entraîne nos défenseurs, partout son influence se fait sentir et contribue puissamment au succès final, à la victoire.

Maintenant encore elle quitte souvent le monde supérieur qu'elle habite pour redescendre vers cette terre de France qu'elle a tant aimée et y répandre ses fluides bienfaisants. Aussitôt qu'elle paraît, les morts de la guerre, la foule innombrable de ceux que le devoir et le sacrifice ont auréolés se pressent et l'entourent pour lui faire cortège. Parvenus au but terrestre, ils se glissent partout, pénètrent dans tous les milieux où il y a une infortune à soulager, une douleur à consoler.

Parfois, avec d'autres Esprits missionnaires, Jeanne reçoit d'en haut la tâche de participer aux conseils des hommes d'Etat, aux assemblées où se discutent les destinées des nations et de les influencer dans le sens du droit et de la justice. Certes, ils ne réussissent pas toujours, car les hommes sont libres et leurs passions les emportent, mais combien d'iniquités ces généreux Esprits n'ont-ils pas réussi à empêcher !

C'est qu'à notre insu une collaboration étroite s'établit entre la terre et l'espace, entre les mondes visible et invisible et que l'action des grands Esprits se déroule pour la réalisation du plan divin et l'évolution de l'humanité.

XX. - JEANNE D'ARC AU VINGTIEME SIECLE ;
SES ADMIRATEURS ; SES CONTEMPTEURS.

Je suis dolente de voir que les Français se disputent mon âme.

JEHANNE.

La deuxième moitié du dix-neuvième siècle et le commencement du vingtième ont vu se produire, en faveur de la vierge lorraine, un puissant courant d'opinion, à la fois laïque et religieux. Les réputations mal assises ne résistent guère à l'action du temps. La physionomie de l'héroïne, au contraire, grandit avec les siècles et resplendit d'un plus vif éclat.

Ce courant d'opinion a deux sources. Il a pris naissance, d'une part, dans les nombreux ouvrages d'histoire et d'érudition, publiés par J. Michelet, Quicherat, H. Martin, Wallon, Siméon Luce, J. Fabre, etc. Dans cet ordre d'idées, aucun sujet n'a provoqué un ensemble de travaux aussi imposant. Il découle aussi des enquêtes et du procès dirigés par l'Eglise catholique, en vue de la canonisation de Jeanne d'Arc.

Des deux côtés, la mémoire de l'héroïne a trouvé des admirateurs sincères et des défenseurs généreux. Après une longue période de silence et d'oubli, ce fut comme un réveil d'enthousiasme. On se serait cru au lendemain de la délivrance d'Orléans. A mesure que les travaux se précisaient, la lumière devenait plus complète. Cette grande figure sortait des limites étroites, dans lesquelles le passé l'avait enfermée. Elle apparaissait dans toute sa beauté, comme la plus pure incarnation de l'idée de patrie, comme un véritable messie national. Ce magnifique élan de sympathie, malgré les efforts de certains détracteurs dont nous parlerons plus loin, n'a cessé de s'accentuer ; aujourd'hui, la Pucelle est sur le point de devenir la figure historique la plus populaire de notre pays.

Dès 1884, le cabinet politique, présidé par M. Dupuy, prit l'initiative d'une fête nationale en l'honneur de Jeanne d'Arc. Une première proposition fut présentée à la Chambre, le 30 juin. Elle portait les signatures de 252 députés et préludait par un exposé des motifs ainsi conçu :

« Un grand mouvement d'opinion vient de se produire en faveur de l'institution d'une fête nationale de Jeanne d'Arc, qui serait la fête du patriotisme.

« La République des Etats-Unis, outre sa fête de l'Indépendance, a sa fête de Washington. La République française, outre sa fête de la Liberté, aurait sa fête de Jeanne d'Arc.

« Ce jour-là, tous les Français s'uniraient dans une bienfaisante communion d'enthousiasme. »

La Commission d'initiative conclut à la prise en considération. Mais la législature ayant pris fin, la proposition resta en suspens, puis fut reprise par le Sénat, sur la demande de 120 sénateurs républicains.

Dans son rapport, présenté à la haute assemblée, M. Joseph Fabre, sénateur de l'Aveyron, s'exprimait ainsi :

« Ni l'Orient avec toutes ses légendes, ni la Grèce avec tous ses poèmes, n'ont rien conçu de comparable à cette Jeanne d'Arc que l'histoire nous a donnée. » (...)

« Le moment n'est-il pas opportun pour opposer cette grande mémoire aux déclarations dangereuses de tous les pontifes du cosmopolitisme, qui voudraient nous persuader qu'il ne nous reste pas même la seule religion qui ne comporte pas d'athées, la religion de la patrie ? »

Le projet de loi fut voté par le Sénat et renvoyé à la Chambre.

Après avoir dormi longtemps dans les cartons, à la suite d'une énergique pétition des Femmes de France le projet fut enfin repris et voté le 10 juillet 1920 dans les termes suivants : « Est déclaré fête nationale de Jeanne d'Arc, le deuxième dimanche de mai de chaque année. »

Quelle considération a retenu si longtemps nos politiciens sceptiques de la Chambre ? Probablement les « voix » de Jeanne d'Arc et le caractère spiritualiste de sa mission. Mais ces voix ont existé, le monde invisible est intervenu. La solidarité qui relie les êtres vivants s'étend par-delà le monde physique, embrasse deux humanités et se révèle par des faits. Les Entités de l'espace ont sauvé la France au quinzième siècle par l'intermédiaire de l'héroïne. Que cela plaise ou non, on ne peut oublier l'histoire. La France et le monde sont entre les mains de Dieu, même lorsque ce sont les matérialistes et les athées qui gouvernent. La Révolution elle-même fut un geste des puissances invisibles ; mais elle ne fut pas comprise dans l'idée-mère qui l'inspira.

On peut combattre le cléricalisme et ses abus ; pour ce qui est de l'idéal spiritualiste et religieux, on ne le détruira jamais. Il domine les temps et les empires, se transformant avec eux pour revêtir un caractère toujours plus large et plus élevé.

Il faut remarquer que Jeanne a tous les titres à l'affection des démocrates. En effet, son oeuvre n'est pas seulement une affirmation de l'Au-delà, elle est aussi la glorification du peuple dont elle est issue, celle de la femme, celle du droit des nations et surtout l'affirmation de l'inviolabilité des consciences.

Les hommes de 89 et de 48 avaient déjà une très haute conception de cette idéale figure. Tous s'inclinaient devant la mémoire de Jeanne, et Barbès écrivait « qu'elle aurait un jour sa statue jusque dans nos plus petits hameaux ».

