LE CAODAÏSME

* par Gustave MEILLON

 

A - ANNONCE ET NAISSANCE DU CAODAÏSME

 

 

Au cours des derniers mois de 1984, plusieurs agences de presse ont fait état de nouvelles mesures jugées antireligieuses, prises par les autorités de la République Socialiste du Viêt-nam. Plus récemment, à l'occasion d'un retentissant procès dit d'espionnage et à l'issue duquel cinq peines capitales, entre autres, ont été prononcées le 18 décembre, d'aucuns n'ont pas manqué de souligner que les milieux caodaïstes se voyaient durement touchés.

 

En effet, trois des cinq condamnés à mort viennent d'être exécutés. Deux d'entre eux étaient caodaïstes : Lê Quôc Quân, petit-fils de l'ancienne archevêque et ministre Trân Quang Vinh, lui-même mis à mort en 1975, et Hô Thai Bach, fils du cardinal Hô Tân Khoa, assigné à résidence au Saint-Siège de Tây-ninh dès 1975 et dont personne n'a plus aucune nouvelle depuis bien longtemps.

 

L'accent mis ainsi par l'actualité sur le Caodaïsme ne peut manquer d'inciter quiconque s'intéressant aux affaires viêtnamiennes et, plus généralement, à l'Asie du Sud-Est, à vouloir mieux connaître ce mouvement religieux qui, depuis plus d'un demi-siècle, joue un rôl de premier plan dans la vie sociale sud-viêtnamienne.

 

 

I - L'ANNONCE DU CAODAÏSME

 

1. LE MILIEU

 

 

            Long chapelet de plaines littorales enserrées de montagnes et que terminent, à chacune de ses extrémités, deux immenses deltas, celui du Fleuve Rouge au nord, celui du Mékong au sud, le Viêt-nam se situe au lieu de rencontre de deux grands courants de la pensée humaine. Là, au cours des siècles, se sont fait face la civilisation du monde chinois, venue du nord, et celle du monde indien, venue du sud. Plus près de nous, à la suite de ce que l'on a coutume d'appeler " les grandes découvertes ", puis à la faveur du fait colonial, là également ont abouti le christianisme et les divers autres apports du monde occidental. Ainsi doué d'un fond d'animisme et de naturisme qui lui était propre, le peuple viêtnamien s'est vu offrir une foule de croyances où son sens aigu de l'observation n'alla pas sans discerner des éléments concordants.

 

            Sans rien repousser de ce qui pouvait concourir à son enrichissement intellectuel, chacun a admis généreusement, soit pour lui-même, soit chez son voisin, toutes les idées, même les plus contradictoires en apparence, l'ensemble concourant à donner à la pensée religieuse viêtnamienne cette impression de confusion, d'obscurité, d'indécision et de manque de profondeur si déroutante pour les esprits cartésiens. Mais par là se fait jour l'un des traits les plus caractéristiques et les plus attachants du caractère viêtnamien : la tolérance.

 

            Un examen, même sommaire, des diverses croyances composant le monde religieux viêtnamien(1) dépasserait largement le cadre de la présence étude. Il ne présenterait, d'ailleurs, rien de bien original. Ce qui importe, par contre, au premier chef, c'est de savoir que le Caodaïsme a tendu à faire de ces croyances un syncrétisme, assorti de spiritisme occidental, et que ce mouvement, en l'espace de quelques années seulement, au début du XXe siècle, a entraîné l'adhésion de masses populaires considérables en Cochinchine et au Cambodge.

 

            Pourquoi cette création ? Comment expliquer cet enthousiame des foules ?

 

            En puissance, certes, le Caodaïsme existe déjà. Mais, contrairement à ce qui pourrait vernir à l'esprit, ses promoteurs, loin de se recruter parmi l'élite traditionnelle et conservatrice du pays, appartiennent tous à la nouvelle génération, celle que les cirscontances ont nourrie de culture française.

 

            Aux premières années de notre siècle, la Cochinchine tourne déjà le dos au vieil Annam. Colonie française, elle ressent intensément les effets d'une politique qui se veut assimilatrice. Une profonde transformation s'opère dans tous les domaines, et plus particulièrement dans celui de la pensée. Les jeunes se pressent dans les écoles qui s'ouvrent ; ils se nourrissent de cet enseignement nouveau qui, partout, se développe. Les vieux lettrés, bien sûr, se montrent réticents, mais leur attachement aux tradictions ne les rend pas aveugles pour autant. Devant eux, le monde change rapidement et toute tentative de barrer la route à ce mouvement serait voué à l'échec. L'individu prend une nouvelle conscience de lui-même, ici comme dans les autres régions de l'Asie, qui donne l'impression de sortir d'un long sommeil.

 

            Les événements du dehors : guerre russo-japonaise, révolution chinoise, expansion du Japon sont autant de faits qui, à l'intérieur, ne laissent personne indifférent. Dans le pays grandit une nouvelle élite accueillant avec enthousiame les idées de progrès venues surtout de France. Avec le développement des moyens de communication et d'information, les campagnes, elles aussi, favorisées par une situation économique relativement prospère, cessent de vivre repliées sur elles-mêmes, et s'ouvrent à la révolution qui s'opère.

 

            Cette révolution, nous la voyons transformer le visage de la Cochinchine, avant de déferler bientôt sur les autres pays de l'Union indochinoise. L'écriture traditionnelle - caractères chinois et caractères viêtnamiens inspirés du chinois - cède en quelques années la place au Quôc-ngu, écriture romanisée datant du XVIIe siècle, mais restée jusqu'alors un instrument à l'usage exclusif des missionnaires catholiques(2). Tous les genres littéraires, de même que les beaux-arts, se tournent vers des conceptions nouvelles, inspirées plus ou moins largement de l'Occident. Dans le domaine social, avec l'abandon du Code Gia-Long(3), nous assistons à l'éclatement des cadres étroits qui constituaient la famille et le village, à l'épanouissement progressif de l'individu pris comme tel. Au point de vue économique triomphe le régime capitaliste ; coopératives et syndicats font leur apparition ; de grosses fortunes se constituent et une classe de riches propriétaires apparaît.

 

            Tout ceci ne va pas sans provoquer un profond déséquilibre, que reflètent d'ailleurs de nombreux discours officiels et articles de presse, durant la période 1925-1930 notamment. L'activité des sociétés secrètes, les agissements du parti " Jeune Annam ", autant de symptômes d'une poussée nationaliste que le régime colonial ne permet pas de satisfaire. Jehan Centrieux, dans la Dépêche Coloniale du 15 mai 1928, parle de

" l'évolution trop rapide de l'âme annamite " ; il condamne l'organisation de l'enseignement nouveau en Indochine qui " ne s'est pas inspirée de l'esprit des foules auxquelles cet enseignement est appliqué... L'Annam

se meurt de ne pouvoir plus regarder en arrière sans honte ; et de ne se sentir plus attaché au passé que par les prémices de quelque vague remords... Les besoins que la France a suscités en Indochine, comment les

satisfaire ? ". Cette race... s'est trouvée ainsi contrainte de se chercher des compensations : elle les a rencontrées dans le domaine le plus accessible à sa forme spirituelle, c'est-à-dire dans le fantastique.

 

" De là vient que le Caodaïsme a bénéficié, dès son apparition, des larges facultés d'enthousiame du peuple viêtnamien, et qu'il a joui d'une vogue immense, en Annam d'abord, ensuite au Cambodge. "

 

            Une partie de l'élite intellectuelle formée dans les écoles française n'a pas manqué de s'intéresser aux théories philosophiques venues de l'Occident, et tout particulièrement au positivisme d'Auguste Comte. La floraison d'ouvrages spirites qui, dès le début du siècle, ont garni les rayons des librairies cochinchinoises, a par ailleurs apporté à cette élite la révélation du spiritisme occidental, particulièrement celui de l'école d'Allan Kardec, d'autant plus acceptable qu'il admet la théorie de la métempsycose.

 

            Le spiritisme d'origine chinoise(4) n'est certes pas inconnu au Viêt-nam : dans les temples taoïstes ont toujours lieu, depuis des siècles, des séances d'évocation des " Immortels ", les communications étant réalisées ou bien par écriture automatique, après hypnose de l'officiant, ou bien par le truchement du Co', instrument composé d'une corbeille cylindrique en osier, munie d'un manche en bois précieux terminé par une tête de phénix.

 

            Eux aussi, ceux que l'on appelle les vieux lettrés, beaucoup plus par dilettantisme que dans un but religieux, invoquent encore les génies, les grands philosophes, les héros et les littérateurs : l'un des assistants recueille leurs messages fréquemment sous la forme de poèmes, qui prennent la valeur d'oracles précieux. Mais avec l'abandon d'une étude systématique des caractères chinois, la coutume tend à disparaître, et ne se rencontre plus guère, en Cochinchine, qu'à Cân-Tho' et Hà-Tiên. Il s'agit donc là de pratiques à l'état décadent, comme l'était le culte des " Tam-Phu ", c'est-à-dire des " Trois-Mondes "(5).

 

            La rencontre des deux courants spirites - chinois et occidental - provoque, par contre, un véritable engouement pour de telles pratiques. L'essor indochinois de Cao Van Chanh devient, un moment, une revue spirite. Nguyen Phan Long, adepte fervent de la première heure, consacre au spiritisme de longs articles dans L'écho Annamite où l'on trouve, à partir de 1922, de fréquentes citations et de substanciels extraits de revues spirites françaises. Ces citations, très lues, font l'objet d'abondants commentaires. Ainsi, jusqu'en 1927, le journal ouvrira largement ses colonnes à ce que dit la presse métropolitaine sur l'au-delà et les activités médiumniques.

 

            A Sai-gon, puis aux alentours, des cercles spirites se fondent, où paraissent des Français : Dejean de la Batie, Latapie, Monet, Vidal(6) entre autres. En 1924 et 1925, une vague de spiritisme déferle sur tout le territoire de la Cochinchine. Des relations se nouent avec divers groupements du même genre à l'étranger, Europe et Etats-Unis d'Amérique notamment.

 

            C'est à ce moment-là précisément qu'apparaît au grand jour le Caodaïsme, dont le spiritisme n'est qu'un des moyens d'action. Son supérieur l'expliquera lui-même en 1938, dans une lettre au directeur du journal La Vérité publié à Phnom-Penh :

 

" ... Un groupe d'intellectuels se formait pour rechercher la possibilité de mettre en accord les deux civilisations, l'orientale et l'occidentale. "

 

" Ils ont essayé en ce cas de rapprocher les deux philosophies : la chrétienne et la confucéenne. La tentative est tellement encourageante du fait de la haute moralité des grands penseurs qu'elle converge toujours vers le Bien et vers le Beau. Il existe donc un endroit où les idées peuvent se rencontrer, donc les pensées peuvent s'unifier. Sachant cela, ce groupe d'intellectuels annamites se mettait en devoir de préparer un terrain d'entente. Ils commençaient très modestement d'abord à faire une comparaison des deux philosophies tout en cherchant un intermédiaire. Ils ont eu la satisfaction de voir les grandes idées ne pas s'éloigner des penseurs de la race humaine. La morale est unique, ce n'est que la pratique qui diffère. C'est ici pour eux un obstacle ou un accroc. La force d'action n'est pas à la portée des vulgaires humains comme eux : il est au-dessus de leur entendement. Un tout petit mouvement d'arrêt se faisant dans le mouvement caodaïste. Ces intellectuels cherchent une voie : l'unité de foi et de pratique de toutes les religions. "

 

" Un de leurs amis est venu de France en la personne du capitaine Monet. Il est spirite. Il s'intéressait aux recherches de ces intellectuels, mais l'entente dans la pratique de toutes les fois religieuses lui échappe aussi. Il conseille à ses derniers de consulter les Esprits. C'est pour vous dire qu'ils ont eu recours à l'aide de l'Au-Delà pour conjurer les difficultés. La première consultation spirite donnée par les Esprits, sous forme de conseil, leur donne la clé de l'énigme... "

 

            Et tandis que les cercles spirites de Sai-gon et des environs, sans aucun lien entre eux, recueillent divers messages, Ngô Van Chiêu, délégué administratif de Phu-Quôc, isolé sur son île dans le Golfe du Siam, entre en communication avec un Esprit Supérieur déclarant se nommer " Cao-Dài ".

 

            Cette expression n'est pas nouvelle. On la rencontre dans divers ouvrages bouddhiques, taoïstes et même littéraires(7). Elle a le sens de " Temple élevé " ou " Haute Tour ", allégorie symbolisant le " Palais Suprême ", le " Nirvana ", le " Séjour des Immortels ", le " Paradis ". Cao-Dài est, par extension, " Celui qui demeure dans le Temple élevé ", le " Très-Haut ", et le caodaïsme n'est autre que la sainte doctrine prêchée depuis le Temple élevé. Phan Truong Manh, directeur de la Revue Caodaïque ( Cao-Dài Giao-Ly ), membre du cénacle Chiêu-Minh, dira :

 

" Cao-Dài désigne le Palais Suprême situé au zénith de l'Empyrée ; c'est là que trône Dieu, entouré de sa cour comprenant les hautes entités de la dynastie spirituelle ; c'est de là aussi que Dieu envoie vers l'Humanité ses fluides bénéfiques, source d'inspirations... "    

 

 

2. LES PROPHETIES

 

 

            Avant 1926, ainsi que nous l'apprennent les textes caodaïstes, les Esprits supérieurs ont " préparé le terrain ", et plusieurs citations sont reprises comme ayant annoncé l'avèvement de la religion nouvelle.