Du côté catholique, le mouvement d'opinion en faveur de la Libératrice a suivi une marche régulière et continue. L'évêque d'Orléans, Mgr Dupanloup, conçut, le premier, le projet de canonisation. Le 8 mai 1869, il adressa au pape Pie IX une requête signée par de nombreux évêques, pour obtenir que la « Pucelle, proclamée sainte, pût recevoir dans les temples les hommages et les prières des fidèles ». Les événements de 1870, et la chute du pouvoir temporel retardèrent les effets de cette première instance. Mais, peu après, la question fut examinée de nouveau et le « procès informatif », ordonné en 1874, fut terminé en 1876.

Le 11 octobre 1888, trente-deux cardinaux, archevêques et évêques français, adressaient à Léon XIII « leurs supplications pour que Jeanne d'Arc fût bientôt placée sur les autels ».

Enfin la canonisation fut célébrée en grande pompe le 16 mai 1920, à Saint-Pierre de Rome, par Pie X, en présence de 30.000 pèlerins français, dont 65 évêques. La foule débordait sur les parvis et couvrait la place jusqu'à la colonnade du Bernin.

Nous ne songeons nullement à blâmer les manifestations solennelles qui ont eu lieu à Rome et dans la France entière. Tous les Français ont le droit d'honorer la Libératrice à leur guise. Nous regrettons seulement que dans le mouvement catholique en faveur de Jeanne d'Arc, l'intérêt de caste paraisse si évident. Il semble qu'on veuille exploiter la mémoire de l'héroïne, et on la déforme en la sanctifiant. Ne cherche-t-on pas à faire d'elle un trophée, un signe de ralliement pour les luttes semi-politiques, semi-religieuses ?

La vierge lorraine paraît peu sensible à ces hommages. Aux cérémonies bruyantes, elle préfère l'affection de tant d'âmes modestes et obscures, qui savent l'aimer en silence. Leurs pensées montent vers elle comme le parfum discret des violettes, dans le calme et le recueillement de la prière. Et cela la touche plus que l'éclat des fêtes et le fracas des orgues ou des canons.

*

*        *

Le courant catholique provoqua un courant contraire. On vit avec un étonnement mêlé de stupeur, se dessiner contre Jeanne d'Arc une campagne de dénigrement. Alors que tous les peuples nous l'envient, que les Allemands la glorifient par l'oeuvre de Schiller, tandis que les Anglais eux-mêmes l'honorent comme un des plus beaux exemples offerts à l'humanité, ce fut en France que l'on entendit critiquer, rabaisser une des plus pures gloires de notre nation.

Toute une catégorie d'écrivains libres penseurs s'est ruée sur le renom de Jeanne.

Ont-ils cédé au besoin malsain d'abaisser toute supériorité, qui est le propre de certains esprits, ce directeur d'un Journal parisien et ce professeur de l'Université qui se sont acquis une notoriété spéciale en dénaturant l'oeuvre de Jeanne ? Ou bien ont-ils obéi à un autre mobile aussi peu avouable ? Quoi qu'il en soit on ne peut que déplorer l'attitude de ces deux hommes que leur culture intellectuelle eût dû préserver d'une telle déchéance.

Lisons ce qu'écrit M. Bérenger, directeur du journal l'Action, sur la grande âme dont nous venons d'étudier la vie :

« Maladive, hystérique, ignorante, Jeanne d'Arc, même brûlée par les prêtres et trahie par son roi, ne mérite pas nos sympathies. Aucun des idéaux, aucun des sentiments qu'inspire l'humanité d'aujourd'hui n'a guidé l'hallucinée mystique de Domremy. En soutenant un Valois contre un Plantagenet, que fit-elle d'héroïque ou même de louable ? Elle contribua, plus que tout autre, à créer, entre la France et l'Angleterre, le misérable antagonisme dont nous avons peine à nous libérer six siècles après. »

Que dire de cet amas d'insanités, où presque chaque mot est un outrage, chaque pensée un défi à l'histoire et au bon sens ?

Et M. Thalamas, ce professeur d'un lycée de Paris, cherchant, par ses cours à des enfants de quinze ans, à faire pénétrer dans ces jeunes cerveaux des doutes sur le véritable caractère de la Pucelle ! A quelle source a-t-il puisé sa prétendue érudition ?

Jaurès, le grand orateur socialiste, qui, le 1° décembre 1904, prit, à la Chambre des députés, la défense de ce singulier professeur d'histoire, fut plus habile. Il sauva son client des mesures disciplinaires qui auraient été peut-être édictées contre lui, en puisant dans ses souvenirs de l'Ecole, les éléments d'une sorte de panégyrique de la grande calomniée. Dans son discours, Jeanne n'est plus l'hallucinée, dépeinte à ses élèves par le professeur du Lycée Condorcet ; l'orateur est bien obligé de lui concéder une « merveilleuse hauteur d'inspiration morale ; une merveilleuse finesse et subtilité d'esprit », ce par quoi elle se rattache « au vieux fond gaulois de notre race ».

Dans ses articles de journaux, conférences et brochure, M. Thalamas semble aussi étranger au patriotisme et aux nobles sentiments dont l'histoire de la Pucelle est tissée, qu'aux notions psychiques et aux connaissances militaires qu'il est nécessaire de posséder, pour la bien comprendre et surtout pour la décrire. En parcourant son opuscule : Jeanne d'Arc, l'histoire et la légende, on est tout d'abord surpris de voir avec quelle légèreté il fait la leçon à des historiens tels que Michelet, H. Martin, etc., qui ont lu les textes, les ont compris et les ont interprétés logiquement à leur point de vue psychologique, patriotique et humain, dans un beau langage. Tout en rendant justice çà et là à la « splendide conviction » et même à « l'héroïsme » de la Pucelle, sous sa plume, la physionomie de la Vierge lorraine s'estompe, s'efface ; sa mémoire pâlit, son rôle se restreint. Elle devient un personnage de deuxième ou troisième plan.

Parfois, sa tactique consiste à comparer, à opposer à Jeanne d'Arc d'autres voyantes : Catherine de La Rochelle et Perrinaïc la Bretonne. Or, on chercherait vainement dans l'existence de ces pauvres femmes un fait, un acte, une parole comparables à ceux qu'on trouve en abondance dans la vie de Jeanne. Il y a là un parti pris évident, un désir d'amoindrir l'héroïne.

Dans ses conférences à travers la France, M. Thalamas émettait l'opinion que les Orléanais assiégés pouvaient se tirer seuls d'affaire ; dans sa brochure, il est d'un tout autre avis. La prise d'Orléans, dit-il (p. 34), dans un délai plus ou moins rapproché, malgré la mauvaise direction du siège, n'en était pas moins fatale.