 

            Les premières de celles-ci se trouvent dans les enseignements de Mao-Tseu, l'un des disciples de Lao-Tseu. Aux moines qui l'écoutaient, cinq siècles avant notre ère, Mao-Tseu aurait dit, si l'on en croit la " Bible taoïque de la Pureté et de la Quiétude ".

 

" leur vie religieuse accomplie, leur karma expiré, les Elus participeront sous l'égide du Maître Suprême à une troisième évangélisation mondiale. "

 

            Cette idée d'une troisième évangélisation du monde, nous la retrouvons bientôt dans la dénomination du Caodaïsme, laquelle se retrouve aussi bien sur les frontispices des oratoires qu'en tête de la plupart des documents officiels de la secte : " Dai-Dao Tam-Ky Phô-Dô " ou, en français " Grande Religion du Troisième Salut Officiel ", communément appelée par ses adeptes " Troisième amnestie de Dieu ".

 

            Les explications données de cette expression ne concordent pas toujours exactement. La brochure Le Caodaïsme éditée par le Saint-Siège de Tây-ninh nous apprend que les deux premières amnisties, ou révélations de Dieu, ont eu lieu, l'une en Occident avec Moïse et Jésus-Christ(8), l'autre en Orient avec Lao-Tseu et Cakya-Mouni. Mais le Bao-Dao ( " Conservateur de la Foi " ayant rang de cardinal ) Ho Tân Khoa, membre du Corps législatif, donc spécialement compétent en la matière, donne de ces deux révélations un commentaire sensiblement différent. Pour lui, au cours de la première amnistie, Dieu lui-même s'est révélé aux hommes de manières directes, mais " sous diverses formes impersonnelles ", s'adressant ainsi à Abraham, à Moïse, dictant ou inspirant les Védas et divers autres livres sacrés en Chine, en Inde, en Egypte et en Perse. Puis, durant la seconde, Dieu a eu recours à des prophètes et à des hommes inspirés dont les plus notoires sont Bouddha, Confucius, Lao-Tseu, Jésus-Christ et Mahomet.

 

            Quant à la troisième révélation, " au lieu de venir, comme pour les deux premières..., sous une forme humaine, Dieu, adoptant son enseignement au progrès de l'esprit humain, plus affiné qu'autrefois, s'est aujourd'hui manifesté par voie de médiumnité, ne voulant accorder à aucun mortel, fût-il sage ou un initié, le privilège de se poser en fondateur du caodaïsme. C'est ce qui constitue le caractère d'universalité de ce dernier. En effet, toute religion soumise à l'autorité d'un fondateur divin a été reconnue impropre à devenir universelle, car ses adeptes, attachés à la personnalité de ce fondateur, se refusaient à accepter les vérités proclamées par d'autres fois religieuses à l'égard desquelles ils témoignaient une intolérance parfois regrettable "(9). Ainsi donc Dieu s'est révélé aux hommes par la voie du spiritisme(10). Mais on ne peut s'empêcher de penser à ce qu'écrivait Allan Kardec :

 

" Moïse a révélé aux hommes la connaissance d'un Dieu unique, souverain maître et créateur, il a promulgué la loi du Sinaï. Prenant de l'ancienne loi ce qui était éternel et divin. Le Christ y a ajouté la révélation de la vie future dont Moïse n'avait pas parlé, et après celle de Dieu qui veut être craint, celle de Dieu qui veut être aimé. Le spiritisme enfin, prenant son point de départ dans les paraboles du Christ comme le Christ le sien dans Moïse, éclaire l'idée vague de la vie future, par la description du monde invisible qui nous entoure. "(11)

 

            Ceci nous rapproche étrangement de ce que dit en juillet 1960 la leçon n° 1 consacrée à l'enseignement des trois amnisties au Lê-Sanh, dignitaire mineur recruté parmi les adeptes vertueux. Il y est précisé que la première de celle-ci a eu lieu en Chine dès la plus haute antiquité ; que la seconde découle des enseignements de Laotius et de Confucius en Chine, de Cakya-Mouni en Inde et de Jésus-Christ en Palestine ; que pour la troisième enfin, Dieu a eu recours à la corbeille à bec pour promouvoir le Caodaïsme, religion destinée à assurer le salut de l'humanité. Ce salut interviendra par la fusion des préceptes du Bouddhisme, Confucianisme et du Taoïsme, les trois doctrines choisies par le Très-Haut comme les plus représentatives de la pensée des humains en Extrême-Orient, mais auquels viendront s'ajouter ceux, d'ailleurs concordants en beaucoup de points, des autres religions du monde.

 

            Sans plus de précision, quelques écrits du Saint-Siège rapportent qu'un ouvrage dit bouddhique, le Van Phap Qui Tong ( Les dix mille lois de l'Univers convergent à la Source Unique ) renferme la phrase annonciatrice suivante :

 

Cao Dài Tiên But Tho Van Tu

( Dieu, de son Palais Suprême, communiquera avec les hommes en leur dictant des messages )

 

            Les autres sources bouddhiques ne sont pas davantage explicites. Certes, un message divin recueilli en 1926 recommande la consultation du livre intitulé Phât-Tông Nguyên-Ly ( Principes fondamentaux du bouddhisme ) où il était précisé que Cakya-Mouni a annoncé l'avènement du Bouddha Suprême ayant pour mission de consoler, régénérer et sauver l'humanité. Des Caodaïstes ont cru voir ce sauveur en la personne de Maïtreya, en viêtnamien Di-Lac. Mais, jusqu'ici, cet ouvrage n'a pu être retrouvé nulle part.

 

            Les Evangiles et les actes des Apôtres fournissent à la Troisième Révélation une ample moisson de prophéties.

 

            Ainsi ( Saint Jean chap. XIV, versets 15 et 25 ) :

 

" Si vous m'aimez, vous observerez mes commandements. Et moi je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur(12) pour qu'il demeure éternellement avec vous. C'est l'Esprit de Vérité, que le monde ne peut recevoir parce qu'il ne le voit et ne le connaît pas. Mais vous, sachez qu'il demeure avec vous et sera en vous . Mais le Consolateur, l'Esprit-Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous remettra en mémoire tout ce que je vous ai dit. "(13)   

 

            Les Actes des Apôtres ( chap. II, verset 17 ) font dire au Seigneur :

 

" Dans les jours ultimes, je répandrai de Mon Esprit sur tout être vivant : vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards auront des songes. Oui, en ces jours-là, je répandrai de mon Esprit sur mes serviteurs et mes servantes, et ils prophétiseront. "(14)

 

            Ainsi, le caodaïsme sera la doctrine universelle enseignée par l'Esprit de Vérité qui se trouve à la fois en nous et autour de nous. Les caodaïstes seront les moutons qui écouteront la voix du Seigneur(15) :

 

" J'ai d'autres moutons encore qui ne sont pas de cette bergerie, il faut que je les amène ; ils entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger ". ( Evangile selon Saint Jean, X, 16 ).

 

            Aussi le consolateur annoncé fera régner en ce monde la fraternité universelle entre tous les hommes, enfants du même Père, le Dieu unique.

 

            Certes, il se peut que nous éprouvions quelques doutes, que nous ne saisissions pas exactement la portée de toutes ces paroles. Les fondateurs de la religion nouvelle se rapportent alors encore aux paroles du Christ(16) :

 

" Le Consolateur, l'Esprit-Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous remettra en mémoire tout ce que je vous ai dit. " ( Saint Jean, XIV, 26 ).

 

" J'ai encore bien des choses à vous dire ; mais elles ne sont pas à votre portée maintenant. Quand le Consolateur, l'Esprit de Vérité, sera venu, il vous mènera vers la vérité tout entière. " ( Saint Jean, XVI, 12 et 13 ).

 

            De Chine, à une époque plus récente, des messages de l'Au-Delà sont censés annoncer la naissance d'une nouvelle religion. Ainsi, en 1644, les Ts'ing ( Mandchous ) ont renversé les Ming. Par fidélité envers la dynastie chassée du pouvoir, et pour éviter de servir les nouveaux maîtres, les mandarins se sont retirés sur la montagne qui donnera le nom à leur secte : Buu-Son Ky-Huong ( le remarquable parfum de la précieuse montagne ). Là, des lettrés évoquent les immortels et reçoivent de l'un d'eux, sous la forme d'un poème, l'annonce d'une croyance devant apparaître dans un pays du Sud. Nous retiendrons de ce poème les deux derniers vers :

 

" Cao nhu bac khuyet nhon chiêm nguong,

Dài tai nam phuong dao thông truyên. "

( Haut comme l'étoile polaire vers laquelle s'élèvent les regards humains,

Un Temple au Sud fera rayonner une foi nouvelle ).

 

            Notons, au passage, l'expression Cao-Dài formée par les mots situés au début de chacun des deux vers, expression que l'on retrouve dans un recueil d'oracles attribués à Quan-Thanh Dê-Quân(17) et intitulé Minh-Thanh-Kinh Linh Sâm ( Livre Saint et Brillant d'oracles merveilleux ).

 

Mang Huu Cao-Dài Minh Nguyêt Chiêu

( Du Palais suprême, une nouvelle foi resplendira, telle la pleine lune. )

 

            Les promoteurs du caodaïsme citent également diverses autres prophéties du même genre, mais plus proches de nous dans le temps. C'est ainsi qu'ils font appel aux conseils adressés par les Esprits à un groupe d'étudiants de la province chinoise de Fou-Kiên, et groupés dans l'ouvrage intitulé : Au Hoc Tam Nguyên

( Guide de la jeunesse dans la recherche de la vérité ). Ils ont trouvé dans le Giac Mê Ca(18) ( recueil de chants destinés à réveiller, sortir de l'aveuglement la conscience ) plusieurs vers où il fait allusion à la corbeille à bec des Caodaïstes, - " flûte sans trous ", " guitare sans cordes " -, et à une nouvelle révélation du Tout-Puissant :

 

 

" Dich không lô, co duyên moi gap

Don không dây vô phuoc kho nghe. "

( La flûte sans trous n'est connue que par les élus,

La guitare sans cordes n'est pas audible par les impies )

 

" Huu duyên moi gap Tam-Ky phô dô,

Muôn doi con tu phu nên danh. "

( Les élus seuls connaîtrons la Troisième Révélation,

A jamais, leurs noms figureront dans les écrits célestes. )(19)

 

            Ils rapportent enfin nombre de messages spirites recueillis durant les années 1923 et 1924 tant en Chine qu'au Sud-Viêt-nam(20). Les recommandations reçues le 30 juillet 1923 sont particulièrement suggestives :

 

" Tâchez de vous initier au Dao ( Tao ) pour n'avoir pas à le regretter. Il est donné rarement aux humains d'en trouver l'occasion, car le Dao est une chose très précieuse, et rien au monde ne peut lui être comparé. Vous avez le bonheur et la bonne fortune de voir le Dao apparaître pour la troisième fois. Si vous en jouissez avec les autres, c'est que vous y êtes prédestinés. C'est par une grâce du Destin que le don de la Troisième Amnistie de Dieu... vous échoit en partage. Des esprits supérieurs sont venus en mission ici-bas pour le sauvetage des âmes prédestinées. Vous êtes de celles-là. Il dépend donc de votre foi agissante d'obtenir le succès. "

 

            Le " Pinceau des Fées " ne va plus guère tarder à provoquer la réalisation de toutes ces prophéties. En recommandant aux groupes spirites d'entrer en contact les uns avec les autres, en guidant surtout les néophytes auprès de Ngô Van Chiêu, il va faire jaillir l'étincelle d'où naîtra le Caodaïsme, cette " Troisième Amnistie de Dieu ".

 

 

II - NAISSANCE DU CAODAÏSME

 

 

1. LE " FONDATEUR " NGÔ VAN CHIÊU

 

 

            Dans le quartier populeux de Binh-tây, à l'ouest de la vaste agglomération de Sai-gon - Cho-lon, se dresse un temple construit en 1873, dédié au culte de Quan-Dê, le Mars chinois, divinité du pathéon taoïste(21). Aux environs de 1880, derrière cet édifice, une très modeste demeure abrite une famille Ngô, dont l'existence se déroule dans l'humilité et le dénouement. C'est là que le 7ème jour du premier mois de l'année du Tigre, Mâu-Dân, ( 28 février 1878 ), vient au monde un enfant de sexe masculin, qui reçoit le nom personnel de Chiêu. Ainsi naît Ngô Van Chiêu.

 

            Bien des détails de l'existence de cet homme auraient rapidement sombré dans l'oubli s'ils n'avaient, par la suite, été recueillis pour illustrer le rôle extraordinaire joué par lui dans l'histoire de la pensée viêtnamienne durant le deuxième quart du XXème siècle. Cependant, malgré la proximité des faits, malgré les témoignages que l'on peut encore solliciter de nos jours, la légende s'est déjà emparée du personnage, au point que l'on n'arrive pas tourjours à cerner exactement la vérité. C'est là, en Extrême-Orient sans doute phus qu'ailleurs, pratique courante : ceux que la destinée a voulu élever au-dessus du commun manifestent toujours, dès leur plus tendre enfance, certains traits hors-série.

 

            Du côté paternel, Ngô Van Chiêu descend d'un mandarin de la cour de Huê ayant le grade de Thi-Lang, conseiller ou second assesseur dans un ministère. Les troubles qui agitent le pays entre 1851et 1866 amènent la famille à s'établir provisoirement au Sud, à Hoa-Hung, dans la banlieue de Sai-gon. Ngô Van Huân, son père, épouse Lâm Thi Qui, originaire de Binh-tây, où naît précisément leur unique enfant.

 

            Cet enfant ne supporte pas le lait maternel. On doit le nourrir avec de l'eau de riz sucrée, puis avec de la bouillie de riz. Si l'on en croit certains écrits, il a trois ans lorsque meurt son père, et sa mère, matériellement incapable de l'élever, le confie à sa propre belle-soeur, Ngô Thi Dây, mariée à un médicastre chinois installé à My-tho, chef-lieu de province situé à soixante kilomètres environ à l'Ouest de Sai-gon. Pour d'autres, les parents ayant trouvé une situation, se rendent à Hà-nôi, et confient l'enfant, alors âgé de six ans, à leur famille de My-tho, qui se trouve dans une situation aisée et qui accepte de l'élever(22).

 

            Séparé des siens, Chiêu mène une existence difficile, exempte de beaucoup d'affection. Comme la plupart des petits viêtnamiens, il témoigne d'un grand désir de s'instruire et manifeste une vive intelligence. Sa seule fugue - il fait, pendant deux jours, l'école buissonnière - se solde par une correction exemplaire, à la suite de laquelle il ne commettra plus aucune autre incartade.

 

            Une connaissance de son père, le préfet Sung, est en service aux bureaux administratifs de la province. A douze ans, le jeune garçon s'enhardit jusqu'à la demeure de ce haut fonctionnaire qui, intéressé, lui fait rédiger une demande d'admission comme élève interne boursier au collège de My-tho(23) et le présente à cet effet au chef de province. La démarche est couronnée de succès. Chiêu va désormais y poursuivre ses études, d'abord dans le cycle primaire, ensuite dans le cycle complémentaire. Il les terminera au lycée Chasseloup-Laubat, à Sai-gon(24), et obtiendra à 21 ans le diplôme d'études complémentaires franco-indigène, titre fort apprécié et très honorable pour l'époque, sensiblement comparable au baccalauréat.

 

            Un tel succès ouvre toutes grandes les portes de l'administration. Ngô Van Chiêu est recruté en qualité de secrétaire du gouvernement et affecté, le 23 mars 1899, au service de l'Immigration de Cochinchine(25), où il sert jusqu'au 31 décembre 1902. Ainsi commence une carrière dont on a écrit qu'elle fut " sans éclat ", et que la " bonne volonté " en " faisait tout le mérite " : jugement sévère, voire quelque peu injuste,car le nouveau fonctionnaire parviendra jusqu'au grade de Phu, - préfet -, et assurera les fonctions de délégué administratif, fort recherchées naguère encore par bon nombre de jeunes administrateurs français.

 

            A vrai dire, il s'agit d'un homme qui, toute sa vie durant, se conduira en sage, compatissant envers quiconque, ne manifestant jamais la moindre ambition. Ceux qui l'ont bien connu ont longuement dit de lui qu'il était doux de caractère et humble de coeur. Du cadre de sa naissance et du milieu de son enfant, il a hérité une vénération particulière pour Quan-Dê auquel, dans sa propre demeure, il dresse un autel et rend un culte. A My-tho, sa tante lui avait raconté les légendes merveilleuses de la Chine antique, les existences étonnantes de génies puissants, les aventures extraordinaires d'immortels bienfaisants. Il a meublé son esprit de tout ce monde surnaturel, avec lequel il ne cessera de vivre, et on le surprendra maintes fois fascinant de jeunes auditoires par ses récits de l'au-delà, envers lesquels il témoignera toujours d'un profond respect, et qui ne pouvaient que le porter à la rêverie.

 

            Ngô Van Chiêu nous donne l'impression de n'avoir jamais voulu forcer le destin. Des études honorables lui ont permis de figurer parmi l'élite intellectuelle de son pays et d'accéder à des fonctions d'autorité dont il usera pour faire le bien. Car il sera toute sa vie un homme de bien. En faveur de sa famille, d'abord. Il fait revenir ses parents de Hà-nôi. Son père, en compagnie d'une concubine, s'installe ruelle Chaigneau ( plus tard, Tôn Thât Dàm ), derrière le siège de la congrégation chinoise de Triêu-Châu. Il se montre toujours très attentionné envers sa mère, qu'il soignera avec le plus grand dévouement quand elle sera malade. Pour les aider, ses ressources demeurant insuffisantes, il donne, après ses heures de travail, des leçons de français à quelques Chinois.

 

            Le bienfaiteur de ses jeunes années, le préfet Sung, se propose de lui donner une de ses filles en mariage. Certes, accepter serait manifester sa reconnaissance. Mais Chiêu hésite, d'autant plus que sa tante, par des conseils pratiques, le confirme dans son attitude de discrétion : mieux vaut pour lui épouser une jeune fille de condition modeste, habituée à la pauvreté, capable de supporter sans trop se plaindre des conditions de vie difficiles et, au besoin, de travailler pour faire vivre sa famille. C'est ainsi qu'il cherchera d'autres moyens de payer sa dette de reconnaissance envers le préfet Sung, et qu'il épouse une humble commerçante installée au marché de My-tho, Bùi Thi Thân, originaire du village de Thanh-tri(26).

 

            Un événement d'importance survient en l'année 1902. Répondant à l'invitation d'amis, le jeune fonctionnaire se rend à Thu-dâu-môt : là, soucieux de la longévité de sa mère, il se propose de participer à un culte taoïste et d'interroger les esprits quant à l'avenir. Il assiste donc - sans doute pour la première fois de son existence - à une séance de spiritisme, dont il reçoit en quelque sorte la révélation. Un de ses collègues de l'administration, exerçant les fonctions de facteur de postes, préside la cérémonie. Stupéfait, Chiêu se voit interpellé par un " Esprit Supérieur " qui, s'étant manifesté, lui demande de progresser dans la voie de la vertu et d'approfondir sa connaissance de Dieu. Des caodaïstes découvriront plus tard dans cette invitation l'annonce de la mission qui lui sera plus tard confiée. Une telle annonce fut-elle faite en des termes moins voilés ? D'aucuns le prétendent, mais rien ne permet de l'affirmer.

 

            L'étincelle, en tout cas, a jailli. Le néophyte, plus encore qu'auparavant, prend une part active à divers cultes rattachés au taoïsme. Il se plonge dans la lecture d'ouvrages de doctrine et de recueils de prières, notamment le Dao-Duc-Kinh, véritable bible du taoïsme(27), le Kinh Xam, message transmis par Quan-Thanh Dê-Quân, conservé dans les temples qui lui sont dédiés, et les Thuong-Tâu Cao-Dài, ou prières au Très-Haut. Avec une foule d'autres écrits moins notables, il dévore les oeuvres consacrées au spiritisme et plus spécialement ceux d'Allan Kardec, qui croyait lui aussi à la réincarnation, idée chère à l'Extrême-Orient. Entre-temps, il prend part à de nouvelles séances d'évocation des Esprits ; il les évoque lui-même et acquiert une expérience fort notable en la matière.

 

            Depuis le 1er janvier 1903, il sert dans les bureaux du gouvernement de la Cochinchine, s'élevant peu à peu en grade, continuant à mener une existence modeste, faisant le bien autour de lui. Il y reste jusqu'au 30 avril 1909 et, le lendemain 1er mai, il prend son nouveau service au bureau financier du chef-lieu de la province de Tân-an. Là, après ses heures de travail, il continue à s'instruire et, périodiquement, consulte les Esprits, pour en recevoir conseils et encouragements, certes, mais aussi, nous dit-on, pour en obtenir des prescriptions médicales et opérer des guérisons. Parmi ses amis d'alors, qui opèrent avec lui, il convient de citer Doan Van Kim, Lê Kiên Tho, officiant en qualité de médium, Trân Phong Sac, et Nguyen Van Van, que l'on retrouvera en 1962, au Saint-Siège de My-tho, avec la dignité de Dâu-Su, équivalant à celle de cardinal.

 

            Parfois, les séances ont lieu à son propre domicile, le 15ème jour du mois lunaire. Il aime déjà s'y entourer de jeunes garçons, " car leur âme est encore pure " ; ceux-ci, après une toilette de purification, correctement vêtus, récitent des prières pour créer un climat favorable aux communications avec l'au-delà. C'est encore avec ses amis et de jeunes garçons qu'il affectionne, les nuits de pleine lune, aller se promener en barque sur le fleuve et, là, ils déclament des vers. Le dimanche, il aime se rendre à la pagode et s'entretenir avec le supérieur ; il fréquente surtout celle de Thây Tinh et parfois de Binh-lâp. Deux fois par mois, il pratique le jeûne. Comment ne pas parler d'une vie de haute sagesse ?

 

            D'autres groupes spirites fonctionnent. Au cercle Hiêp-Minh de Cai-khê, un quartier du chef-lieu de la province de Cân-tho, Chiêu va, à la fin de 1917, solliciter une ordonnance médicale pour soigner sa mère gravement malade. Il y rencontre, entre autres, le conseiller provincial Vo Van Thom et son épouse, fervents spirites. La santé de sa mère laissant à nouveau à désirer en 1919, il y reviendra une seconde fois, mais les messages reçus ne lui laisseront aucun espoir. Alors, désireux, malgré tout, d'obtenir une nouvelle médication, il se rendra au cercle Minh-Thiên de Thu-dâu-môt, où l'esprit de Quan-Thanh lui aprend que " le jardin aux médicaments se Bouddha a été anéanti ". Et sa mère mourra à la fin de 1919.

 

            Entre-temps, dans sa résidence de Tân-an, il a poursuivi son activité spirite. Mais au début de 1920, certains messages ne manquent pas d'étonner, car ils recommandent de procéder à une révision de la pratique des invocations et à la formation de nouveaux médiums. Un Esprit se révèle sous ce nom inconnu : Cao-Dài Tiên-Ông, qui, un jour, invite le médium Trân Phong Sac à corriger l'un des deux vers recueillis. Ce dernier, fin lettré, s'étonne et manifeste quelque réticence. L'esprit ordonne à Chiêu d'effectuer la correction demandée, et tout rentre dans l'ordre. Mais Sac renoncera désormais à officier comme médium. Quant au nom de l'Esprit, s'il reste incompris des membres du groupe, il ne fait pas de doute, pour Chiêu, qu'il se rapporte au Très-Haut, le seul pouvant se permettre, selon lui, d'ordonner la correction d'un message.

 

            Ngô Van Chiêu a été très affecté par le décès de sa mère, pour laquelle il nourrissait une profonde vénération. Son désir de retraite devenant plus vif, il sollicite un poste reculé. Il obtient satisfaction et part pour Hà-tiên, petite province à l'extrême-Ouest de la Cochinchine, près de la frontière du Cambodge. Du 1er mars au 25 octobre 1920, il travaille dans les bureaux du chef-lieu, pour être muté ensuite à Phu-quôc(28) en qualité de délégué administratif de l'île, fonction qu'il conservera jusqu'au 29 juillet 1924.

 

            Ce séjour à Hà-tiên, loin du monde, va se révéler d'une importance capitale. Au chef-lieu même, quelques adeptes du spiritisme existent déjà(29), mais il ne semble pas que, jusque là, leurs efforts en la matière aient été vraiment couronnés de succès. Ngô Van Chiêu se joint à eux et, son expérience aidant, les Esprits se manifestent régulièrement, alors qu'auparavant les 4/5 au moins des séances se soldaient par des échecs.

 

            Tout près de la ville se trouve Thach-dong, une petite colline calcaire qui s'élève, telle un pain de sucre, au-dessus de la plaine. Une grotte, à l'intérieur, comporte plusieurs salles affectées au culte de Bouddha et des Immortels. Chiêu s'y rend souvent pour prier, et une Immortelle, du nom de Ngô Kim Liên, se révèle à lui par deux fois, pour lui recommander, en deux quatrains, de perséverer dans la pratique ascétique.

 

            Mais c'est surtout le séjour à Phu-quôc qui va être déterminant. Isolée en pleine mer, l'île mène une existence tranquille et sans histoire. Groupés dans de petits villages côtiers, ses six mille habitants vivent, pour la plupart, des ressources de la mer. Son " administrateur " assure avec conscience les fonctions qui lui ont été confiées, fonctions relativement peu absorbantes, au demeurant, et qui lui laissent d'assez nombreuses heures de loisirs.

 

            Chiêu fait-il toujours beaucoup de lectures ? A en croire les témoignages recueillis, cela semble peu probable. Il a déjà tellement lu que de bien rares écrits lui apportent du nouveau. Dès lors, il passe de longs moments à méditer. Une colline domine le village de Duong-dông, où se trouvent ses bureaux et sa résidence. Il s'y rend fréquemment. Du sommet, tournant le dos aux forêts qui recouvrent l'île, il porte ses yeux sur l'immensité de l'océan. Il demeure silencieux ; il réfléchit, il prie, car aucune religion ne parvient à satisfaire sa soif de spiritualité. Puis, le soir venu, au moment jugé favorable, il renoue son dialogue avec l'Au-delà.