Les Parisiens, en 1870, pouvaient aussi chasser les Allemands ; ni les hommes, ni l'argent, ni le courage ne leur manquaient : on l'a bien vu par la durée de leur résistance ; c'est un chef possédant la foi communicative et les talents militaires nécessaires, qui leur a fait défaut. Ce chef-là, Orléans le trouva et, par lui, fut sauvé !

Parmi les écrivains contempteurs de Jeanne d'Arc, Anatole France s'est fait une place considérable par la publication, en 1908, de deux gros volumes in-8. Mais son oeuvre, si importante en apparence par l'étendue et la documentation, perd beaucoup de sa valeur dès qu'on la soumet à une analyse attentive. Ce qui domine en elle, c'est l'ironie perfide et les subtiles moqueries. On n'y trouve pas de brutalités à la manière des Bérenger et autres critiques. L'habile académicien procède par voie d'insinuation. Tout concourt, dans ces pages, à rapetisser l'héroïne et, souvent, à la rendre ridicule.

Si, en certains cas, il consent à lui rendre justice, la plupart du temps, il la ravale au dernier rang et lui attribue le rôle d'une fille imbécile. Ainsi, lorsque Loyseleur vient l'entretenir, nombre de fois, dans sa prison, tantôt sous le costume d'un cordonnier, tantôt sous un vêtement ecclésiastique, elle ne s'aperçoit pas qu'elle a affaire à une seule et même personne.

Le premier volume de A. France était remarquable comme style et coordination d'idées. On y retrouvait le subtil lettré. Le second fut incohérent, d'un style relâché, rempli d'anecdotes plaisantes ou tragiques, de faits curieux, parfois étrangers au sujet. Ces récits en rendent cependant la lecture amusante, et en ont assuré le succès. Mais c'est en vain, que dans toute l'oeuvre on chercherait un sentiment élevé et quelque grandeur. Ces qualités sont inconnues à l'auteur. Et que d'erreurs volontaires !

Ces erreurs, M. Achille Luchaire, professeur à la Sorbonne, l'un des maîtres incontestés des études sur le moyen âge, a été un des premiers à les signaler. En voici un exemple. Le chevalier Robert de Baudricourt est, pour M. Anatole France, un homme « simple et jovial ». Et, à l'appui de cette affirmation, il cite (Procès, t. III, p. 86) une page où il n'est nullement question de ce personnage (LUCHAIRE, Grande Revue, 25 mars 1908, p. 231, note). France prête au même Baudricourt cette opinion « que Jeanne ferait une belle ribaude, et que ce serait un friand morceau pour les gens d'armes ». « Mais le Procès (t. III, p. 85), auquel France se reporte à ce sujet, dit M. Luchaire, ne parle que de l'entrevue de Chinon et du siège d'Orléans, et nullement du capitaine de Vaucouleurs. » (Grande Revue, 25 mars 1908, p. 230, note).

M. Luchaire donne d'autres exemples. Des constatations identiques sont faites par M. Salomon Reinach dans la Revue critique. A. France écrit : « Elle entendit la voix qui lui disait : Le voilà ! » En note, renvoi à Procès (t. II, p. 456), où on ne trouve rien de tel (Revue critique, 19 mars 1908, p. 214). De même M. Andrew Lang, dans la Fortnightly Review. A propos de prétendues prophéties que les prêtres auraient révélées à quelques dévots, et parmi eux à Jeanne d'Arc, M. Lang fait observer : « A l'appui de son dire, M. France cite un passage du procès qui prouve exactement le contraire de ce qu'il vient d'avancer. » Ailleurs, il s'agit des voyages que Jeanne aurait faits à Toul, pour y paraître devant le tribunal de l'official, sous l'inculpation d'avoir rompu une promesse de mariage, et M. Lang objecte : « A l'appui de ses dires, M. France cite trois pages du Procès (t. I et II). L'une des trois (t. II, p. 476) n'existe pas, les deux autres ne confirment en rien ce qu'il avance, et l'une des pages suivantes le contredit. »

Dans un article bibliographique publié par la Revue hebdomadaire, M. Funck-Brentano fait ressortir avec justesse ces graves imperfections de l'oeuvre de M. France :

« Les inexactitudes y reviennent sans cesse. Elles surprennent de la part d'un écrivain qui, au cours de sa préface, se montre si sévère à ses devanciers ; mais, après tout, il n'y a là que péché véniel, encore qu'il se répète souvent. On devient plus perplexe sur la valeur historique de l'oeuvre de France, quand on trouve aux textes une portée toute différente de celle qu'il leur attribue. Qu'un historien force sa pensée dans la direction d'idées préconçues, c'est regrettable ; mais que dire s'il y incline arbitrairement les documents eux-mêmes ?

« Les différents critiques, qui se sont occupés jusqu'à ce jour de l'oeuvre retentissante de M. France, de cette Vie de Jeanne d'Arc qui fit tant de bruit avant même que de paraître, ont été surpris de constater, en maints endroits, à propos des textes auxquels renvoyait l'auteur comme fondement de son récit ou de ses opinions, que, non seulement ces textes étaient reproduits ou commentés inexactement, mais qu'ils ne contenaient rien qui concernât de près ni de loin ce que M. France leur faisait dire.

« Le sens commun, dit France, est rarement le sens du juste et du vrai (t. I, p. 327). Aussi le sens commun a-t-il été exclus de son livre avec un soin parfait. En son lieu et place, pour l'agrément du lecteur, des histoires pittoresques et inattendues, (t. I, p. 532), il s'agit du don, attribué à nos anciens rois, de guérir les écrouelles. Notre séduisant historien constate que, dans la vieille France, les vierges avaient le même don, à condition qu'elles fussent toutes nues et qu'elles invoquassent Apollon. Voilà, du moins, qui est imprévu ! La citation renvoie à Leber (Des Cérémonies du sacre). M. Salomon Reinach l'a vérifiée : il s'agit d'un emprunt fait par un clerc à Pline, lequel vivait au premier siècle ! »

Au cours du même article, M. Funck-Brentano cite encore l'opinion d'Andrew Lang, auteur d'un ouvrage estimé sur Jeanne d'Arc, publié en langue anglaise :

« M. Lang signale l'éternel et déplaisant ricanement dont A. France accable littéralement ses lecteurs. Le mot « ricanement » est sans doute un peu dur. A. France ne ricane pas. C'est le fin sourire d'un aimable ironiste. Mais l'ironie n'est pas de l'histoire. L'ironiste se moque et l'historien doit expliquer. Qu'est-ce que l'histoire ? L'explication des faits du passé.