 

            Il n'a que quelques pas à faire pour entrer dans la pagode Quan-Âm-Tu. Plusieurs de ses collaborateurs l'y attendent, en compagnie de quelques femmes et de jeunes garçons de douze à quinze ans, jugés particulièrement réceptifs et formés comme médiums. Les séances de spiritisme connaissent le même succès que naguère, à Hà-tiên, et soulèvent le même étonnement admiratif parmi les adeptes. Un Esprit se manifeste volontiers, prodiguant force conseils de portée morale : ne pas se décourager dans la recherche de la vérité ; mener une existence de plus en plus détachée des réalités de ce monde ; s'élever sur le chemin de la sainteté.

 

            Cet Esprit lui recommande aussi l'abandon des prières du Kinh Minh-Thanh(30) et une pratique progressive du jeûne devant atteindre dix jours par mois. Tout en conservant son anonymat, il lui apprend qu'il entend en faire son disciple, et qu'il lui enseignera la religion à suivre. Chiêu, comme précédemment à Tân-an, pense que seul le Très-Haut, l'empereur de Jade, peut se révéler de la sorte.

 

            Mais comment concilier de telles pratiques avec ses fonctions ? Un jeûne prolongé ne risque-t-il pas d'ébranler sa santé ? Le délégué administratif de l'île hésite encore à s'exécuter quand, le 1er jour de l'an Tân-Dâu, c'est-à-dire le 8 février 1921, le même Esprit lui ordonne un jeûne prolongé de trois années. Faisant preuve de soumission, et toute hésitation cessante, il s'exécute. Plus tard, en souvenir de cet événement, des adeptes du caodaïme verront dans cette date le premier jour de leur religion.

 

            Les pratiques spirites se poursuivent et finissent au bout d'un peu plus de six mois par inquiéter les responsables de la pagode, qui les jugent peu compartibles avec le culte à rendre à Bouddha. Pour en finir, un de ceux-ci, Dô Van Dô, en arrive à refuser l'accès du santuaire(31). Il faut donc trouver un autre lieu de réunion. Par bonheur, au pied de la même colline, à moins de cinq cents mètres de la première, se trouve une autre petite pagode, dénommée Sung-Hung-Tu, dont le Supérieur, plus conciliant, accepte de mettre à la disposition de Ngô Van Chiêu un local attenant. C'est là que, désormais, auront lieu des séances.

 

            Il semble bien que commence ici une nouvelle période dans l'histoire du caodaïsme. L'activité spirite se fait plus intense et les messages reçus plus nombreux, enseignant peu à peu à Ngô Van Chiêu les éléments de la religion.

 

            Une question particulière se pose, qui inquiète celui-ci. Pour vénérer les Esprits, du moins l'Esprit supérieur, il convient de dresser un autel, mais que faire figurer sur cet autel ? Un message du Très-Haut recommande d'imaginer un emblème particulier, Chiêu songe à choisir la croix(32), mais il lui est conseillé, de l'Au-delà, de choisir un autre emblème que celui servant déjà à représenter la foi chrétienne.

 

            Une semaine de réflexion et de recherches ne l'ayant amené à aucune solution positive, il commence à désespérer, lorsqu'un étrange phénomène se présente à ses regards. Il confiera plus tard à son entourage qu'un matin, vers huit heures, alors qu'il était étendu, soucieux, dans son hamac à l'arrière de sa résidence, un oeil de grande taille, aussi étincelant que le soleil, lui apparut soudain, à une distance de deux mètres environ. Ebloui autant qu'effrayé, il mit aussitôt ses mains sur ses paupières fermées, sans plus oser les soulever. Trente secondes s'écoulèrent, après quoi il se hasarda à regarder, l'oeil étant toujours devant lui, sans avoir rien perdu de son éclat. Ngô Van Chiêu, alors, joignit les mains et dit : 

 

" Maître, je sais maintenant quel symbole je dois adopter pour vous représenter. Mais, de grâce, cessez d'agir de la sorte, car j'ai très peur. S'il convient vraiment que nous vénérions l'Oeil, faites le disparaître sur le champ(33). "

 

            Tel Saint Thomas, Chiêu hésite encore, incrédule, quand à quelques jours de là, il voit l'Oeil apparaître à nouveau et disparaître après qu'il ait promis de le choisir comme symbole du culte. Puis, au cours d'une séance spirite, il sollicite des instructions quant à la manière de célébrer ce culte. Maniant la corbeille dont le bec a été préalablement purifiée à l'alcool, les médiums dessinent un oeil semblable à celui des deux apparitions signalées, puis reçoivent la révélation du titre de l'Esprit supérieur : " Cao-Dài Tiên-Ông Dai Bô-Tat Ma-Ha-Tat ", lequel ordonne à Chiêu de l'appeler " Maître ". Ce message fait de Ngô Van Chiêu le premier disciple de Cao-Dài.

 

            Le titre ainsi révélé surprend les lettrés, qui ne se rappelent pas l'avoir jamais rencontré. Mais ce dernier en a eu précédemment connaissance grâce à plusieurs messages sous forme de poèmes, et il ne fait plus aucun doute pour lui que Cao-Dài soit le Très-Haut, le Maître de l'Univers, le Père de l'Humanité.

 

            Et les mois se succèdent durant lesquels se poursuivent toujours activement les pratiques spirites. Celles-ci amènent Ngô Van Chiêu à une foi plus profonde, à un maniement plus habile de la corbeille à bec(34). Des messages dressent peu à peu le plan de l'autel, dictent les premières prières, inspirent les premiers cantiques, écrivent le Kinh Cam Ung ou Livre Saint de la Loi et de l'Expiation.

 

            Plus de deux années se sont ainsi écoulées quand, au début de 1924, le premier disciple reçoit de Cao-Dài l'ordre de se préparer à propager la religion nouvelle, après qu'il aura rendu grâce aux Immortels et à Bouddha en leur présentant, sur l'autel, une offrande choisie " selon son coeur ", à savoir plusieurs coupes de champagne. Cette offrande deviendra plus tard, dans le culte caodaïque, celle de l'alcool. Soucieux d'obtenir une confirmation de la mission qui lui est confiée, Chiêu, décidément sceptique, demande que " sa bouche rende la fumée ". Il rapportera plus tard à ses intimes qu'une fumée sortit alors effectivement de sa bouche, mêlée à son haleine.

 

            Il fera part, aussi, d'autres faits qualifiés d'hallucinations par les incrédules. Cao-Dài lui ayant demandé ce qu'il désirait obtenir en récompense de sa foi, il répondit qu'il désirait voir le Paradis. La corbeille à bec frappa seulement la table d'un coup puissant, et resta muette. Pourtant, vers la fin de février, alors qu'assis sur un rocher il prenait le frais sur le bord de la mer, il vit soudain le paysage changer peu à peu pour devenir merveilleux, avec un oeil le dominant. Son extase durera quinze minutes environ, puis un message lui apprendra bientôt après qu'il a vraiment aperçu une image du Paradis.

 

            En cette même année 1924, les difficultés administratives troublent gravement la sérénité religieuse où se complait Ngô Van Chiêu. Nous ne saurons peut-être jamais ce qu'il advint réellement. Selon les uns, celui-ci se voit reprocher de négliger ses devoirs de délégué du gouvernement. Selon les autres, il tente d'amener ses administrés à faire taire les querelles qui les divisent. Pour une raison qui n'est pas éclaicie, il est poursuivi en justice. Soucieux d'apaiser les passions qui menacent de se déchaîner et de troubler la quiétude de l'île de Phu-quôc, le gouverneur de la Cochinchine décide de l'affecter à Sài-gon à compter du 30 juillet 1924. C'est alors que Cao-Dài dicte à Ngô Van Chiêu le rite de la séparation :

 

" Tu es muté à Sài-gon. Tes disciples ne peuvent te suivre. Prends un verre et remplis-le d'alcool. Bois-en la moitié, et donne l'autre moitié à boire à tes disciples. "

 

            Âgé maintenant de 46 ans, Ngô Van Chiêu va poursuivre sa carrière au Deuxième Bureau du Gouvernement de la Cochinchine. Aussi et surtout, il va entrer en contact avec d'autres spirites. Jusqu'ici son activité religieuse s'est développée à l'écart du monde, dans l'isolement et de recueillement. Désormais celle-ci ne pourra demeurer aussi discrète ; elle prendra un aspect de plus en plus spectaculaire, pour se manifester rapidement au grand jour.

 

            Contrastant avec le calme et la retraite de Phu-quôc, Sài-gon, siège du Gouvernement, capitale du Sud-Viêtnam, c'est le mouvement et la foule bruyante, autant d'éléments peu favorables aux spéculations métaphysiques. Chiêu y changera plusieurs fois de domicile : installé d'abord rue Pellerin, puis rue Paul Bert dans le quartier de Dakao, il ira ensuite habiter rue d'Espagne, et enfin au 2ème étage d'un immeuble situé au n°110, boulevard Bonnard(35).

 

            Il existe pourtant à Sài-gon, dans les faubourgs surtout, et aux environs, des zones calmes et de silence. Là, des groupes spirites se réunissent, en particulier à Câu-kho à Dakao, à Gia-dinh. Quels en sont les participants ? Pour la plupart, de jeunes collaborateurs de l'administration, frais émoulus de l'enseignement franco-indigène, comme l'on disait alors. Parmi les initiés, des noms commencent à circuler, dont certains vont acquérir une notoriété certaine : Cao Quynh Cu, secrétaire des chemins de fer, le Phu ( préfet ) Vuong Quang Ky, Cao Hoài Sang, et un médium déjà fort habile, Pham Công Tac, secrétaire des douanes.

 

            De Phu-quôc, Ngô Van Chiêu a amené avec lui quelques-uns de ses jeunes médiums. Il les place en qualité de domestiques dans des familles connues et amies, telle celle du conseiller Thông, demeurant à Gia-dinh. En leur compagnie, ses journées de bureaux terminées, il continue à entrer en communication avec les Esprits, qu'il interroge, et dont il recueille de nouveaux messages, éléments épars de la doctrine nouvelle qu'il aura mission de propager. Son activité demeure discrète, car il fait toujours preuve de beaucoup de réserve et d'une grande prudence. Menant une existence retirée, il fréquente la pagode Ngoc-Hoàng, à Dakao, et ne se livre qu'à de rares amis : Vuong Quang Ky en premier leu, son vieux camarade, avec lequel il entre en communion d'idées et qu'il incite à le suivre dans la voie religieuse qui lui est tracée. Puis se joignent à eux deux secrétaires principaux de l'administration, Nguyên Van Hoài et Vo Van Sang, ainsi qu'un directeur d'école, inspecteur de l'enseignement, Doàn Van Ban. A ces premiers disciples vont venir se grouper ceux que Vuong Quang Ky a initiés, à savoir Lê Van Bay ( dit Ty ), Nguyên Huu Dao, Nguyên Thanh Cuong, Nguyên Thanh Diêu, Nguyên Van Ty et Vo Van Man.

 

            Parmi les autres cercles de spirites - chacun agissant isolément - il en est un fort actif, animé par Cao Hoài Sang, secrétaire au service des douanes, Cao Quynh Cu et Pham Công Tac. Pour communiquer avec l'Au-delà, les médiums utilisent la " table frappante ", procédé lent et incommode, qui explique en partie certains découragements et quelques défections du début. Néanmoins, avec beaucoup de patience et une grande persévérance, nos spirites réussissent à déchiffrer et à comprendre les messages reçus. Des Esprits se manifestent plus fréquemment, tels Ly Thai Bach(36) l' " Homère chinois ", lui même taoïste fervent, et Quan-Dê(37).

 

            Fin juillet 1925 a lieu une séance mémorable chez Cao Hoài Sang. Un Esprit se révèle par le truchement de la table, mais il signe seulement des trois premières lettres de l'alphabet viêtnamien : A A A. Il invite les assistants à l'appeler Thây ( Maître ) et il les appelle eux-même Con ( mes enfants ). S'il se manifeste ensuite de plus en plus souvent, il n'en conserve pas moins cet anonymat rigoureux sous ces lettres qui

" cachent le profond secret de la génèse universelle ", et met trois conditions à ses manifestations : ne pas chercher à savoir qui il est, ne pas lui poser de questions politiques, et ne pas tenter de percer les mystères de la religion. Dans le même temps, une Immortelle du nom de Thât-Nuong prodigue au groupe force conseils, et ordonne, pour faciliter les entretiens, d'utiliser la corbeille à bec, dont précisément le disciple Ty, domicilié rue Bourdais ( plus tard rue Calmette ), possède un exemplaire.

 

            Tel est rapidement brossé le climat spirite qui règne à Sài-gon en 1925, au moment où deux événements marquants se produisent, qui vont décider du sort du caodaïsme.

 

 

2. LA CONVERSION DE LÊ VAN TRUNG

 

 

            Une conversion retentissante vient, en cette même année 1925, accroître considérablement l'intérêt porté au spiritisme : celle de Lê Van Trung.

 

            Autant Ngô Van Chiêu montra, tout au long de son existence, de réserve et de modestie, autant Lê Van Trung manifesta d'audace et d'ambition, et il fut d'autant plus attaqué qu'il réussit à asseoir solidement sa fortune spirituelle, à défaut de ses entreprises matérielles.

 

            Lê Van Trung naît le 10 octobre 1875 dans la province de Cho-lon, au village de Phuoc-lâm, dépendant du canton de Phuoc-Diên-Trung. Ses parents, modestes cultivateurs, disposent toutefois de suffisamment d'aisance pour - leurs sacrifices aidant - permettre à leur fils de faire des études au collège Chasseloup-Laubat, transformé plus tard en lycée(38). Il y obtient des résultats fort honnêtes et, lorsqu'il quitte l'Etablissement en 1893, ses connaissances lui ouvrent les portes de l'administration. Nommé élève-stagiaire du gouvernement de la Cochinchine, il débute dans la carrière le 14 juillet, au Deuxième Bureau.