« Mais revenons à M. Lang qui dit : « La première qualité du véritable historien, c'est l'imagination sympathique qui, seule, permet de comprendre l'époque dont il parle, d'en connaître les pensées et les sentiments, et de revivre en quelque sorte la vie des hommes d'autrefois. Anatole France manque de ce don essentiel à un degré tout à fait surprenant. »

« A. France est un admirable sophiste - à prendre ce mot dans son vrai sens. »

Enfin M. Funck-Brentano commente un article du critique allemand, Max Nordau, sur la Jeanne d'Arc d'A. France. Il débutait par ces mots, empruntés à Schiller, à propos de la Pucelle d'Orléans : « Le monde aime à ternir ce qui brille, il aime à traîner dans la poussière ce qui s'est élevé. » La conclusion de l'article répondait à cette entrée en matière :

« Après le travail d'Anatole France, il nous sera difficile de passer sans haussement d'épaules devant la statue équestre de la Pucelle d'Orléans. Sans brutalité, avec la main habile, douce et caressante d'une soubrette, il l'a dépouillée de sa légende, et voici que, privée de cette riche parure faite de contes et de traditions, Jeanne d'Arc n'inspire plus que de la pitié ; il ne peut plus être question pour elle d'admiration, ni même de sympathie. »

Ces lignes font ressortir nettement le caractère perfide et malfaisant de l'oeuvre d'un écrivain soi-disant rationaliste, qui, ne comprenant rien aux effets, a néanmoins la prétention d'en indiquer les causes, et ne craint pas de torturer les textes pour fausser l'opinion.

L'oeuvre d'Anatole France est, à certains points de vue, une lourde erreur et une mauvaise action. On pourrait lui appliquer le mot de Mme de Staël, parlant de la Pucelle de Voltaire : « C'est un crime de lèse-nation ! »

A ces diatribes, nous allons opposer l'opinion de contemporains illustres, qui ne se sont pas laissé aveugler par la haine politique.

Vers la fin du dernier siècle, un journaliste, Ivan de Woestyne, ayant eu l'idée de demander aux membres de l'Académie française leur sentiment sur Jeanne d'Arc, recueillit un ensemble de témoignages constituant le plus magnifique éloge de l'inspirée. Ces représentants les plus raffinés du talent et de l'esprit en notre pays, tinrent à honneur de déposer aux pieds de l'héroïne le tribut de leur admiration et de leur reconnaissance.

Pasteur écrivait :

« La grandeur des actions humaines se mesure à l'inspiration qui les fait naître : la vie de Jeanne d'Arc en est la preuve sublime. »

Gaston Boissier dit à son tour :

« Nous la reconnaissons ; elle est bien de notre race et de notre sang : Française par les qualités de son esprit autant que par son amour pour la France. »

Léon Say ajoutait :

« Quand la patrie est malheureuse, il reste aux Français une consolation. Ils se souviennent qu'il est né une Jeanne d'Arc et que l'histoire se recommence. »

Enfin, Alexandre Dumas fils exprimait dans une brève formule les sentiments du pays tout entier :

« Je crois qu'en France tout le monde pense de Jeanne d'Arc ce que j'en pense moi-même. Je l'admire, je la regrette et je l'espère ! »

Beaucoup d'autres penseurs et hommes politiques s'associèrent à cette manifestation. Dans un discours prononcé au Cirque américain, Gambetta s'écriait :

« Il faut en finir avec les querelles historiques. On doit passionnément admirer la figure de la Lorraine qui apparut au quinzième siècle, pour abaisser l'étranger et pour nous redonner la patrie. »

De son côté, Jules Favre prononça à Anvers un panégyrique de Jeanne d'Arc, qui se terminait ainsi :

« Jeanne, Pucelle d'Orléans, c'est la France ! la France bien-aimée, à laquelle on se doit dévouer d'autant plus qu'elle est malheureuse ; c'est plus encore, c'est le devoir, c'est le sacrifice, c'est l'héroïsme de la vertu ! Les siècles reconnaissants n'auront jamais assez de bénédictions pour elle. Heureux si son exemple peut relever les âmes, les passionner pour le bien et répandre, sur la patrie entière, les germes féconds des nobles inspirations et des dévouements désintéressés ! »

Avant Jules Favre, Eugène Pelletan avait admiré dans Jeanne la patronne de la démocratie. Il disait aussi :

« O noble fille ! tu devais payer de ton sang la plus sublime gloire qui ait sacré une tête humaine. Ton martyre devait diviniser encore plus ta mission. Tu as été la plus grande femme qui ait marché sur cette terre des vivants. Tu es maintenant la plus pure étoile qui brille à l'horizon de l'histoire. »

Par contre, certains journaux, le Monde et l'Univers entre autres, attaquèrent vivement l'institution d'une fête de Jeanne d'Arc par la République, et soutinrent qu'il appartenait aux seuls catholiques et royalistes de célébrer la Pucelle.

De nombreuses manifestations politiques se produisirent dans le même sens sur divers points de la France où le nom de Jeanne devient une sorte de trophée, un instrument de combat.

Exaltée par les uns, dénigrée par les autres dans un esprit d'opposition systématique, son prestige ne s'est pas amoindri. La pure et noble image de la vierge lorraine reste gravée dans le coeur du peuple, qui, lui, sait l'aimer pour elle-même, sans arrière-pensée. Rien ne saurait l'en effacer.

Le nom de Jeanne d'Arc est encore le seul qui puisse rallier tous les Français dans le culte de la patrie. Des divisions profondes séparent encore les partis. Les revendications violentes des uns, l'égoïsme et le ressentiment des autres contribuent à affaiblir la famille française. Les grands sentiments se font rares ; les appétits, les convoitises, les passions règnent en maîtres.

Elevons nos âmes au-dessus des contradictions de l'heure présente. Apprenons, par l'exemple et les paroles de l'héroïne, à aimer notre patrie comme elle sut l'aimer, à la servir avec désintéressement et esprit de sacrifice. Redisons bien haut que Jeanne n'appartient ni à un parti politique, ni à une Eglise quelconque. Jeanne appartient à la France, à tous les Français !

Aucune critique, aucune controverse ne saurait ternir la chaste auréole qui l'entoure. Grâce à un mouvement national irrésistible, cette grande figure monte toujours plus haut dans le ciel de la pensée calme, recueillie, libérée des préoccupations égoïstes. Elle apparaît non plus comme une personnalité de premier plan, mais comme l'idéal réalisé de la beauté morale. L'histoire nous offre de brillantes pléiades d'êtres de génie, de penseurs et de saints. Elle ne nomme qu'une Jeanne d'Arc !

Ame toute faite de poésie, de passion patriotique et de foi céleste, elle se détache avec éclat de l'ensemble des vies humaines les plus belles. Elle se montre sans voile à notre siècle sceptique et désenchanté, comme une pure émanation de ce monde supérieur, source de toute force, de toute consolation, de toute lumière, de ce monde que nous avons trop oublié, et vers lequel doivent maintenant se tourner nos regards.