 

            Cette carrière ne se prolonge guère. Certes, les notes qui lui sont attribuées sont excellentes ; elles mettent en relief la vivacité et la souplesse de son esprit, ainsi que d'étonnantes facultés d'assimilation. Mais Trung ne saurait se satisfaire d'une situation, même fort honnête, d'agent de l'administration. Secrétaire de 3ème classe, il sollicite et obtient un congé en mai 1905, dans le but de se lancer dans les affaires. Associé à son frère Lê Van Diêu, entrepreneur de travaux publics et fournisseur de riz aux services tant de la ville de Sài-gon que des Chemins de fer du Sud, il réussit à asseoir une fortune confortable. Ses qualités, jointes à l'expérience et aux relations acquises durant ses années de fonctions dans les bureaux du gouvernement, lui assurent le succès. Ceci l'amène à quitter définitivement l'administration le 16 mars 1906, sa démission ayant été acceptée.

 

            Trung s'installe aussitôt à son propre compte, et il va pouvoir donner libre cours à son esprit d'initiative et à toute son ambition. Ses affaires se développent rapidement et prospèrent largement. Pendant une quinzaine d'années, l'on assiste à son ascension dans les milieux d'affaires locaux, où il parvient à jouir très vite d'un réel prestige. Ses compatriotes l'élisent au Conseil Colonial, la plus haute assemblée élue de la Colonie(39). En janvier 1912, il reçoit la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur. Puis il devient membre du Conseil du Gouvernement de l'Indochine(40).

 

            Les revers apparaissent dès 1920. Le train de vie ostentatoire qu'il a mené, les larges dépenses auxquelles il s'est livré, et peut-être aussi les imprudences commises ont conduit Lê Van Trung à une situation difficile. Certaines de ses opérations financières donnent prise à une critique qui se fait chaque fois plus acerbe. La confiance disparaît. Incapable de faire face aux obligations contractées, il sollicite de nouveaux prêts, sans pouvoir désormais les obtenir. Il est poursuivi en justice par ses bailleurs de fonds, notamment par un banquier indien auquel il doit 12 000 piastres. En 1924, tous ses biens sont frappés de saisie et il ne parvient à conserver de justesse que le terrain familial où sont ensevelis ses ancêtres, grâce à un rachat opéré par l'un de ses parents. Ainsi, malgré tous les efforts déployés, malgré le recours à ses liaisons féminines retentissantes avec diverses personnes fortunées et aux occupations notoirement peu orthodoxes, Trung n'a pu éviter le pire.

 

            Il semble bien, toutefois, que notre homme ne soit pas alors entièrement ruiné, car il a épousé la veuve d'un riche commerçant chinois. Mais le coup que vient de lui porter le sort est rude et va, par réaction, le conduire sur une autre voie.

 

            Précisément l'un de ses cousins, Hai Ven, l'invite, un soir de juin 1925, à assister à une séance spirite organisée à Cho-Gao, dans la banlieue de Sài-gon. Celui-ci appartient à la secte dénommée Minh-Ly ( la Raison pure ), l'une des plus connues et des plus actives parmi les sectes taoïstes pratiquant des rites médiumniques. Trung accepte l'invitation.

 

            La Revue Caodaïste relate la séance en ces termes :

 

" A cette réunion ce fut l'esprit Ly Thai Bach qui se manifesta. Prenant à part M. Trung, il lui révéla son origine spirituelle et lui annonça en même temps sa prochaine mission religieuse. Il l'exhorta alors à se soumettre aussitôt au régime imposé par la foi nouvelle. Touché par la grâce, M. Trung changea sans hésiter de vie. Soutenu par sa foi, il eut le courage de cesser aussitôt de fumer l'opium et de suivre le régime végétarien ; il abandonna également ses entreprises pour pouvoir se consacrer entièrement à la religion. "

 

            Et la même Revue Caodaïste poursuit :

 

" La conversion de cet homme, hier encore si attaché aux biens et aux jouissances de la vie, est si frappante qu'on peut se demander si les séances spirites organisées jusque-là à Cho-Gao n'avaient pas été inspirées par des esprits missionnaires dans l'unique but de ramener M. Lê Van Trung dans la voie de la Loi. En effet, lorsque celui-ci eut pris la résolution de vivre selon la foi nouvelle qu'il avait embrassée, ils ordonnèrent la dispersion du groupe spirite, au grand étonnement et à la profonde affliction de ses membres. " (41)

 

            Les adversaires du caodaïsme ne veulent voir dans cette séance mémorable que grossière supercherie, qu'habile calcul dans le comprtement du néophyte. Certes, les circonstances se révèlent troublantes, et les Esprits viennent fort à propos " renflouer " un homme sur le point de sombrer ! Rien d'étonnant cependant à ce que Ly Thai Bach, en se manifestant, s'adresse au nouveau venu. Bien des messages reçus de l'Au-delà attestent que les Esprits interpellent volontiers la personne invitée à la séance. Il suffit, pour s'en convaincre, de consulter les recueils de messages qui ont été publiés(42). Quant au changement radical et indiscutable opéré par Lê Van Trung dans son mode de vie, il dénote, quoi qu'on puisse en penser par ailleurs, un effort de volonté peu ordinaire, tant les passions demeurent tyraniques et difficiles à extirper.

 

            Ainsi ne peut-on s'empêcher raisonnablement d'imaginer que l'intéressé, toutes circonstances aidant, et en dehors des subterfuges, supposés ou réels, ait été profondément troublé par la communication ainsi recuellie. Quelles qu'aient pu être son habileté, ses mainoeuvres et, si l'on veut, son absence de scrupules, il n'en demeure pas moins que cet homme n'avait nullement, jusqu'alors, mis un frein à sa triple passion pour les femmes,

l'opium et le jeu, et cela dans le même temps où il constatait, lui si attaché aux bien de ce monde, qu'il

conduisait, ce faisant, toutes ses entreprises à la ruine. La force de caractère dont progressivement il fera preuve à la suite de la séance spirite de Cho-Gao ne trouve, par conséquent, d'explication que dans l'intervention d'un élément nouveau, étranger en quelque sorte à l'homme lui-même, choc psychologique par exemple. A défaut d'une autre explication, pourquoi lui refuserait-on le bénéfice de la sincérité ?

 

            La nouvelle de cette conversion se répand vite dans le pays, où elle a un retentissement d'autant plus considérable qu'elle intéresse l'une des personnalités viêtnamiennes les plus connues. L'activité des divers cercles spirites redouble. De nouveaux adeptes viennent grossir les groupes existants, où se mêlent quantité de curieux.

 

            Tandis que Lê Van Trung poursuit son initiation à Cho-Gao et voit grandir son intérêt envers ce nouveau mouvement d'idées, le groupe constitué par Cu, Tac et Sang continue son activité inlassable. Ceux-ci en reçoivent la récompense dans la nuit de Noël 1925, qui leur apporte une révélation de tout premier ordre.

 

            Réunis, en effet, sur l'invitation de l'Immortelle Thât-Nuong, ils ont préparé, encens, fleurs et fruits pour officier. Cu et Tac s'emparent de la corbeille à bec. Celle-ci transmet un message sous forme de poème dont voici la traduction :

 

" Réjouissez-vous de cette nuit de fête, car elle marque l'anniversaire de ma venue sur cette terre en Occident pour enseigner une doctrine. Je suis très heureux de vous voir, ô mes disciples, remplis d'amour et de respect pour moi. Cette maison aura toutes mes bénédictions. J'agirai de telle sorte que ma Toute-Puissance vous inspire encore plus de respect et d'amour. "

 

            Le voile est enfin levé. Cet Esprit qui se cachait sous les lettres AAA et sur l'identité duquel tous s'interrogeaient, vient de se révéler ouvertement comme étant " l'Empereur de Jade, le Très-Haut, ou Cao-Dài, venu sur la terre du Viêt-nam pour enseigner la vérité ". Il est le " Grand Maître ", l'Être suprême !

 

            Les messages recuellis durant les semaines qui suivent montrent plus clairement la voie à suivre. Ils conseillent l'abandon des pratiques spirites éparses, qui ne peuvent que provoquer la confusion. Ils recommandent un redoublement d'efforts afin que s'unissent et agissent les groupes isolés, qui maintenant foisonnent. Le 28 janvier 1926, Cao-Dài ordonne à Cu et à Tac de se rendre avec leur corbeille à bec chez Lê Van Trung, à Cho-lon, où il entend leur donner de nouvelles instructions. Ces derniers ont certes entendu parler de Trung, mais ils ne le connaissent pas encore, d'où leur surprise. Mais ils ne peuvent qu'obtempérer.

 

            Averti, Lê Van Trung ne cache pas sa satisfaction et prépare la séance avec une ferveur toute particulière.

 

            Lors de cette séance mémorable, l'Être Suprême invite chacun à pratiquer l'ascèse avec plus de rigueur. Il s'adresse plus spécialement à Trung. Il lui révèle que c'est sur son ordre que Ly Thai Bach l'a conduit au groupe de Cho-gao. Lui ayant fait part de sa toute puissance, il l'invite à se dévouer à lui corps et âme. Enfin, il préconise l'adoption de la corbeille à bec, qui permet l'écriture directe, et invite les médiums à s'adresser à Ngô Van Chiêu, considéré par tous comme un saint homme, pour en apprendre l'utilisation convenable.

 

            Lê Van Trung voit dans ces instructions la confirmation de l'intérêt particulier que lui porte Cao-Dài. Ayant tant bien que mal remis en ordre ses affaires personnelles, il rompt définitivement avec son passé pour se consacrer entièrement à sa foi nouvelle. Sa conversion se trouve ainsi confirmée.

 

 

3. LA DECLARATION " OFFICIELLE " DU 7 OCTOBRE 1926

 

 

            En ce début de l'année 1926, et dans un tel climat d'intense activité spirite, personne sans doute ne voit encore bien clairement à quel résultat vont conduire les messages transmis par la corbeille à bec. Mais cela ne saurait tarder.

 

            Les fêtes marquant le début de la nouvelle année lunaire ( Binh-Dân ) sont l'occasion de nombreuses réunions. Dans la nuit du 12 au 13 février, Ngô Van Chiêu, auquel se sont joints Cao Huynh Cu et Pham Công Tac, se rend successivement à la demeure de chacun des premiers " disciples "(43) pour présenter leurs voeux et consulter les Esprits(44). Dans la nuit du lendemain, premier jour de l'année, une nouvelle réunion se tient, au cours de laquelle Cao-Dài donne des instructions précises : Ngô Van Chiêu sera le guide de tous les adeptes de la religion nouvelle et il bénéficiera dans sa tâche du concours de Lê Van Trung, de Nguyên Van Hoài et de Vuong Quang Ky, tandis que leurs amis sont invités à progresser dans la voie de la vertu pour les seconder en vue de la propagation de la foi.

 

            L'union de tous ne tarde pas à s'opérer. Officiant chez lui en privé le 21 février, Vuong Quang Ky en reçoit le conseil :

 

" Soyez unis... Votre union fera votre force. Qu'il n'y ait pas de rivalité entre vous. Faites selon ma volonté... "

 

Déjà, trois jours auparavant, le 18 février, Pham Công Tac et Cao Quynh Cu se sont réunis chez Ngô Van Chiêu, en compagnie de Lê Van Trung. Et Cao-Dài a confirmé à ce dernier ce que déjà lui a annoncé l'Esprit Ly Thai Bach, à savoir qu'il sera le représentant du Très-Haut sur cette terre.

 

            Des séances se tiennent régulièrement le samedi soir, au n° 110 du boulevard Bonnard chez Chiêu que l'on appelle couramment le " Frère Aîné ", et se voit décerner le titre de Souverain Pontife ( Giao-tông ). On s'y préoccupe de l'organisation de la religion, de la confection des premières tenues religieuses, de la diffusion de la foi. Les médiums complètent ainsi leur initiation au maniement de la corbeille à bec.

 

            C'est ainsi que se constituent les premiers cénacles, où l'on accueille les nouveaux convertis(45). Le sénacle de Sài-gon apparaît, à l'initiative de Vuong Quang Ky, Nguyên Trung Hâu, Lê Van Giang et consorts, avec le concours d'un nouveau venu, Lê Thê Vinh. Des réunions organisées chez Doàn Van Hâu découle la création du Sénacle de Câu-kho. Les pagodes Vinh-Nguyên et Hôi-Phuoc à Cân-giuôc donnent asile de temps en temps à Lê Van Trung, Cao Huynh Cu et à leurs amis, qui fonderont ainsi le cénacle de Cân-giuôc. Si l'on croit certains écrits caodaïstes, on compterait près d'un millier de convertis dès les premiers mois de 1926.

 

            En de nombreux endroits de la région Sàigon-Cholon, la nuit venue, ils tentent avec plus ou moins de succès d'entrer en communication avec l'Au-delà. Une habile propagande, aussi discrète qu'active, tend à la multiplication des séances spirites. Les mystères de la nouvelle croyance attirent un nombre de plus en plus grand de personnes avides d'inédit, voire de changement et, en premier lieu, une partie de l'élite de la société viêtnamienne. Certes, les curieux ne font pas défaut. Mais Lê Van Trung et ses amis les plus entreprenants vont réussir à s'attacher les plus notables de tous ces gens par la promesse de l'octroi de grades, de fonctions ou de titres éminents au sein de cette Eglise naissante, nationale par ses origines, universelle dans l'aboutissement à laquelle elle prétendra bientôt. 