Jeanne d'Arc revient parmi nous, non seulement par le souvenir, mais par une réelle présence et dans une action souveraine. Elle nous invite à compter sur l'avenir et sur Dieu. Sous son égide, la communion des deux mondes, unis dans une même pensée d'amour et de foi, peut encore se réaliser pour la régénération de la vie morale expirante, pour le renouvellement de la pensée et de la conscience de l'humanité !

XXI. - JEANNE D'ARC A L'ETRANGER.

Nous pensons en Angleterre que Jeanne est la plus grande héroïne qu'ait vue le monde, et nous regrettons ce qui a été fait et qui fut mal fait.

EDWARD CLARKE.

La vie et l'oeuvre de Jeanne d'Arc ont suscité l'admiration de tous nos voisins. La vierge lorraine, parfois critiquée, dénigrée en France, ne rencontre au-dehors qu'un respect et une sympathie universels.

Domremy est devenu le but de pèlerinages internationaux. Les Anglais, venus soit en groupes, soit isolément, y affluent. On y rencontre aussi des Américains, des Italiens, des Russes, des Hollandais, des Belges, des Allemands, etc.

L'Angleterre tout entière s'est prise d'enthousiasme pour la grande inspirée, et ses fils ne manquent pas une seule occasion de la glorifier.

Aux fêtes normandes célébrées en mai, à Rouen, figurent chaque année, des délégations anglaises, qui traversent la Manche pour honorer avec solennité la mémoire de la Pucelle. Déjà en 1909, l'une d'elles dirigée par M. Edward Clarke, maire d'Hastings, se présenta en grand cérémonial précédée des deux massiers traditionnels pour déposer une branche de lis en fer forgé, sur la place même où Jeanne fut suppliciée. Le maire d'Hastings prononça les paroles émouvantes qui servent d'épigraphe à ce chapitre.

Un mémoire du quinzième siècle sur les « miracles » accomplis par Jeanne, ayant été découvert dans les archives du Vatican en 1885, une commission fut constituée pour dépouiller et vérifier ce document.

Le président désigné fut un cardinal anglais, l'éminent Howard, d'illustre naissance. Il eut une noble expression : « Ce n'est pas d'une main sanglante que je vais tourner les pages de cette sublime histoire : c'est d'une main repentante. »

L'Angleterre avait déjà répudié le crime de Bedford, le jour où la reine Victoria voulut avoir sous les yeux l'image de notre Jeanne, et fit peindre son portrait.

Catholique, l'Angleterre n'avait pas cherché à intimider Rome lors du procès de réhabilitation ; devenue protestante, elle aida de son mieux à la béatification.

Spectacle touchant : le léopard se couche aux pieds de la vierge de Domremy et implore son pardon !

N'y a-t-il pas là une leçon pour les Français ? une invitation à tresser la plus belle des couronnes à leur héroïne et, comme nos voisins d'outre-Manche, à faire amende honorable devant celle envers qui tous les partis se rendirent coupables ? Oui certes, coupables ! Ce furent des catholiques français qui la condamnèrent, au moment même où les royalistes l'abandonnaient à son sort cruel, et les libres penseurs n'ont guère mieux agi envers elle : un de leurs maîtres, Voltaire, l'a profanée, et aujourd'hui encore, c'est parmi eux que se rangent tous ses détracteurs.

*

*        *

Recherchons de quelle façon la mémoire de Jeanne a conquis peu à peu l'opinion publique en Angleterre et en Allemagne. Dans cet examen, nous nous inspirerons, tout spécialement, du travail de M. James Darmesteter : Nouvelles Etudes anglaises, et de l'intéressante brochure de M. Georges Goyau : Jeanne d'Arc devant l'opinion allemande.

Tout d'abord, en ce qui touche l'opinion anglaise, citons M. J. Darmesteter :

« La vie de Jeanne d'Arc en Angleterre, depuis sa mort jusqu'à nos jours, se divise en trois périodes : sorcière, - héroïne, - sainte ; d'abord deux siècles d'insulte et de haine, puis un siècle de justice humaine ; enfin, en 1793, s'ouvre une ère d'adoration et d'apothéose. »

A la première période se rattachent les chroniques de Caxton et Holinshed, et le Henri VI attribué à Shakespeare. La vague de haine et de calomnie, soulevée par l'oeuvre de Jeanne d'Arc, s'arrête là. En 1679, le docteur Howell constate déjà, que « la fameuse bergère Jeanne de Lorraine a fait de bien grandes choses ».

En 1747, l'historien conservateur William Guthrie écrit, à propos du jugement de la Pucelle : « Comme l'or, elle partit plus pure à chaque épreuve. »

En 1796 apparaît l'oeuvre célèbre de Southey : Joan of Arc, poème épique plein de lacunes et d'erreurs, mais qu'anime un souffle généreux.

Cette oeuvre accentua le revirement d'opinion en faveur de Jeanne. Certains critiques anglais la trouvèrent pourtant insuffisante. Thomas de Quincey, l'un des écrivains les plus érudits et les plus estimés de ce temps, reproche au poète d'avoir arrêté la carrière de l'héroïne au sacre de Reims, et d'avoir esquivé sa passion. Il dit à ce sujet :

« Tout ce qu'elle avait à faire était accompli ; il lui restait à souffrir. Jamais, depuis que furent jetés les fondements de la terre, il n'y eut tel procès que le sien, si on pouvait le déployer dans toute sa beauté de défense, dans toute son horreur infernale d'attaque. O enfant de France, bergère, jeune paysanne foulée aux pieds de tous ceux qui t'entourent ! »

Depuis un siècle, l'Angleterre ne cesse de rendre à la mémoire de Jeanne les plus chaleureux hommages. Richard Green la considère comme « la figure de pureté qui se détache du sein de l'avidité, de la luxure, de l'égoïsme, de l'incrédulité du temps ». Les biographies de l'héroïne, les apologies se multiplient. Citons aussi ces paroles de Carlyle :

« Jeanne d'Arc devait être une créature de rêves pleins d'ombres et de lumières profondes, de sentiments indicibles, de pensées qui erraient à travers l'éternité. Qui peut dire les épreuves et les triomphes, les splendeurs et les terreurs dont ce simple esprit était la scène ? »

L'oeuvre plus récente de l'écrivain écossais Andrew Lang, sur Jeanne d'Arc, constitue un magnifique plaidoyer en faveur de l'héroïne, que l'auteur défend avec humour et sagacité contre les attaques sournoises d'Anatole France. Il dit, entre autres :

« Dès le milieu du dix-huitième siècle, lorsque David Hume, grâce aux chroniqueurs écossais, put acquérir la certitude de l'iniquité de la condamnation de Jeanne, tout le monde en Angleterre fut éclairé sur cet événement historique. Depuis, on y a glorifié la martyre de maintes façons. Chaque enfant connaît son histoire, histoire sans pareille. »

Aux jours d'épreuves de la grande guerre, alors que nos deux nations s'unissaient dans un effort suprême et que le souvenir de Jeanne se réveillait plus intense, les manifestations anglaises en son honneur prirent un caractère touchant. Par exemple, des parlementaires anglais venus nombreux à Paris en 1915 déposèrent devant la statue de la place des Pyramides une palme portant l'inscription suivante :

« Les représentants du Parlement britannique déposent cette palme aux pieds de Jeanne d'Arc comme le symbole de la réconciliation complète des deux pays, à l'heure où les deux peuples unis dans le même sentiment de vénération pour l'héroïne de la vieille France défendent ensemble la liberté du monde.»

Enfin nous avons eu la satisfaction de voir, en 1924, l'éminent écrivain anglais Sir Arthur Conan Doyle traduire lui-même et publier dans ses parties essentielles le présent ouvrage sous le titre : The mystery of Joan of Arc. Son talent, ses connaissances psychiques assuraient d'avance le succès d'une oeuvre que toute la presse anglaise accueillit avec faveur. Sir C. Doyle pour présenter ce livre au public d'outre-Manche a écrit une préface dont nous extrayons seulement les lignes suivantes :

« Si nous faisons abstraction de la divinité du Christ, nous trouverons une grande analogie entre ces deux caractères si nous les comparons à un point de vue purement humain. Tous les deux appartenaient à la classe humble et laborieuse : tous les deux affirmaient et accomplissaient une mission. Tous les deux subirent le martyre quand ils étaient encore jeunes. Tous les deux furent acclamés par le peuple et trahis et méprisés des grands. Ils inspirèrent la haine la plus vive à l'Eglise de leur temps dont les grands prêtres complotèrent la mort de l'un et de l'autre. Enfin tous deux s'exprimèrent en phrases claires et simples, fortes et concises.

« La mission de Jeanne était apparemment guerrière, mais en réalité elle eut pour résultat de mettre fin à un siècle de guerre. Son amour et sa charité étaient si immenses qu'ils n'ont de comparables que les paroles de celui qui, sur la croix, pria pour ses bourreaux. »

*

*        *

En Allemagne, les exploits de Jeanne d'Arc, nous dit M. Georges Goyau, étaient connus et suivis au jour le jour. Il en subsiste des preuves écrites, par exemple le Mémorial d'Eberhard de Windecke, historiographe de l'empereur Sigismond.

Un siècle plus tard, vers la fin du règne de François 1°, au même moment où Du Maillan, chroniqueur patenté des Valois, diffamait la Pucelle, et où Etienne Pasquier constatait avec douleur le discrédit dans lequel sa mémoire était tombée dans notre pays, un jeune Prussien, Eustache de Knobelsdorf, improvisait un éloge pathétique de la grande inspirée.

En 1800, Schiller, que la Convention avait honoré du titre de citoyen français, dans un poème tragique de belle envolée, vengeait Jeanne d'Arc des insanités de Voltaire.

Ce poème fut mis à la scène et obtint, dans toute l'Allemagne, un succès extraordinaire. De 1801 à 1843, la Pucelle d'Orléans n'eut pas moins de 241 représentations sur la seule scène berlinoise ; on ne se lassait pas de l'applaudir.

Goethe écrivait à Schiller : « Votre pièce est si bonne et si belle, que je ne vois rien à lui comparer. » Cette oeuvre est cependant loin d'être parfaite.

L'auteur a bien vu en Jeanne une âme enflammée de patriotisme, mais, dans son drame, il a souvent défiguré l'histoire. Ce drame, néanmoins, est passé à la postérité, car il témoigne du noble idéal de son auteur en des vers tantôt incisifs, et qui se gravent comme des sentences dans la mémoire, tantôt si touchants, si vraiment humains, que l'âme en garde une impression profonde.

Un critique éminent, A.-W. Schlegel, disait en ces termes son admiration pour le caractère de Jeanne d'Arc dans l'oeuvre de Schiller : « La haute mission dont elle a la conscience, et qui impose le respect à tout ce qui l'approche, produit un effet extraordinaire et plein de grandeur. »

L'odyssée littéraire de la Pucelle en Allemagne ne s'arrête pas là. Au lendemain de 1815, un publiciste bavarois, Friedrich Gottlob Wetzel, écrivit une tragédie sur Jeanne d'Arc.

Le baron de la Motte-Fouqué, descendant de réfugiés protestants, pour célébrer l'héroïne se fit traducteur. Il adapta au goût allemand l'Histoire de Jeanne d'Arc de Lebrun des Charmettes.

Mais l'oeuvre la plus rigoureusement historique consacrée, au-delà du Rhin, au souvenir de notre Jeanne, est celle de Guido Goerres. Joseph Goerres et Guido, son fils, écrivirent un livre, dans lequel « ils prosternaient aux pieds de la vierge française les hommages de l'Allemagne ».

Jeanne d'Arc est l'envoyée de Dieu pour le salut de la France : voilà la thèse que soutient Joseph Goerres, dans la préface dont il fait précéder le livre de son fils. Il écrit : « C'était la destinée des Français de devenir, entre les mains de Dieu, dans les âges suivants, un fouet et un aiguillon pour les autres peuples, et la France n'eût pu remplir ce rôle providentiel, si elle n'eût pas été délivrée de la domination étrangère et n'eût pas conservé son individualité. »

Selon Joseph Goerres, Jeanne appartenait à deux mondes, celui de la terre et celui du ciel ; elle était appelée à agir dans l'un comme envoyée de l'autre ; à ce titre, elle appartiendrait à tous les peuples, au peuple français par le sang, aux autres par ses nobles actions.

Il s'en fallut de peu que Guido Goerres ne précédât Quicherat dans ses recherches. Montalembert eut l'intention d'aborder ce grand sujet, mais le travail de Guido Goerres lui parut assez important pour l'y faire renoncer, et il l'écrivit au père de l'auteur. Guido séjourna à Orléans, vint à Paris, à la Bibliothèque Nationale, et projetait un nouveau livre sur la Pucelle, plus documenté que le premier, quand il fut rappelé en Allemagne et détourné par d'autres travaux.

Depuis cette époque, une pléiade de savants, d'historiens, d'écrivains de tous rangs se sont mis, au-delà du Rhin, à commenter l'épopée de la vierge lorraine.

Par la plume des deux Goerres, le catholicisme allemand avait rendu hommage à la Pucelle ; Charles Hase, en 1850, lui apporta l'hommage du protestantisme.