 

            Car Lê Van Trung, qui donne l'impression d'être persuadé du caractère divin de sa mission, se consacre totalement à celle-ci, et lui apporte sans partage à la fois son esprit d'entreprise et son génie d'organisateur. Le changement radical opéré dans sa manière de vivre ne cesse de frapper d'étonnement tous ceux qui la connaissent ou qui ont entendu parler de ses aventures, de ses excentricités. Beaucoup s'interrogent sur les mobiles de sa conversion, ce terme étant entendu dans son sens le plus large ; et beaucoup aussi acceptent volontiers d'y voir une intervention supraterrestre, sans le concours de laquelle celle-ci leur apparaît inconcevable.

 

            Des agents de l'administration, des intellectuels notoires, de riches commerçants, de hauts fonctionnaires, des personnalités influentes dans les milieux les plus divers, joints à d'opulents propriétaires fonciers manifestent leur désir de recevoir l'initiation et, pour se faire, donnent leur adhésion au mouvement. Certains d'entre eux, concurramment avec les promoteurs, joueront un rôle de premier plan dans le Caodaïsme : le gouverneur ( Dôc Phu Su ) Lê Ba Trang, le sous-préfet honoraire ( Huyên ) Nguyên Ngoc Tho, devenu gros entrepreneur, et sa compagne Lâm Thi Thanh(46), le préfet ( Phu ) Nguyên Ngoc Tuong, le gouverneur en retraite Nguyên Van Ca, l'entrepreneur Lê Kim Ty. Parmi eux se glisse un personnage très discuté, jugé souvent comme peu recommandable, au concours en tout cas fort utile grâce à sa connaissance de certains milieux de la capitale : Nguyên Van Truoc dit Tu Mat(47), homme d'affaires peu scrupuleux, chef de bande redouté, déjà sept fois condamné à un total de huit années d'emprisonnement pour affiliation à des sociétés secrètes, manoeuvres de nature à compromettre la sécurité publique et tentatives d'assassinat.

 

            Ne nous hâtons pas d'en conclure à l'origine patricienne du caodaïsme. Car si nous citons volontiers quelques-unes des personnalités qui, aux premières heures, adhèrent à ce mouvement, nous ne saurions oublier la foule des humbles qui, souvent avec plus de spontanéité et de ferveur, contribuèrent à son succès. Attirés par le merveilleux, insatisfaits de leurs conditions d'existence, à la recherche d'un adoucissement à leur maux, avides de consolation et d'espoir, ils viennent par milliers assister aux cérémonies célébrées dans les oratoires qui s'ouvrent à Sài-gon, Cho-lon, Tân-dinh et dans la périphérie : à Câu-kho, Thu-duc, Cân-giuôc et Lôc-giang. Déjà la formation des médiums expérimentés a progressé au point de permettre d'en affecter deux à chacun de ces lieux de culte. Sans qu'un recensement spécial précis semble avoir eu lieu, on fait état volontiers de trente mille adeptes, et ce nombre ne cesse de croître.

 

            Le 14 avril, un nouveau message reçu par Cu, Tac et Trung confirme le titre de " Souverain Pontife " attribué à Chiêu et recommande la confection, à cet effet, d'un vêtement de cérémonie composé d'une coiffure et d'une sorte de tunique de couleur blanche portant, brodé en or, le caractère Can signifiant " ciel " des Bat-Quai(48). Mais Chiêu, dont on connaît la modestie, recule devant une telle distinction. Il juge inconvenant pour lui de revêtir une tenue de valeur. Il estime impossible d'accepter pour lui-même une fonction aussi marquante, alors qu'il fait toujours partie des cadres de l'administration. Son refus courtois s'appuie en outre sur sa pauvreté, sur ses charges de famille, sur les soins qu'il apporte à mener une vie religieuse toute empreinte d'humilité. Il ne reviendra pas sur sa décision, qui consacre en fait et explique en grande partie son effacement, dont c'est la manifestation la plus marquante. Nous ne tarderons pas à le rappeler. Quoi donc, désormais, pourrait s'opposer à l'accession de Lê Van Trung au sommet de la hiérarchie ?

 

            L'administration, quant à elle, commence à s'inquiéter de l'ampleur prise par cet élan religieux, car elle craint qu'il ne vienne troubler l'ordre public. Elle ordonne des enquêtes. Mais quelle que soit la discrétion qui les entoure, le Caodaïsme a tellement pénétré tous les rouages administratifs que ses dirigeants ne tardent pas à en être informés et qu'ils mesurent le danger qui les menace s'ils ne se conforment pas aux dispositions prévues par la loi. " Soucieux d'agir au grand jour et de s'en tenir dans les limites strictes de la légalité "(49), 28 adeptes, dont 16 fonctionnaires en service ou en retraite, signent avec Lê Van Trung une déclaration annonçant publiquement la naissance du Caodaïsme, religion nouvelle : " les soussignés ont l'honneur de déclarer qu'ils vont propager à l'humanité entière une sainte doctrine ". Une liste de 247 noms de fidèles, avec celui de Nguyên Ngoc Tuong en tête, y est annexé.

 

            Le 7 octobre 1926, le gouverneur de la Cochinchine, Le Fol, reçoit Lê Van Trung venu lui remettre officiellement ces documents. L'accueil du gouverneur, poli comme il se doit, s'entoure d'une prudente réserve. Il s'agit en la circonstance, non pas d'une banale association, mais d'un groupement de fidèles réunis par une foi nouvelle tendant à l'universalité. Sa reconnaissance par les Pouvoirs Publics ne saurait intervenir qu'après une étude approfondie, et alors que cette religion aura subi l'épreuve du temps. De telles conditions montrent bien l'importance et l'intérêt accordés par le Gouverneur au caodaïsme. Telle est, sommairement, la réponse du Chef de la colonie : réponse dilatoire et prudente, sans doute, mais qui ne peut suprendre personne.

 

            Lê Van Trung et ses co-signataires, plus au courant que quiconque de l'attitude de l'administration, n'en attendaient probablement pas davantage. Ils estiment que l'accueil qui leur a été réservé leur permet désormais de pouvoir compter sur la tolérance des Pouvoirs Publics. Sans plus attendre, ils font imprimer en langue viêtnamienne le texte de la déclaration remise au Gouverneur et ils le répandent à profusion sur l'ensemble du territoire de la Cochinchine. Non sans raison, ils considèrent qu'une telle publicité fera disparaître les derniers scrupules de ceux qui, redoutant de s'associer à un mouvement clandestin, ont jusqu'ici hésité à lui donner leur adhésion. En même temps, ils créent trois missions de propagande : l'une pour les provinces de l'Est, une autre pour celles du Centre, et la troisième pour celles de l'Ouest. A ces missions itinérantes sont adjoints des médiums, indispensables au déroulement des séances spirites.

 

            Les fruits d'un tel effort ne se font guère attendre. De nombreux viêtnamiens embrassent la religion nouvelle. Des notabilités françaises disent ouvertement leur sympathie envers elle. Moins de deux mois après la déclaration du 7 octobre, on compte plus de 20 000 adeptes caodaïstes, et les services de renseignements font état d'une " réussite aussi soudaine que massive ".

 

 

4. LA RETRAITE DE NGÔ VAN CHIÊU

 

 

            On s'est beaucoup interrogé sur le renoncement de Ngô Van Chiêu au titre de " Pontif Suprême "(50), et beaucoup n'ont voulu voir que des prétextes dans les raisons qu'il en a lui-même données. Des écrits caodaïstes y découvrent une " volonté du ciel ". La Revue Caodaïste(51) pour sa part s'exprime ainsi :

 

" M. Ngô Van Chiêu, habitué à la solitude, fut contrarié par l'affluence des adeptes, qui l'inquiéta. Fonctionnaire conscient de ses devoirs, il prit la résolution de se tenir désormais à l'écart de ce grand mouvement religieux. M. Lê Van Trung fut alors désigné par le Grand Maître pour le remplacer fin avril. "

 

            Dans le Colon Français, Jean Ross en donne l'explication suivante :

 

" Comme je demandais à l'un des principaux dignitaires les raisons de l'attitude de Chiêu, il me fut répondu qu'il avait bien été le premier caodaïste en Cochinchine, qu'il aurait dû normalement remplir les fonctions de Chef Suprême de cette religion, mais qu'il s'était montré incapable de surmonter une épreuve que Dieu lui avait assigné comme il en impose à tous les Êtres Supérieurs avant de les élever, d'un degré, sur l'échelle dont le sommet est la perfection et qu'il était, de ce fait, obligé de racheter la faiblesse dont il avait fait preuve avant de reprendre place à laquelle son passé semblait lui donner droit. "

 

            Nul n'a jamais dévoilé en quoi consista cette épreuve imposée à Chiêu, et l'on peut raisonnablement se demander s'il ne s'agit pas là, tout simplement, d'une clause de style. Chiêu lui-même semble bien n'y avoir jamais fait allusion pas plus d'ailleurs qu'il n'a apporté quelque lumière aux écrits concernant son retrait. Il convient donc de ne retenir que les raisons qu'il a lui-même avancées, et d'ajouter simplement qu'il n'existait manifestement pas une identité de vues parfaites entre tous les membres du groupe fondateur, notamment entre Chiêu et Trung.

 

            Les deux hommes différaient profondément. A la réserve et au mysticisme du premier s'opposaient l'ambition et l'ostentation du second. Avec ce dernier, plusieurs autres notables envisagent et souhaitent la constitution d'une Eglise puissante, fortement structurée sur le modèle de l'Eglise catholique. Pham Công Tac, le plus expérimenté des médiums, et dont l'esprit entreprenant se manifesta plus tard au grand jour, n'est-t-il pas lui-même catholique ? Des divergeances notables ont donc fait, dès le début, leur apparition quant à la forme à donner à la nouvelle religion, quant à son orientation aussi. Chiêu n'a pas manqué de s'inquiéter beaucoup des projets grandioses à la réalisaton desquels ses amis ont vainement tenté de l'amener à collaborer, sinon à diriger. Bientôt ces difficultés se compliqueront, sans nul doute, de querelles de préséance, de questions d'intérêts. Pour l'heure, Chiêu, n'ayant rien d'un lutteur, préfère demeurer dans le rang. C'est bien plus tard seulement qu'il sera fait allusion à la trahison :

 

" Il groupa douze disciples, dont l'un, comme Judas le trahit. "(53)

 

            Tandis que Lê Van Trung poursuit son action pour donner corps et force au caodaïsme, Ngô Van Chiêu continue en silence et dans le calme son existence de fonctionnaire et de spirite. A Cân-tho, dans la capitale de l'Ouest cochinchinois, où il compte plusieurs disciples, il fonde le groupe Chiêu-Minh ou secte de la " Lumière divine ". Il y reçoit, à chacune de ses visites, des messages de Cao-Dài, tel celui du 27 juin 1926 qui l'invite à persévérer dans sa croyance, source de calme, et lui recommande de veiller à l'avenir du groupe. Les membres de ce groupe, animés des même sentiments de ferveur que leur chef, ne recherchent aucunement l'affluence ni la notoriété. Ils ne dépasseront guère la trentaine. Ils observent scrupuleusement le régime végétarien. Ils dorment assis et entendent être inhumés de même. A cet effet, ils achètent un terrain près de la ville, pour en faire un cimetière. A deux cents mètres de là, Chiêu se fera édifier une humble paillote, où il vivra ses derniers moments.

 

            En mai 1928, sa santé périclitant, Chiêu obtient un congé de maladie d'une durée de six mois. Après s'être arrêté quelque temps à Cân-tho et avoir visité et instruit ses compagnons de la secte Chiêu-Minh, il part pour Hà-tiên, à la pointe occidentale extrême de la Cochinchine et élit domicile à la pagode Tiên-Son-Tu, sanctuaire bouddhique installé dans une grotte calcaire, dénommée Thach-Dông. Il rayonne dans la région, visitant et animant divers lieux de culte. Après être allé au Mont Bokor tout proche, en territoire cambodgien, il rentre à Sài-gon, à l'expiration de son congé, pour reprendre son travail.

 

            Mais son état de santé, loin de s'améliorer, laisse progressivement à désirer plus gravement. Il effectue néanmoins plusieurs déplacements en province, pour encourager la foi des adeptes. Sa ferveur religieuse ne cesse de croître. Il jeûne très souvent, malgré les conseils de prudence de son entourage. Il ne se couche plus ; il dort peu, et dans la position assise. Il réduit constamment le cercle de ses intimes. Sa faiblesse empirant, il doit bientôt cesser son travail et, fin 1931, il obtient un second degré de maladie.

            Pour se soigner, il se rend à Tân-an, puis à Cân-tho. En mars 1932, se croyant en meilleure santé, il entreprend à nouveau la tournée déjà effectuée à Hà-tiên quatre années auparavant. Séduit par le site du Bokor, et à bout de force, il manifeste le désir de s'y installer définitivement. Mais ses compagnons de voyage parviennent à l'en dissuader et à le faire revenir à Cân-tho, où il vient occuper la demeure construite pour lui auprès du cimetière de la secte.