Un des biographes allemands de Jeanne, le professeur Hermann Semmig, osait écrire en 1883 : « En France, hors d'Orléans, la Pucelle n'est pas partout aussi chère au peuple français, qu'elle l'est au peuple allemand. »

« L'Allemagne - écrit encore G. Goyau - semble affecter une sorte de coquetterie à l'endroit de la Pucelle ; et cette coquetterie, parfois, dans l'expression dont elle se pare, devient presque offensante pour nous. Si la France pouvait être accusée d'oublier Jeanne, l'Allemagne serait là pour la célébrer ; si quelque Français diffame Jeanne, l'Allemand surgit comme chevalier. On dirait que l'Allemagne littéraire et savante, toujours éprise de l'antique Velléda, porte quelque envie aux Français. »

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*        *

L'Italie nous offre, sur le même sujet, la Chronique générale de Venise ou Diario, d'Antonio Morosini, récemment traduite et publiée.

A. Morosini, noble Vénitien et négociant armateur de réel mérite, a rédigé sous ce titre un « journal », tenu sans interruption de 1404 à 1434, que la Revue hebdomadaire commente en ces termes :

« Observateur prévoyant et avisé, il (Morosini) a su intercaler le texte de vingt-cinq lettres ou groupes de lettres relatant au fur et à mesure la suite des actions de la Pucelle. Ainsi se trouve composé, spontanément, le plus sincère des ensembles, la « série » la plus captivante de notions, d'impressions et de sensations, rédigées non seulement de semaine à semaine, mais presque de jour à jour.

« Ces correspondances, pour la plupart, proviennent de Bruges, la grande place commerciale de Flandre, centre de négoce, d'affaires et d'informations. Elles résument elles-mêmes, quelquefois, des lettres de multiples origines, de Bourgogne, de Paris, de Bretagne. D'autres arrivent à Venise, directement, d'Avignon, de Marseille, de Gênes, de Milan, du Montferrat. Elles ont pour auteur principal le Vénitien Pancrazio Giustiniani, résidant à Bruges. A côté de lui, se décèle Giovanni de Molino, fixé à Avignon.

« En très peu de jours, dès le 10 mai peut-être, avec une rapidité vraiment surprenante, parvenait d'Orléans jusqu'en Flandre la nouvelle du combat des Tourelles, livré le 7, avec la prévision de la rupture immédiate du siège. Par le courrier ordinaire, la « valise » qui voyage entre Bruges et la cité des Doges, Giustiniani, presque immédiatement l'expédie à Venise, à son père. Ce jour même, le 18 juin, Antonio Morosini transcrit la lettre, la préserve et la sauve.

« Depuis, à intervalles plus ou moins proches, il enregistre, copie ou résume de continuelles missives. La retraite des Anglais, Patay, le sacre, la marche sur Paris, sont annoncés, observés, transmis, avec le reflet de la stupéfaction et de l'enthousiasme suscités par ces incompréhensibles réalités. Même après l'affreux retour sur la Loire, après le désastre de Compiègne, les sympathies continuent. Jusqu'au deuil de Rouen, le drame est suivi avec une émotion qui ne se dément pas. »

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Par cette étude rapide, on peut voir comment Jeanne, partout glorifiée au-dehors, même par ses ennemis d'antan, n'a rencontré des détracteurs que dans le pays fait, par elle, libre et victorieux. Le culte dont elle est l'objet à l'étranger n'est-il pas de nature à frapper ses contempteurs, eux qui se disent animés de sentiments internationalistes ? C'est en France seulement que Jeanne a été dénigrée par des écrivains de mérite peut-être, mais incapables de la comprendre, parce qu'en elle l'humain et le divin se fondent et s'harmonisent en une idéale figure qui nous surpasse tous.

Sa vie est comme un reflet de celle du Christ. Comme lui, elle est née parmi les humbles ; comme lui, elle a subi l'injustice et la cruauté des hommes. Morte jeune, sa courte et douloureuse existence s'illumine, ainsi que la sienne, des rayons du monde invisible. Il s'y ajoute même un élément de poésie de plus : c'est qu'elle était femme et, parmi les femmes, une des plus sensibles et des plus tendres. Chose singulière et touchante, cette guerrière a le don de pacifier et d'unir. Elle attire tout à elle. Les Anglais, qui l'immolèrent, sont aujourd'hui ses plus chauds partisans ; en France même, pour tous ceux dont l'âme n'est pas desséchée par le vent du scepticisme, les divergences de vue en ce qui la concerne s'estompent et s'évanouissent dans une commune vénération.

Nous parlons des âmes desséchées. Le nombre en est grand chez nous. Depuis un siècle, le scepticisme a fait son oeuvre. Il tend de plus en plus à appauvrir les sources de la vie et de la pensée. Loin d'être une force, une qualité, c'est plutôt une maladie de l'esprit. Il détruit, annihile la confiance que nous devons avoir en nous-mêmes, en nos ressources cachées, la confiance aux possibilités de nous développer, de grandir, de nous élever, par un effort continu, sur les plans magnifiques de l'univers, la confiance en cette loi suprême qui attire l'être du fond des abîmes de vie, et ouvre à son initiative, à son essor, les perspectives infinies du temps et le vaste théâtre des mondes.

Le scepticisme détend peu à peu les ressorts de l'âme, amollit les caractères, éteint l'action féconde et créatrice. Puissant pour détruire, il n'a jamais rien enfanté de grand. En s'accroissant, il peut devenir un fléau, une cause de décadence et de mort pour un peuple.

Le criticisme est un produit de l'esprit sceptique de notre temps. Il a accompli un lent travail de désagrégation ; il a réduit en poussière tout ce qui faisait la force et la grandeur de l'esprit humain. La littérature est son principal moyen d'influence. La nouvelle génération se laisse séduire par la forme élégante du langage et la magie de l'expression chez ses devanciers, et aussi par cette considération morbide, qu'il est plus facile de critiquer, de railler, que d'étudier à fond un sujet et de conclure logiquement. On renonce ainsi peu à peu à toute conviction, à toute foi élevée, pour se complaire en une sorte de dilettantisme vague et stérile. Il est de bon ton de poser pour des désabusés, de considérer l'effort comme vain, la vérité comme inaccessible, d'écarter toute besogne pénible, en se contentant de comparer les opinions et les idées, pour les traiter par l'ironie et les tourner en dérision.

La méthode est aussi indigente que funeste, car elle débilite l'intelligence et le jugement. Il en résulte, à la longue, un amoindrissement sensible des qualités viriles de notre race, une insouciance des grands devoirs de l'existence, une méconnaissance du but de la vie, qui gagnent de proche en proche, pénètrent jusqu'au coeur du peuple, et tendent à tarir les sources de l'énergie nationale.