 

            Là, ses rares visiteurs et sa famille lui prodiguent leurs soins, mais sans succès. Parfois, ils le surprennent en train de se flageller durement. Le pressant de questions, ils n'en obtiennent, pour toute réponse, qu'un sourire timide et résigné ! Chiêu a conscience de sa fin prochaine, et se remémore le message reçu naguère de Cao-Dài, lors de son effacement : 

 

" Gio nây Thây diêm tham công

Ngày sau con se coi rông vê Nguyên "

( A l'heure présente. Je prend note de ton abnégation.

Un jour viendra, mon fils, où tu rejoindra le Ciel sur le dos des dragons. )

 

            Ces dragons désignent le Mékông qui, en viêtnamien, s'appelle le fleuve des neuf dragons ( sông Cuu-long ). Chiêu s'en est d'ailleurs ouvert à Vuong Quang Ky, venu le voir à Tân-an et prendre de ses nouvelles en février de la même année :

 

" Bien que je sois gravement malade, je ne mourrai pas ici, car le Seigneur a décidé que je me désincarnerais au milieu du fleuve Cuu-long. "

 

Jusqu'au dernier moment, il multiplie à son entourage ses recommandations d'amour du prochain, de la bonté envers tous les êtres, de modestie, de simplicité, de foi en l'Au-delà.

 

            Le 18 avril au matin, brusquement, il demande qu'on répare une auto pour se rendre au chef-lieu de Tân-an(54). Tout le monde s'affaire, car il manifeste beaucoup d'impatience. A sa fille Nam Nguyêt, qui tient à s'assurer qu'il entend bien aller à Tân-an, il répond : " Je me rends en un lieu secret ". Puis il prononce en français des phrases inintelligibles. Huit de ses disciples l'entourent au moment du départ. On l'installe sur le siège arrière. Madame Tu Quynh et l'épouse du conseiller provincial Vo Van Thom se placent à ses pieds tandis que sa fille Nam Nguyêt et son serviteur Ngung se mettent près du chauffeur.

 

            Au bac de Cân-tho, premier arrêt avant de traverser le Bassac, large de 1 800 mètres, des enfants s'attroupent et s'étonnent du teint jaunâtre du passager. Madame Thom veut le dissimuler à la vue des curieux et des marchands ; elle tire les rideaux de la voiture, mais Chiêu les écarte. Nouvel arrêt une trentaine de kilomètres plus loin, au bac de My-thuân, pour le franchissement du Mékông. Durant l'attente nécessitée par l'achat des billets et l'embarquement de la voitures, Chiêu s'impartiente encore. Enfin, le bac entreprend la traversée de 600 mètres qui séparent l'une rive de l'autre. En silence, sans qu'aucun de ses voisins ne s'en aperçoive, Ngô Van Chiêu rend le dernier soupir, " sur le dos des dragons ", comme cela lui avait été annoncé.

 

            C'est un employé du bac qui, passant près de la voiture, donne l'alarme. S'adressant aux femmes, il leur demande si elles ont bien une autorisation pour transporter un défunt. Affollement. Pleurs et gémissements. Elles obtiennent de faire demi-tour pour revenir en toute hâte à Cân-tho.

 

            Ainsi meurt Ngô Van Chiêu, fondateur du caodaïsme, à 15 heures, le 13ème jour du 3ème mois lunaire de l'année Nhâm-Thân ( 18 avril 1932 ).

 

            De retour dans sa pauvre demeure, le défunt est placé assis, sa position favorite, dans laquelle il a demandé à être enseveli. Son teint jaune a disparu. Son oeil droit reste fermé tandis que, peu à peu, son oeil gauche s'ouvre largement, clair et brillant " comme l'oeil d'un être vivant ". " Dieu ayant voulu ainsi montrer aux hommes que l'oeil de la conscience est immortel. "

 

            Le testament de Chiêu est bref : dix-huit mots d'adieu, suivis de sa signature :

 

" Cela suffit, mes frères. Soyez unis. Le Seigneur ne nous oublie pas. Nous sommes éternels. Pas besoin de discours. Humblement. Chiêu. "

 

Puis, dans une enveloppe, une somme de cent piastres, jugée suffisante pour célébrer des funérailles simples, le char funèbre devant être conduit par les fidèles.

            Conformément aux volontés du défunt, on confectionne pour l'ensevelir assis à l'instar des Bouddhas, un cerceuil octogonal de 80 centimètres de côté et 1 mètre 20 de hauteur, rappelant le dessin des Bat-quai, symbole de la génèse universelle.

 

            De tous les points de la Cochinchine affluent les messages de condoléances dès que le décès est connu. Sur l'ordre du médecin, on célèbre les obsèques le 3ème jour. Près d'une centaine de personnes portent le deuil, vêtues de cotonnade blanche. De Tây-ninh, Saint-Siège du Caodaïsme, où vivent en permanence plusieurs centaines de fidèles, personne, hélas, ne viendra assister à la cérémonie, sous prétexte de maladie ! Des douze premiers adeptes, seuls sont présents, en tenue de deuil, Vuong Quang Ky, Nguyên Van Hoài et Ly Trong Quê ; Vo Van Sang, que le télégramme a atteint trop tard, n'arrivera qu'à dix-huit heures.

 

            Ngô Van Chiêu avait vécu simplement. Il fut, tout aussi simplement, conduit à sa dernière demeure, en présence de plusieurs milliers de personnes. L'administrateur-adjoint de la province prit la tête du cortège, et les adeptes conduisirent le char funèbre, comme il l'avait souhaité. Le silence. Aucune musique. Pas de prières publiques. Le cercueil fut déposé sur une plate-forme ménagée à cet effet, et aussitôt quelques fidèles bâtirent de murs tout autour, avant de le surmonter d'une tour. Le même jour, les journaux locaux firent mention de l'événement, tandisqu'à Tây-ninh un simple communiqué portant la signature de l'archevêque Ngoc Trang Thanh ( Lê Ba Trang ) avisait les dignitaires et fidèles de la désincarnation de " Monsieur Ngô Van Chiêu, chef du cénacle Chiêu-Minh de Cân-tho ", sans faire la moindre allusion à son rôle de fondateur du Caodaïsme. Deux ans après, le 26 avril 1934, une cérémonie marqua la fin du deuil.

 

            Telles furent les circonstances de la disparition de Ngô Van Chiêu qui mourut, dira M. Nguyên Van Tâm(55), " moralement persuadé qu'il avait apporté à ses compatriotes une Religion nouvelle de Paix intérieur, de concorde et d'amour du prochain, susceptible de les élever graduellement jusqu'au parfait Bonheur, au cours de leurs vies futures "(56).

 

NOTES

 

1. Au besoin, on conseillera avec profit l'intéressant ouvrage de Georges Coulet Cultes et Religions de l'Indochine Annamite ( Imp. Ardin Sàigon, s.d. paru en 1929 ? ) et les remarquables études du R. P. Cadière : Croyances et pratiques religieuses des Viêtnamiens ( tome I, Sàigon, 1958, tome II, 1955 ).

Voir également de Georges Coulet : Les sociétés secrètes en terre d'Annam ( Imp. Ardin éditeur Sàigon s.d. ) et l'article de J. P. Alem " Les sociétés secrètes en Indochine " paru dans la revue Constellation ( n°66, pp. 91-104, 1947 ).

 

2. L'on doit cette écriture, d'un maniement fort commode, au talent du père Alexandre de Rhodes ( 1593-1660 ) qui en est le principal artisan. Les premiers ouvrages publiés de la sorte l'ont été, grâce à lui, en 1651, à Rome. Il s'agit d'un dictionnaire Annamite-Portugais-Latin, et d'un catéchisme ( Dictionarium Annamiticum, Lusitammen et Latinum, VII-450 et 211 p., et Catechismus pro us qui volunt suscipe baptisum, 321 p., Romae, 1651 ).

 

3. Code, intitulé Hoàng-Viêt Luât-Lê, achevé en 1812 et mis en application en septembre 1815. Il porte le nom du premier des empereurs de la dynastie des Nguyên, fondée en 1802, sur l'ordre duquel fut entreprise sa rédaction. Il est l'adaptation, sous la forme d'une codification pénale, des dispositions du code chinois des Tsing, dont la première édition fut publiée en 1646. Il en existe deux traductions en français, l'une par G. Aubaret ( Code Annamite, Lois et Règlements du Royaume d'Annam, Imp. Impériale, 2 t., 1865 ) et l'autre par F. Philastre ( Code Annamite, E. Leroux 2 t., 1876 et 1909 ).

 

4. M. W. Carl, dans Wahres Leben ( Leipzig, juin 1930, pp. 115-117 ) publie un intéressant article sur les pratiques spirites en Chine : il y est dit que " La croyance aux esprits remonte à la plus haute antiquité. Pour communiquer avec les invisibles, les Chinois procédèrent longtemps ainsi : sur une tablette saupoudrée de cendre, on laissait courir un pinceau suspendu de manière à effleurer et à tracer des signes dans la cendre ". 

 

5. Le Monde céleste, le Monde terrestre, le Monde aquatique. Culte d'origine chinoise, servi également par des femmes prêtresses appelées Bà Dông ( femmes-médiums ). Voir à ce sujet Paul Giran : Magie et religion annamites pp. 267-296 ( Paris, Challamel, 1912 ).

 

6. Vidal, surveillant des Traveaux publics à Sài-gon, diffuse abondamment, à l'époque, dans les bureaux et services de la ville, diverses brochures à couverture rouge traitant du spiritisme de Léon Denis et d'Allan Kardec.

 

7. Voir la Revue Caodaïste n°2 ( août 1930 ) p. 4 :

... En ce qui concerne les mots Cao-Dài, dont la traduction littérale est " palais suprême ", on les trouve dans les livres de prières bouddhiques : Thuong tâu Cao-Dài ou " Prières à Cao-Dài " comme dans les commentaires du Dao-duc-kinh ( Livre de la Voix et de la Vertu de Lao-Tseu ) et dans le Kinh Xâm de Quan-Thanh Dê-quân ( Message n°81 du Turenne chinois, Quan-Thanh Dê-Quân " Trois Royaumes " de Chine ) paru depuis très longtemps et existant dans toutes les pagodes dédiées au culte dans ce Saint Homme.

D'autre part, ces mots figurent dans une édition en chinois de la Société biblique britanique et étrangère, parue en 1913 à Shanghai. La traduction du 22è alinéa ( chapitre 94 ) peut se comprendre ainsi :

            " O Jehovah ! Tu es bien le Palais Suprême ( Cao-Dài ) où nous prenons refuge ;

               O Dieu ! Tu es bien la grosse pierrre derrière laquelle  nous nous abritons. "

 

8. Cette brochure, sans date, reproduit un certain nombre de textes extraits de la Revue Caodaïste publiée à Sài-gon de 1930 à 1933. Elle ne mentionne pas Mahomet, mais le supérieur du Caodaïsme a bien précisé, à maintes reprises, au cours de converstions qu'il fallait également le compter avec Moïse et Jésus-Christ.

 

9. Cf. Le Caodaïsme, op. cit., p. 25.

 

10. M. Phan Trong Manh, directeur de la revue Cao-Dài Giao-Ly ( La Revue Caodaïque ) indépendante du Saint-Siège de Tây-ninh, s'est exprimé encore autrement, au cours d'une causerie faite le 27.8.1949 sous les auspices de l'alliance française : " La première révélation fut personnifiée par Moïse, Phuc-Hy, Amida Lao-Tseu ; la deuxième dans le Christ, Cakya-Mouni, Confucius ; la troisième ne l'est dans aucun individu. Les deux premières sont individuelles, la troisième est collective ".

 

11. Cité par Claude Varèze dans son ouvrage Allan Kardec, Athéna éd. Paris 1948, p. 145.

 

12. Mot préféré par les caodaïstes, parce que plus clair, au terme grec " Paraclet " dont il est la traduction.

 

13. La Sainte Bible ( Ed. Zech et fils, Braine-le-Comte, 1957, p. 1245 ).

 

14. id., p. 1256.

 

15. id., op. cit, p. 1240.

 

16. id., op. cit, p. 1256.

 

17. Désigné encore sous les noms de Quan-Dê, Quan Vo, Trân Vu. Général chinois légendaire particulièrement célèbre dans l'antiquité chinoise ( dynastie des Han, 206 avant - 220 après J. C. ) immortalisé et devenu le Génie de la guerre. Parmi les nombreux temples qui lui sont dédiés, nous retiendrons celui qui, à Hà-nôi près du Grand Lac, est connu sous la dénomination de " Pagode du Grand Bouddha ", et celui qui, à Cho-lon, près de Sài-gon, voisine avec la maison paternelle de Ngô Van Chiêu ( v. plus loin ).

 

18. Ouvrage parfois cité sous le titre suivant : Giâc thê tân tân ( la reprise de conscience du Monde ).

 

19. Pour plus de détails, cf. La voie du Salut Caodaïque de Phan Truong Manh ( Sài-gon, 1950 ), pp. 43-49.

 

20. Tous ces messages, qui se multiplient avec le développement du spiritisme, annoncent la religion nouvelle.

Du Temple Cung-Toan-Hoa, en Chine, sont retenues par les caodaïstes les prédictions de l'Empereur céleste (11 septembre 1923 ), de l'esprit Tôn-Ngô-Không ( 23 septembre 1923 ), de Confucius ( 26 novembre1924 ), de l'esprit Thai-At ( 30 novembre 1924 ).