Les progrès du scepticisme s'expliquent en ce sens que, chez nous, les formes de la foi ne répondent plus aux exigences de l'esprit moderne et de la loi d'évolution. La religion est dépourvue des bases rationnelles sur lesquelles peut s'édifier une conviction forte. Le spiritualisme expérimental vient combler cette lacune, et offrir à l'âme contemporaine un terrain d'observation, un ensemble de preuves et de faits, qui constitue un ferme appui pour les croyances de l'avenir.

Comme aux temps de Jeanne et du Christ, le souffle de l'invisible passe sur le monde. Il va ranimer les courages défaillants, réveiller les âmes qui semblaient mortes. Il ne faut jamais désespérer de l'avenir de notre race. Le germe de la résurrection est en nous, dans nos esprits, dans nos coeurs. La foi éclairée, la confiance et l'amour sont les leviers de l'âme ; quand ils l'inspirent, la soutiennent, l'emportent, il n'est pas de sommet qu'elle ne puisse atteindre !

CONCLUSIONS.

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De la vie de Jeanne d'Arc, trois grands enseignements se dégagent en traits de lumière. Les voici :

L'humanité, dans ses heures de crise et d'épreuve, n'est pas abandonnée à elle-même ; mais, d'en haut, des secours, des forces, des inspirations viennent la soutenir et la guider dans sa marche. Quand le mal triomphe, quand l'adversité s'acharne sur un peuple, Dieu intervient par ses messagers. La vie de Jeanne est une des manifestations les plus éclatantes de la Providence dans l'histoire.

Une communion puissante relie tous les plans de la vie, visibles ou invisibles. Pour les âmes sensibles et évoluées, chez qui les sens intérieurs, les facultés psychiques, sont suffisamment développés, cette communion s'établit dès ce monde, au sein de la vie terrestre. Elle est d'autant plus étroite et féconde que ces âmes sont plus pures, détachées des influences inférieures, mieux préparées aux missions qui leur incombent. Tels sont la plupart des médiums. Parmi eux, Jeanne d'Arc fut un des plus grands.

Cette communion des vivants et des morts, des habitants de la terre et de ceux de l'espace, chacun de nous est appelé à y participer dans l'avenir, par l'évolution psychique et le perfectionnement moral, jusqu'à ce que les deux humanités, terrestre et céleste, ne forment plus qu'une seule et immense famille, unie dans la pensée de Dieu.

Dès maintenant, des liens subsistent entre les hommes et les disparus. Toutes les âmes qui se sont rencontrées sur la terre sont reliées par des fils mystérieux. Le présent est solidaire du passé et de l'avenir, et la destinée des êtres se déroule en spirale ascendante, depuis notre humble planète jusqu'aux profondeurs du ciel étoilé.

De là, de ces hauteurs, descendent les messies, les messagers providentiels. Leur apparition parmi nous constitue toute une révélation. Eu les étudiant, en apprenant à les connaître, nous soulevons un coin du voile qui nous cache les mondes supérieurs et divins auxquels ils appartiennent, mondes que les hommes soupçonnent à peine, écrasés qu'ils sont, pour la plupart, sous la lourde chrysalide matérielle.

Aux grandes dates de l'histoire, Dieu offre de telles vies en exemples et en leçons à l'humanité. C'est vers ces figures de héros et de martyrs, que doivent se tourner les regards de ceux qui doutent, de ceux qui souffrent. Parmi elles, il n'en est pas de plus suave que celle de Jeanne d'Arc. Ses actes, ses paroles, sont à la fois ingénus et sublimes. Cette existence si courte, mais si merveilleuse, est un des plus beaux dons que Dieu ait faits à la France, et ce sera une des gloires du dix-neuvième siècle, parmi tant d'erreurs et de fautes, que d'avoir remis en lumière ce noble profil de vierge. Aucune nation ne possède dans ses annales un fait comparable à cette vie. Ainsi que l'a écrit Etienne Pasquier, elle est bien « un vrai prodige de la main de Dieu ».

Son action dans le passé a été le signal d'une rénovation nationale ; dans le présent, elle est le signal d'une rénovation religieuse, différente de celles qui l'ont précédée, mais s'adaptant mieux encore aux nécessités de notre évolution. Quand nous disons religieuse, il serait plus exact de dire scientifique et philosophique. Toujours est-il que les croyances de l'humanité vont être renouvelées. Le sentiment religieux périra-t-il pour cela ? Non, sans doute ; il se transformera seulement, pour revêtir des aspects nouveaux. La foi ne peut s'éteindre au coeur de l'homme. Elle ne disparaît un instant que pour faire place à une foi plus haute. Ne faut-il pas que notre soleil passe sous l'horizon, pour que les soleils de la nuit s'allument, et que l'immensité étoilée se révèle à nos yeux ? Quand le jour s'évanouit, il semble que l'univers se voile et que la vie va prendre fin. Et cependant, sans l'extinction de la lumière diurne, pourrions-nous voir le fourmillement des astres au fond des cieux ? Il en est de même des formes actuelles de la religion et de la croyance. Elles ne meurent en apparence que pour renaître plus amples et plus belles. L'action de Jeanne et des grandes âmes de l'espace prépare cette renaissance, à laquelle, de notre côté et sur le plan terrestre, nous travaillons sans relâche, depuis longtemps, sous l'égide de la glorieuse inspirée, dont les conseils et les instructions ne nous ont pas manqué.

Aussi est-ce avec un sentiment d'ardente sympathie pour elle, de tendre vénération et de vive reconnaissance, que j'ai écrit ce livre. Il a été conçu en des heures de recueillement, loin des agitations de ce monde. A mesure que se précipite le cours de ma vie, l'aspect des choses se fait plus triste et l'ombre s'épaissit autour de moi. Mais un rayon venu d'en haut illumine tout mon être, et ce rayon émane de l'esprit de Jeanne. C'est lui qui m'a éclairé, guidé dans ma tâche.

Depuis un demi-siècle, on a beaucoup écrit, disserté, discuté au sujet de la Vierge lorraine. Des polémiques violentes, des manifestations tapageuses se sont produites en divers sens ; on a presque livré bataille en son nom. Au milieu de ces contradictions, de ces luttes, qu'elle suivait d'un regard attristé, elle a voulu faire entendre sa voix. Elle a daigné se communiquer à nous, comme à un serviteur dévoué de la cause qu'elle protège aujourd'hui. Ces pages sont l'expression fidèle de sa pensée, de ses vues. C'est à ce titre, qu'en toute humilité personnelle, je les présente à ceux qui, en ce monde, honorent Jeanne et aiment la France.

 

Fin