 Au Sud-Viêtnam, c'est notamment l'esprit Tao-Quôc-Cuu qui, le 30 juillet 1923, au temple Miêu-Noi ( à Bên Cat, près de Gia-dinh), recommande aux assistants de rechercher les vérités premières en s'initiant au Dao, principe de toute chose.

 

21. Voir ci-dessus, note 1. Ce temple, connu également aujourd'hui sous la dénomination impropre de Chùa

      (pagode) Ông-Nho, se trouve au n° 242, rue Lê Quang Liêm, à Binh-Tây, Cholon.

 

22. Lich su quan phu Ngô van Chiêu ( Biographie de Ngô van Chiêu ), 130 p., 5ème éd. Saigon 1962.

 

23. Aujourd'hui, lycée viêtnamien Nguyên Dinh Chiêu.

 

24. Devenu ensuite lycée français Jean-Jacques Rousseau.

 

25. Ce service, malgré son nom, n'avait à connaître que des immigrants asiatiques non français, et des               indigènes originaires des autres parties de l'Union indochinoise. Il jouait un rôle non seulement de police, mais encore de fiscalité, et assurait à ce titre la perception des divers impôts auxquels étaient assujettis les  asiatiques non français.

 

26. Ngô van Chiêu aura neuf enfants de ce mariage : d'abord quatre filles : Ngô thi Ngu ( morte à trois jours

à My-Tho ), Ngô thi Hông ( morte à trois ans, à Saigon ), Ngô thi Yên-Ngoc et Ngô thi Nguyêt, qui demeuraient encore toutes deux, en 1962, à Tân-An, dans une maison qu'il avait achetée et modernisée, au 31 rue Lagrange ( aujourd'hui, Phan Dinh Phung ) ; puis cing  fils : Ngô van Nhut, Ngô van Trinh, Ngô Tuong Vân, Ngô thanh Phong et Ngô Khai Minh : ce dernier, en religion Thuong-Minh-Thanh, sera nommé chef de la " Mission apostolique du caodaïsme en France " le 12 février 1953.

 

27. Cf. Les Pères du Système Taoïste, par Léon Wieger ( Cathasia, Paris, 1950 ), qui donne le texte chinois et une traduction française du Tao-Tei-King : Traité du Principe et de son Action, pp. 5 à 63. Une autre traduction en français a paru à Lyon ( Paul Derain, éd. ) en 1951 sous le titre : Tao Te King, ( le livre du Tao

et de sa vertu ).

 

28. I'île est située dans le golfe du Siam, à 45 km environ au large de Ha-Tiên, et dépendant administrativement administrativement administrativement de cette province (superficie : 600 km2 environ ).

 

administrativement de cette province ( superficie : 600 km2 environ ).

 

29. Parmi eux, l'on cite le Dôc-Phu Su, Lâm Tân Duc, Nguyên Thanh Diêu, Phan Ngam.                       

 

30. Voir p. 170

 

31. Cette pagode, du fait des intempéries et du manque d'entretien, a fini par s'éffondrer et a disparu. Elle a été remplacée, en 1961, par un temple caodaïste élevé au même emplacement, par des fidèles de Ngô Van

Chiêu ; une planque apposée à l'entrée commémore les révélations reçues par celui-ci et entend marquer le lieu de naissance de la nouvelle religion. Tout près de là, un autel perpétue l'endroit où Ngô Van Chiêu venait

s'asseoir pour méditer, face au large.

 

32. Ce choix ne saurait guère surprendre, si l'on veut bien ajouter foi aux affirmations maintes fois entendues

selon lesquelles Ngô Van Chiêu se serait précédemment converti au catholicisme, ou tout au moins aurait nourri une profonde vénération pour cette religion. Il est certain, en tout cas, que plusieurs de ces disciples,

et non des moindres, tel le futur " Pape " Pham Công Tac, étaient catholiques. Aujourd'hui encore, au

Saint-Siège caodaïsme, chez plusieurs des principaux dignitaires,  figurent,  aux places d'honneur, parmi

" maintes reliques ", des souvenirs du catholicisme, notamment des statuettes et images de la Vierge de Lourdes, ainsi que j'ai pu le constater moi-même.

 

33. Cf.  biographie de Ngô Van Chiêu : Lich-su quan phu Ngô  Van Chiêu ( 1878-1932 ), édition 1962, p. 30.

A noter que la Revue Caodaïque, n° 1, 5e année, 1951, p. 221, donne de ses paroles la version suivante :

" Vénéré Archange Maître, moi, votre diciple, je reconnais ici une manifestation de votre pouvoir surnaturel  

( un de vos miracles ). Si vous m' ordonnez de pratiquer votre culte sous le symbole de l'oeil, veuillez

le faire disparaître car je suis envahi par une grande frayeur ".

 

34. Cet instrument de communication avec les Esprits, plus rapide et plus commode que la table tournante, est

depuis fort longtemps connu en Extrême-Orient. En Occident, il semble avoir fait son apparition au siècle dernier, si l'on en croit ce qu' écrit Claude Varèze : " On raconte que c'est le 10 juin 1859 que les Esprits

avaient enseigné eux-mêmes le moyen de communiquer plus facilement avec eux. " " Va prendre dans la chambre à côté, la petite corbeille, attaches-y un crayon. Place-le sur le papier, mets les doigts sur le

 bord... " " Quelques instants après, la corbeille était ainsi en mouvement. " ( Claude Varèze, Allan Kardec, Athéna éd. Paris 1948, p. 21 ).

 

35. Plus tard, ces artères porteront respectivement les noms de rue Pasteur, rue Trân Quang Khai, rue Lê Thanh-Tôn et boulevard Lê Loi.

 

36. Prononciation Viêtnamienne de Li Tai Pe ( 705-762 ), poète célèbre par son grand talent et par son ivrognerie, considéré déjà de son vivant comme un être surnaturel, un immortel réincarné. Il deviendra le

" Pape spirituel " du Caodaïsme.

 

37. Voir début d'article " Naissance du Caodaïsme ".

 

38. Lycée Jean-Jacques Rousseau.

 

39. Le Conseil colonial, siégeant auprès du gouverneur, était composé de quatorze membres français ( dix élus au suffrage universel par le corps électoral français, deux membres de la Chambre d'agriculture et deux représentants de la Chambre de commerce ) et de dix membres indigèmes élus au suffrage restreint par les Cochinchinois remplissant des conditions particulières de sens et de capacité. On l'a parfois comparé aux Conseils généraux métropolitains, mais il jouait, en fait, un rôle plus important, et c' était " dans une large mesure une assemblée représentative des intérêts de la collectivité locale ". (E. Europe, La Cochinchine, P.

Gaspaldi, éd. Saigon 1931, p. 37 ).

 

40. Ce Conseil, en vertu d' un décret du 20 octobre 1911, a remplacé le Conseil supérieur de l' Indochine créé en 1887. Il fut tout d'abord une assemblée consultative. Composé de hauts fonctionnaires, de membres élus, et de notables de l'Union indochinoise, il se transforma pour devenir un organe représentatif des intérêts locaux. Un décret du 4 novembre 1928 en modifiera profondément l'organisation et les attributions.

 

41. La Revue Caodaïste, 1ere année, n° 3, septembre 1930, pages 3 et 4.

42. Voir en particulier, Caodaïsme ou Boudhisme rénovés, recueil de messages en français reçus des Grands Esprits,  publié par Lê Van Trung lui-même (tây-Ninh, 1ère édition 1931, 44 pages ). Cet ouvrage publie, en annexe, la série d'articles parus sous la signature de Germain ou Jean Ross ( pseudonyme de M.Wintrebert, administrateur des Services civils de l'Indochine, puis résident supérieur au Tonkin ) dans le journal Le Colon français de Hai-phong sous le titre " La vérité sur le Caodaïsme ou Dai-Dao ". Ross avait participé " en observateur assidu et sévère ", selon ses propres termes, à un certain nombre de séances spirites.

 

43. La foi caodaïste compte alors ses treize " disciples " qui sont, par ordre alphabétique : Cao Hoài Sang, Cao Quynh Cu, Doàn Van Bau, Lê Van Giang, Lê Van trung, Ly Trong Qui, Ngô Van Chiêu, Nguyên Van Hoài, Pham Công Tac, Truong Huu Duc, Vo Van Sang et Vuong Quang Ky, en majorité fonctionnaires. Ils se réunissent d'abord indifféremment à la demeure de l'un d'entre eux, puis ils élisent domicile de plus en plus souvent à Câu-Kho chez Doàn Van Bâu.

 

44. Ils vont d'abord chez Vo Van Sang, et terminent leur tournée chez Lê Van Trung. Seuls Cao Hoai Sang et Truong Huu Duc, absents de chez eux cette nuit-là, ne peuvent être visités.

 

45. Parmi eux il convient de citer : 1) Cao Quynh Diêu, Cao Minh Chuong, Pham Tan Dai et Trân Duy Nghia, qui se joignent aux animateurs du cénacle de Cân-giuôc.

2 ) Un groupe de spirites composé notamment de Lâm Quang Binh, Lê Ba Trang, Lê Van Hoa, Lâ Van Lich, Mac Van Nghia, Nguyên Ngoc Tuong, Nguyên Ngoc Tho, Nguyên Van Kinh, Nguyên Van Tuong et Trân Dao Quang. Nous retrouverons plusieurs de ces personnages par la suite.

 

46. Originaire de Vung Liêm, province de Vinh Long, et veuve en premières noces du sous-préfet ( huyên ) honoraire Say, assassiné par un de ses domestiques, elle avait épousé en secondes noces un bijoutier d'origine suisse nommé Monnier, puis divorcé après deux ans de mariage. Riche propriétaire, elle continua sa vie en compagnie de Nguyên Ngoc Tho. Par ses largesses elle contribuera pour une grande part à l'installation du Saint-Siège caodaïste à Tây-Ninh. Elle sera la première dignitaire de sexe féminin, recevra le titre de Dau-Su

( cardinal ) et exercera les fonctions de supérieure du collège féminin. A Son décès, en 1937, de grandioses funérailles se dérouleront en son honneur à Vung-Liêm.

 

47. En 1930, L'explosion d'une lampe à essence lui causera de graves brûlures qui entraîneront sa mort.

 

48. Il s'agit de huits figures ou trigrammes du Dich-Kinh ou livre confucéen des Mutations. Pour le confucianisme, il existait à l'origine une masse première universelle ( khi ) laquelle, sous l'effet d'une force dirigeante ( ly ) s'est divisée en deux éléments contraires, l'un parfait, mâle et actif ( duong ), l'autre imparfait , femelle et passif ( âm ). Celles-ci agissant de concert ou , au contraire, l'une contre l'autre, ont engendré une série infinie de combinaisons de plus en plus diverses et complexes déterminant chacun des éléments de notre monde.

Si l'on en croit la légende, l'empereur chinois Phuc-Hi ( 2852-2737 AC ) vit en songe un cheval-dragon nageant sur le Fleuve Jaune et portant sur son dos un dessin formé de points blancs et de points noirs disposés symétriquement. Il eut l'idée, pour plus de facilité, de remplacer les points blancs par une ligne continue, et les points noirs par une ligne brisée. Il obtint deux premières figures ( luong-nghi ), l'une mâle (duong ) : ---- et l'autre femelle ( âm ) : -- --. Celles-ci combinées deux à deux donnent quatre figures nouvelles ( tu tuong ) : = = ( thai-âm ), ----  ( thai-duong ), -- --  ( thiêu-âm ), -----  ( thiêu-duong ). Ces figures combinées à leur tour et accrues d'un trait fournissent huit autres figures ou trigrammes, les bat quai : = = = =  l'air ( can ), = = = =   le vent ( tôn ), = =  = =  l'eau ( kham ), _ _  _ _  les montagnes ( can ), = =  = = la terre ( khôn ), = = = = le tonneau ( chân ), = =  = = le feu ( li ), ____ la pluie ( doai ). Ces symboles combinés deux à deux donnent 64 hexagrammes, et ainsi de suite.

 

49. Revue Caodaïste, n°3 p. 5.

Voici la liste des premiers signataires : Lê Van Trung, Lê Van Lich, Trân Dao Quang, Nguyên Ngoc Tuong, Nguyên Ngoc Tho, Lê Ba Trang, Vuong Quang Ky, Doàn Van Bâu, Lê Van Giang, Cao Quynh Cu, Pham Công Tac, Cao Hoài Sang, Nguyên Trung Hâu.

 

50. Cf. p. 187.

 

51. Revue Caodaïste, 1ère année, n° 3, septembre 1930, p. 4.

 

52. Caodaïsme ou bouddhisme rénové ( op. cit., p. 28 ).

 

53. Phan Truong Manh, Qu'est-ce que le Caodaïsme ? p. 6 ( Sài-gon 1949 ). Il s'agit d'une causerie sur le caodaïsme radiodiffusée le 11 juin 1948 sur les antennes de Radio Sài-gon.

 

54. On trouvera un récit détaillé de ces événements dans le receuil en viêtnamien retraçant la biographie de Ngô Van Chiêu, op. cit., 5ème édition 1962, page 73 et suivantes.

 

55. M. Nguyên Van Tâm, président du Conseil du Viêt-nam du 25 juin 1952 au 19 décembre 1953.

 

56. Conférence prononcée à Sài-gon, le 24 janvier 1949, et publiée dans Education ( Bulletin du Haut-Commissariat de France en Indochine ), 3ème année, n° 114, pp. 43-66.

 

* par Gustave MEILLON